samedi 14 décembre 2013

L’ARMEC face au monde à l’envers (下剋上) dans l’habitat

La réunion organisée par l’ARMEC (Association Rennaise pour la Maîtrise de l’Energie dans les Copropriétés) le 11 décembre 2013 à l’espace conférence de la Chambre des Métiers de Rennes fut particulièrement intéressante.

Les intervenants ont pu rappeler les dispositifs d’aide à destination des ménages aux revenus modestes concernant les travaux d’économie d’énergie en copropriété.

Toutefois, ils ont aussi constaté le retard croissant pris en matière de rénovation du bâti par le parc privé, avec le coût que cela induit au plan environnemental. Prochainement, les passoires thermiques, qui accentuent la précarité énergétique, se situeront bien plus souvent dans des copropriétés et des maisons individuelles que dans l’habitat social.

C’est un peu le monde à l’envers (l'autorité renversée par les subordonnés), le gekokujō (下剋上). Les Japonais définissaient ainsi les mouvements qui ont provoqué la dissolution de l’autorité centrale lors de leur ère féodale (notamment aux XIVème et XVème siècles).




En France, les personnes qui sont exclues du parc social sont censées avoir plus de revenus et moins de besoins. Dans les faits, elles risquent de subir bien plus de contraintes. L’augmentation inéluctable du prix de l’énergie va rendre indispensable des réhabilitations pour faire baisser leur consommation, mais ce ne seront pas les pouvoirs publics qui prendront ces travaux en charge.

Un regard technocratique sur le monde de l’immobilier consiste à croire qu’il est possible de faire décider des travaux aux copropriétés en modifiant leur gouvernance. Grâce à la réduction des exigences au plan des majorités, il serait facile de faire le bien des copropriétaires malgré eux, mais à leurs frais, bien entendu.

L’idée des travaux d’intérêt collectifs réalisés sur des parties privatives relève de cet état d’esprit. Ces travaux seront réalisés au frais des copropriétaires concernés, cela sous le contrôle du syndic, et après décision de l’assemblée générale des copropriétaires pour le choix du prestataire. Et s’ils sont mal réalisés par des entreprises amies du syndic qui n’auront pas été soumise à une concurrence réelle, les copropriétaires n’auront que les yeux pour pleurer, mais se souviendront des sources de leurs malheurs, à savoir tous ceux qui se contentent de parler d’écologie sans que les résultats ne soient au rendez-vous.

Un grand pouvoir implique une grande responsabilité et, corollairement, de grands risques. Les prestataires qui effectueront des travaux d’intérêt collectif dans des parties privatives seront soumis à une exigence de perfection. Dans le cas contraire, qu’ils ne comptent ni sur l’Etat, ni sur la société pour les pardonner. Le ressentiment occasionné par leur échec sera une source de mobilisation hostile à l’égard du système actuel, qui n’aura pas forcément les moyens d’y résister.

Le risque politique induit par la dégradation des copropriétés est déjà prohibitif. Au final, et pour éviter un effondrement social bien plus coûteux, ce sont les collectivités qui devront aider les copropriétaires en détresse.

Ceux qui auront aggravé la situation soit en spéculant sur des lots de copropriété avant de les vendre, soit en dégageant des profits considérables pour des travaux causant des mécontentements extrêmes, seront les boucs-émissaires de la tragédie à venir. Les absents, tout comme ceux qui ont quitté le navire quand il prenait l’eau, ont toujours tort. Seules les personnes qui auront partagé l’expérience commune que constitue la lutte contre les difficultés de rénovation du bâti construiront ensemble un sentiment d’appartenance.

Au Japon, l’ère du monde à l’envers a fini par une répression autoritaire particulièrement bien organisée et qui a visé des personnes bien précises, à savoir ceux que l’on suspectait de ne pas être soumis à un contrôle collectif stabilisateur. Le régime qui a ainsi émergé avait ses défauts mais aussi ses avantages au plan de la mobilisation potentielle de la société et de sa cohésion. Au vu des difficultés actuelles de notre pays, la tentation d’imiter cet exemple pourrait être forte. Ceux qui jouent avec le feu devraient s’en souvenir.

Quand le monde à l’envers fait des ravages, il est logique que l’aspiration à un ordre collectif grandisse.

L’ARMEC a montré, lors de sa soirée, qu’elle cherchait à bâtir des consensus en faisant travailler des conseils syndicaux ensemble sur le long terme avant la prise de décisions. Une telle attitude permet également une recherche de devis sérieuse qui ne soit pas laissée aux seuls syndics professionnels. Les plateformes de devis mises en place récemment par des prestataires innovants donnent de l’espoir à ce propos. Souhaitons que ce soit cette sagesse qui prévale !

lundi 9 décembre 2013

Servus servorum Dei : Hommage à John BELLERS

L’association LGOC a donc adopté de nouveaux statuts le 07 décembre 2013.

Ces statuts font directement référence à John BELLERS (1654-1725), un Quaker anglais qui fut le précurseur de la coopération dans son ouvrage de 1696 : Proposals for Raising a Colledge of Industry of All Useful Trades and Husbandry (Londres, T. Sowle).

En préface de son ouvrage, John BELLERS cite les propos du Lord Chief Justice HALE qui rappelait que chacun n’est que le gardien de sa fortune ou de son talent. Nous devons donc rendre compte de l’usage que nous faisons des moyens dont nous disposons.

Ce qui est en notre pouvoir doit donc être mis au service d’objectifs légitimes. John BELLERS n’en était pas pour autant favorable au despotisme ou au collectivisme. L’obligation d’agir en direction d’un but précis donné n’est pas seulement une contrainte. Cela confère également une dignité et une capacité à de résistance à l’asservissement tyrannique.

Même si John BELLERS aurait été un peu surpris de cette remarque, une telle vision des choses s’inscrivait dans une tradition ancienne.

Depuis Grégoire Ier (vers 540 - 604), les souverains pontifes romains utilisent, pour eux-mêmes dans leurs actes importants (et notamment les bulles), la formule servus servorum Dei (serviteur des serviteurs de Dieu). 




Grégoire Ier

Cette marque d’humilité visait à souligner que le pontificat n’était pas un pouvoir mais un service. Dans le même temps, se placer dans une optique de mission rend indépendant par rapport à ceux qui ne partagent pas cet objectif. Les pontifes, avec cette formule, commencèrent à se détacher clairement de l’autorité de l’empereur siégeant à Constantinople.

La coopération telle que l’a prônée John BELLERS permettait justement le même mouvement vers l’autonomie. Les collèges d’industrie qu’il souhaitait bâtir visaient à faire sortir les pauvres, et tout particulièrement les enfants, des logiques d’extrême dépendance dont ils étaient les captifs soit dans le cadre d’institutions charitables, soit à l’égard d’employeurs très cruels.

En participant à une démarche collective, les membres de ces collèges d’industrie étaient placés dans un processus éducatif qui leur donnait une place et des prérogatives liées aux objectifs poursuivis par ces structures, même si chacun avait également des obligations pour contribuer à la réussite de ces objectifs.

L’association LGOC a tenté de mettre en place une organisation similaire pour être au service de ceux qui veulent coopérer ou s’intéresser à une coopération offrant des garanties objectives. Chacun peut accompagner la démarche à sa manière, y compris en étant référent externe. Toutefois, les diverses fonctions créées par les statuts ne sont pas des produits de consommation mais des missions dont on doit prouver que l’on a la capacité de les mener.

Ainsi, pour celui qui montrerait avoir promu la coopération telle que l’a conçoit l’association depuis plus longtemps que ne l’a fait le président actuel, ce serait avec plaisir que les membres de l’association lui offriraient la présidence, à charge pour lui de continuer à remplir les obligations corollaires. Les fonctions dans l’association ne visent pas à conférer des statuts insusceptibles d’évaluation. Elles sont plutôt les corollaires de missions au service de principes bien précis.

John BELLERS a également répondu à une objection souvent portée contre ce type d’actions collectives. Du fait de la crise ou des périls guettant la société, il ne serait pas possible, selon certains, de s’investir dans un projet structuré. Tous devraient obéir aux règles de l’immédiateté et de l’urgence au profit des droits qu’ils prétendent détenir. Cette position est évidemment absurde. Plus la situation de la société est grave, plus la mission pesant sur chacun est importante et moins les droits de ceux qui veulent s’opposer à la réalisation de cette mission sont légitimes.

Robert OWEN (1771-1858), un industriel de Grande-Bretagne, est l’un des fondateurs de la mouvance coopérative contemporaine et il s’est explicitement inspiré de John BELLERS. Avec raison, des auteurs s’intéressent aujourd’hui à Robert OWEN. On doit remercier Ophélie SIMEON (http://www.laviedesidees.fr/Robert-Owen-pere-du-socialisme.html) de noter l’influence de ce passé sur le travaillisme britannique actuel. On peut également signaler les travaux de la Robert Owen Association au Japon (http://ica-ap.coop/sites/default/files/articles_14.pdf).

Désormais, il appartient au LGOC d’accomplir sa tâche en montrant comment ce courant, exprimé depuis le XVIIe siècle mais présent dès le Haut Moyen Âge, peut nous donner des idées concrètes et utiles, notamment concernant la copropriété.

dimanche 13 octobre 2013

GODIN et le mirage de la caravane

Le présent blog a fait l’éloge de Jean-Baptiste GODIN et de son Familistère (http://cooperationencopropriete.blogspot.fr/2013/10/jean-baptiste-godin-merci-patron.html).



Jean-Baptiste GODIN

A la différence des utopistes de la coopération qui ont tous échoué, GODIN a insisté sur trois points indispensables en vue de réussir :

1/ La nécessité de moyens économiques pour mettre en place une démarche coopérative (d’où la nécessité de pouvoir attirer les capitaux et de les rémunérer)

2/ Le fait que l’émancipation des travailleurs passe par des résultats, ce qui implique une performance et une mission à accomplir et non des créances à réclamer à la société

3/ L’importance du processus éducatif dans lequel doivent être insérés les participants avant d’accéder au statut de coopérateurs authentiques

GODIN admettait l’idée selon laquelle la coopération excluait le rapport de domination, ce qui impliquait l’égalité entre ceux qui coopèrent. Toutefois, il n’envisageait pas d’accorder le statut de coopérateur à ceux qui n’étaient pas en mesure de coopérer.

Par bien des aspects, GODIN a eu une influence bien plus grande sur le mouvement des SCOP d’aujourd’hui que les autres penseurs plus idéologiques d’inspiration chrétienne ou marxiste, qui excluaient de manière bien naïve toute rémunération du capital et exigeaient l’égalité de tous dans la prise de décision, ce qui mène au chaos.

Les sociétés coopératives ouvrières de production régies par les lois 47-1775 du 10 septembre 1947 et 78-763 du 19 juillet 1978 permettent justement de rémunérer les apporteurs de capitaux tout en concentrant le pouvoir à égalité entre les mains des coopérateurs, puisque les associés travaillant dans l’entreprise votant seuls aux assemblées générales selon le principe « un homme, une voix ». Des salariés non coopérateurs intéressés aux résultats peuvent également exister. Un processus éducatif est donc permis. Surtout, dans toutes les SCOP, une réserve impartageable doit être constituée. Cela renforce l’éthique de mission, l’idée selon laquelle il faut servir l’entreprise et non les individus.

Ainsi, réalisme économique, souci de la performance et volonté éducative sont combinés tant chez GODIN que dans les SCOP bien structurées, le tout au service d’une émancipation réelle, puisque l’égalité entre coopérateurs évite qu’une élite exploiteuse ne se constitue.

Le LGOC, auteur de ce blog, insiste sur la réciprocité des apports entre coopérateurs pour garantir l’égalité, sur l’importance de la vérification des actions pour empêcher l’omerta, et sur la nécessité d’un regard croisé pour éviter les connivences favorisant l’opacité. La rotation des fonctions est également prônée ici pour éviter la séparation entre dirigeants et dirigés et pour former l’ensemble des participants aux responsabilités au sein des démarches coopératives.

Tout ceci est parfaitement dans l’esprit de GODIN qui souhaitait un processus éducatif au service d’une émancipation concrète. Néanmoins, et à l’image des partis communistes qui ont pu trahir l’idéal communiste, certains apparatchiks de la coopération combattent ces principes au nom d’une interprétation dogmatique des principes de l’Alliance Coopérative Internationale.

Sans Jean-François DRAPERI, GODIN serait encore plus tombé dans l’oubli. Sans la Confédération Générale des SCOP, les avantages fiscaux de ces sociétés auraient été détruits par l’Etat. Le monde de sensibilité participative a besoin des institutionnels de la coopération

Toutefois, le monde de sensibilité participative a également besoin qu’il y ait une forte aspiration à l’autogestion dans la société, y compris chez des personnes peu formées.

Enfin, pour monter des démarches coopératives crédibles, une énergie civique énorme est nécessaire. Certains doivent s’investir non par égoïsme et dans l’espoir d’une rémunération individuelle mais plutôt dans une logique de mission pour améliorer la société.

Patrimoine institutionnel, aspiration à l’autogestion et logique de mission sont donc complémentaires.

Hélas, chaque courant de l’univers participatif tente, de manière illégitime, à exercer l’hégémonie sur les autres.

Les habitants peu expérimentés aspirant à l’autogestion veulent surtout consommer au meilleur prix possible et non partager les efforts. C’est pourquoi ils souhaitent souvent abuser des efforts des citoyens motivés.

Les détenteurs de positions institutionnelles au sein du mouvement coopératif peuvent être tentés par l’esprit de rente. Au lieu de transmettre la mémoire de la riche histoire coopérative, ces institutionnels de la coopération risquent de se replier sur eux-mêmes et de vouloir consolider leurs privilèges en exploitant les citoyens les plus actifs trompés par des illusions.

Jean-François DRAPERI, malgré l’intérêt majeur de ses travaux, explique, ainsi, en s’inspirant d’Henri DESROCHE, que « la caravane doit croire en son mirage pour se mettre en branle. Si la sociologie de l’espérance est aussi une sociologie de l’échec, cet échec vaut mieux que l’absence d’espérance. » (DRAPERI, Godin, p. 90)

Cette défense de l’utopisme et des grands principes qui ne peuvent être concrétisés est catastrophique à une époque où tant de Français qui se sont investis sur des causes importantes, sont désabusés et ont le sentiment d’avoir été grugés.

Lorsque l’on propose à quelqu’un de s’investir dans une approche spécifique, il n’en fera rien si la démarche ne paraît pas crédible. D’ailleurs, mieux vaut qu’il soit passif plutôt qu’il ait de la rancœur après avoir été manipulé.

GODIN, dont l’œuvre concrète est tout sauf l’apologie de tromperies ou d’utopies fumeuses, ne doit pas être pris pour un apôtre des illusions destinées à camoufler les injustices.

samedi 12 octobre 2013

Jean-Baptiste GODIN : Merci patron ?

Outre son excellent livre sur la République coopérative (http://cooperationencopropriete.blogspot.fr/2013/09/la-republique-cooperative-de-j-f-draperi.html), on doit à Jean-François DRAPERI une remarquable biographie de Jean-Baptiste André GODIN (1817-1888) (Jean-François DRAPERI, Godin, inventeur de l’économie sociale ; Mutualiser, coopérer, s’associer, Editions REPAS, 2008, Valence, Drôme, 192 p.).



Jean-Baptiste GODIN

Fils d’un serrurier, serrurier lui-même, GODIN a eu l’idée de remplacer la tôle par de la fonte dans les poêles de chauffage. Grâce à ce succès industriel, acquis entre 1840 et 1848, cet entrepreneur a eu les moyens de soutenir des démarches visant à libérer les ouvriers de la jungle capitaliste sans pour autant basculer dans une révolution violente collectiviste.

Dans un premier temps, GODIN a soutenu des phalanstères. Ces groupements prônés par Charles FOURIER (1773-1837) visaient à atteindre l’harmonie entre les hommes par l’agencement de leurs passions. La passion cabaliste (l’émulation entre groupes), la passion papillonne (le goût de chacun pour voltiger d’activité en activité) et la passion composite (le fait d’exceller dans sa fonction), une fois habilement combinées, étaient censées permettre à des communautés de bâtir un meilleur cadre de travail et d’habitat.

Dans les faits, les phalanstères ont été des échecs partout et GODIN y laissa le tiers de sa fortune. Fort de cette expérience, à partir des années 1850, il a entrepris la création du Familistère de Guise (qu'il désignait comme Palais Social pour ce qui était des locaux) où devait être centrée l’activité de sa propre entreprise.

Cet ensemble architectural visait à fournir un logement décent aux travailleurs et à leurs familles tout en leur assurant une éducation, des loisirs, une participation aux bénéfices sous forme d’épargne, une mutuelle et un accès à la protection de leur santé. A terme, GODIN a organisé le transfert aux travailleurs la gestion de l’entreprise.

En 1880, le Familistère comprenait 1770 habitants et l’association destinée à le gérer fut créée (DRAPERI, Godin, p. 19). GODIN l’a dirigée de 1880 à 1888, laissant la place à son épouse, Marie GODIN née MORET, qui a assuré l’intérim à son décès, avant que ne lui succèdent François DEQUENNE (de 1888 à 1897), Louis Victor COLIN (de 1897 à 1932), René RABAUX ( de 1933 à 1954) et Raymond ANSTELL (de 1954 à1968).

Ce n’est qu’en 1968 que l’entreprise a été cédée aux établissements Le Creuset, les logements du Familistère étant vendus aux divers membres de l’association (DRAPERI, Godin, p. 60). L’expérience a donc survécu 80 ans à la mort de GODIN.

Une telle réussite est tout bonnement exceptionnelle. Alors même que l’on souhaite encourager la reprise des entreprises par leurs salariés sous la forme de Sociétés Coopératives Ouvrières de Production (SCOP) (http://cooperationencopropriete.blogspot.fr/2013/08/quand-la-cooperation-est-la-mode.html), GODIN est un précurseur et un modèle pour tous ceux que la notion de coopération intéresse.

Le personnage était particulièrement sympathique. Député républicain en 1848 puis en 1870, il a néanmoins refusé de s’agripper à un mandat pour faire carrière, préférant se consacrer à son œuvre. Grâce à lui, des logements de qualité exceptionnelle pour l’époque ainsi que des services de santé performants et une école particulièrement réputée ont été mis à disposition d’ouvriers et de leurs familles durant un siècle. Rien qu’en cela, son succès fut incontestable par rapport aux résultats catastrophiques de toutes les expériences utopiques inspirées par FOURIER ou Robert OWEN. Et que dire des massacres inspirés par le marxisme...

Toutefois, ce fut le succès d’un homme plus que d’une théorie. Comme l’a remarqué Charles GIDE, les ouvriers de GODIN ont eu bien de la chance de tomber sur un patron comme celui-là (DRAPERI, Godin, p. 108). En outre, GODIN a longuement préparé sa succession, d’où la pérennité de l’entreprise après son décès, d’ailleurs. Jamais il n’a accepté sans aménagement le principe « un homme, une voix ».

Au Familistère se côtoyaient des auxiliaires (notamment des salariés temporaires ne résidant pas au Familistère) qui avaient juste droit à la protection de la mutuelle de santé, les participants (700 en 1883), qui avaient droit à une part des dividendes sous forme d’épargne (15 % de leur salaire environ), les sociétaires (100 en 1883) qui avaient une part des dividendes plus forte (23 % de leur salaire) et les associés (70 en 1883) ayant droit à une part des dividendes représentant 30 % de leur salaire. Seuls les associés votaient aux assemblées générales. Le Familistère était régi par un conseil de gérance dont la grande majorité étaient des membres de droit (directeurs, chefs de service). C’est ce conseil qui désignait l’administrateur gérant, leader successeur de GODIN.

GODIN a donc mis en place une « élite non bourgeoise à la fois critiquée et jalousée » (DRAPERI, Godin, p. 67).

Charles FOURIER réprouvait l’égalité et la fraternité (DRAPERI, Godin, p. 71) et souhaitait promouvoir la liberté en comptant sur les passions des hommes qui s’équilibreraient pour permettre l’accès de tous au confort. « Godin ne remet pas en question l’accès au confort sans contrepartie que recommande Fourier. Il affirme néanmoins que cet accès, condition de la participation, nécessite la capacité de s’inscrire dans un processus éducatif » (DRAPERI, Godin, p. 93).

Ce qui a permis à l’expérience de GODIN de résister à l’épreuve du temps fut justement cette approche intelligente de la démocratie, qu’il n’a jamais confondue avec la coprocratie (soit le gouvernement d’une majorité imbécile).

« Godin croit que la démocratie ne peut fonctionner que si elle est conquise et fortement institutionnalisée. La perspective éducative est plus importante pour lui que la perspective organisationnelle. Ce n’est pas la démocratie qu’il faut établir, c’est l’éducation des hommes qu’il faut promouvoir. Il n’y a donc pas de modèle organisationnel fétiche. La coopération est préférée comme outil organisationnel. On note que cette hiérarchie définit un cursus coopératif dans lequel on avance : auxiliaire, participant, sociétaire, associé, membre d’un conseil, administrateur gérant, intéressé ; avec la possibilité d’arrêter à chaque niveau selon sa volonté et son investissement. Cette structuration permet donc également d’intégrer chacun, y compris ceux qui ne souhaitent pas s’investir. Mais pour ceux qui le souhaitent, l’entreprise ne peut réussir que si les associés sont en capacité d’exercer leur pouvoir et la prise de risque » (DRAPERI, Godin, pp. 52-53).

Avec le temps, les statuts du Familistère ont évolué. La tentation étant trop forte, les administrateurs gérants ont voulu augmenter leurs revenus sans que cela soit lié à leur compétence ou à leurs performances, renvoyant en 1954 un administrateur gérant bien plus dans la ligne de GODIN. Le poids des rentiers et des gens d'appareil a pesé sur la productivité au moment même où la concurrence internationale augmentait, ce qui a entraîné la vente de l’entreprise.

On a ici le même problème qu’en copropriété lorsqu’une minorité dépourvue du sens de sa mission contrôle les assemblées générales et le conseil syndical puis en profite pour percevoir des privilèges au lieu de remplir sa fonction, c’est-à-dire le bon entretien des parties communes.

Néanmoins, durant des décennies, le Familistère a su éviter cette dérive et, même à la fin de son histoire en tant qu’entreprise, des travailleurs sont restés attachés à l’idéal du processus éducatif prôné par GODIN.

Les écrits théoriques de GODIN n’ont pas eu la cohérence de ceux de son contemporain, Charles SECRETAN (1815-1895), attaché au pluralisme et à l’inspiration kantienne comme lui. Toutefois, alors que le second était professeur de philosophie, le premier fut un autodidacte talentueux qui a mis en pratique les grands principes que l’autre ne faisait qu’énoncer brillamment.

Le bilan de GODIN est donc fabuleusement positif et il est regrettable qu’il soit tant ignoré aujourd’hui. Une fois de plus, il faut remercier Jean-François DRAPERI pour cet ouvrage et souligner l'importance des tenants institutionnels du mouvement coopératif. C'est leur devoir de préserver cette riche histoire pour que la base autogestionnaire et les citoyens engagés dans une logique de mission puissent bénéficier de ces exemples.

vendredi 4 octobre 2013

Comptes séparés et comptes reflets

L’affaire URBANIA a permis de voir la nocivité des comptes reflets. Cet argent fictif est mis à disposition des syndics professionnels par les banques où sont domiciliés les comptes uniques alimentés par les fonds des copropriétés.

Comme le remarque la Revue de l’ARC et de l’UNARC (4ème trimestre 2013, n° 102, p. 32), il peut y avoir des comptes reflets même avec des comptés séparés.

Des banques peuvent être tentées de proposer à un syndic professionnel de l’argent fictif portant intérêts en échange de la domiciliation chez elles de tous les comptes séparés des immeubles de son portefeuille.

Ces pratiques sont très douteuses au plan des règles encadrant la rémunération des syndics, dangereuses pour l’intérêt national au niveau financier et contestables en ce qui concerne le droit de la concurrence.

L’UNARC propose d’imposer aux syndics professionnels d’ouvrir des livrets d’épargne et d’y déposer tous les soldes des comptes d’attente et autres avances de trésorerie ainsi que l’excédent de trésorerie dès qu’il dépasse un certain niveau.

Ainsi, l’argent des copropriétés étant rémunéré, l’intérêt pour les banques d’ouvrir un compte reflet pour offrir les intérêts au syndic sera plus faible.

Toutefois, comme le disait un sketch sur la crise de l’immobilier, c’est bien mais pas suffisant (http://www.dailymotion.com/video/xdvf5_l-immobilier-a-paris-excellent_fun).

Le syndic professionnel ne doit plus avoir la maîtrise de l’endroit où se situera le compte. Ainsi, la tentation de le rémunérer disparaîtra.

Monsieur Christophe BORGEL (député PS de Haute-Garonne), demande à Mme DUFLOT d’autoriser par décret les syndics à percevoir une rémunération supplémentaire si les comptes séparés ne sont pas placés dans l’établissement de leur choix. Si jamais ce parlementaire était suivi, les copropriétés seront donc incitées à laisser le syndic concentrer les comptes séparés dans une seule banque.



Monsieur le député Christophe BORGEL

Non seulement l’Union Européenne pourrait trouver à y redire (puisque cela reviendra à favoriser des ententes anticoncurrentielles), mais en plus, on peut être assuré de l’existence de comptes reflets pour remercier les syndics.

Monsieur BORGEL s’en expliquera sans doute au sein du salon ‘‘indépendant’’ de la Copropriété de l’ARC et de l’UNARC (http://www.salon-copropriete-arc.fr/) le 16 octobre 2013.

Néanmoins, il est vrai que la concentration de tous les comptes des copropriétés gérées par un syndic dans le même établissement faciliterait le travail de celui-ci et de son garant financier. Dès lors, il est impératif d’imposer l’ouverture de comptes d’épargne pour les copropriétés en veillant à ce que la rémunération offerte et les contrôles impliqués dissuadent les banques d’offrir des récompenses au syndics.

La Commission européenne devra ensuite vérifier si le mécanisme est crédible et fournit des garanties objectives pour éviter les comptes reflets.

On notera que si, comme dans l’affaire URBANIA, des comptes reflets sont utilisés de manière imprudente, le système bancaire français pourrait s’effondrer, et il serait un peu rapide de dire, dans ce cas : « l’Allemagne paiera ! » Cette affaire concerne nos voisins européens aussi !

dimanche 29 septembre 2013

La République coopérative de J. F. DRAPERI

Jean-François DRAPERI est le rédacteur en chef de la RECMA (Revue des Etudes Coopératives, Mutualistes et Associatives, publication qui souhaite être nommée Revue Internationale de l’Economie Sociale) (http://www.recma.org/).







A ce titre, c’est le leader intellectuel officiel du secteur coopératif français.

Dans son récent ouvrage (Jean-François DRAPERI, La République coopérative, Théories et pratiques coopératives aux XIXe et XXe siècles, Larcier, Bruxelles, 2012, collection Droit et économie sociale et solidaire, 327 p.), il retrace l’histoire du coopérativisme et des penseurs qui se sont succédé pour le promouvoir.

C’est plus qu’un excellent livre. C’est un ouvrage qui marquera l’histoire tant du secteur coopératif que du monde de la coopération en général.

Les tenants de l’habitat participatif doivent le lire, et n’ont pas d’excuses s’ils ne le font pas, car ils ne peuvent pas reprocher à Jean-François DRAPERI d’être anti-bobo ou hostile aux institutionnels du coopérativisme.

Quant aux partisans du comportement coopératif compris comme la réciprocité, ils pourront dévorer cet ouvrage avec plaisir et intérêt aussi !

C’est la force incroyable de cet auteur d’avoir pu fournir dans une langue claire un tableau très riche de l’histoire du coopérativisme en retranscrivant, parfois avec des formules d’une grande élégance, les idées de tous les courants majeurs qui ont marqué cet univers spécifique.

Présenter ses propres opinions de manière brillante, c’est déjà bien. Le faire aussi pour ce à quoi on ne croit pas, cela demande plus que de l’honnêteté : il faut de la grandeur pour y parvenir.

On peut être d’autant plus admiratif  lorsqu’on ne partage pas certains choix de Monsieur DRAPERI.

Cet auteur a pu être décrit comme l’incarnation de l’intellectuel bohème (http://olivierlaurant.over-blog.com/article-je-n-ai-pas-aime-l-intervention-de-j-f-draperi-au-conseil-regional-75171871.html).

Ses opinions personnelles sont  effectivement claires et sa vision épiscopalienne du coopérativisme ressort de l’ensemble de ses propos.

Comme il l’explique pour louer WATKINS, un grand acteur du mouvement coopératif international, il faut placer l’unité de l’alliance coopérative internationale au-dessus de la rigueur des théories (p. 173).

La pertinence des explications sur la coopération n’est pas liée à des logiques mais à la force institutionnelle des acteurs qui s’expriment, et notamment sa propre revue : « la REC/RECMA est le lieu de production et de valorisation d’une pensée coopérative qui se présente, dès sa fondation en 1921, comme une tradition à part entière, distincte à la fois des traditions de pensée libérale et critique » (p. 105)

Le coopérativisme étant décrit comme une foi (p. 74) parfois partagée par de petits groupes de croyants (p. 160) et reposant sur des prophéties  notamment celle de Charles GIDE en 1889 (p. 123), on peut dire que la RECMA est la véritable église de cette religion et que Monsieur DRAPERI en est donc bien l’évêque puisqu’il prétend avoir autorité pour définir qui est fidèle et qui doit être excommunié.

A propos de la vision communiste de la coopération qui ne respectait pas les principes définis par l’Alliance Coopérative Internationale, Jean-François DRAPERI explique : « N’est-il pas utile aujourd’hui de bien identifier ces distinctions sémantiques et libérer ainsi le concept de coopération de ces scories ? » (p. 150).

Comme si l’ACI avait le pouvoir, par sa simple parole, de définir ce qui doit être coopération ou non, ce qui est rouge ou ce qui est blanc, ce qui est lourd ou léger, ce qui est feu ou ce qui est eau. Si voyant une flamme au-dessus d’une allumette, l’ACI décrète, « tu es eau », la flamme va-t-elle se transformer par magie ?

Si coopérer est ne pas instrumentaliser l’autre, comme le pensait Robert OWEN, une coopérative, même respectant les principes de l’ACI, peut ne pas correspondre à cet objectif et, en tout cas, cela mérite vérification. Le fait d’appartenir au secteur coopératif ne donne pas un brevet de coopération.

Or, ne peut être appelé coopération, pour Monsieur DRAPERI, que ce qui est conforme aux principes énoncés par le mouvement coopératif international (qui ont varié dans le temps de surcroît). L’Alliance Coopérative Internationale est donc incapable d’errer, et il s’agit-là d’un dogme, un peu à l’image de l’infaillibilité pontificale pour les catholiques.

Dans le même temps, grâce à la lecture de Georges FAUQUET ou Claude VIENNEY, Jean-François DRAPERI a la finesse d’admettre que le mouvement coopératif lancé par Charles GIDE dans une optique quasiment religieuse s’est institutionnalisé et qu’il vaut mieux parler de secteur coopératif (pp. 206 à 210).

Ensuite, Jean-François DRAPERI note que « La théorie de l’intercoopération d’H. Desroche constitue un pont lancé entre le sens restreint donné au concept de ‘‘coopérative’’, c’est-à-dire les entreprises coopératives, et le sens large du terme ‘‘coopération’’, qui inclut toutes les organisations sociales requérant la coopération entre les hommes » (p. 259).

Cela revient, pour l’auteur, à admettre la distinction entre d’un côté, le secteur des coopératives et, de l’autre, la notion de coopération. Un peu comme un évêque anglican qui admettrait que la doctrine de son Eglise et la vraie foi selon la Bible sont deux choses en lien sans pour autant être strictement confondues.

Jean-François DRAPERI va encore plus loin en citant Jacques MOREAU qui rappelait que : « Mouvement social, l’économie sociale doit gagner des membres à sa cause, et elle ne peut le faire en se limitant à affirmer ses valeurs et ses principes, fussent-ils excellents. » (p. 272).

Là où il est d’une rigueur intellectuelle qui en devient touchante, c’est lorsqu’il fournit une présentation convaincante de l’œuvre d’Albert MEISTER (1927 – 1982, mort à Kyoto).

Or, Albert MEISTER est celui qui a lancé le courant des études sur la participation dans les associations.

Jean-François DRAPERI va jusqu’à citer une phrase d’Albert MEISTER en 1961 : « Partis d’un tronc commun, la coopération, le syndicalisme et les partis ouvriers se sont diversifiés et chacun d’eux se trouve aux prises avec ses propres vicissitudes. Mais ils semblent rencontrer dans la désaffection de leurs membres un obstacle commun. Pour eux tous, les possibilités de consommation apportées aux individus par l’augmentation de leur niveau de vie ont affaibli l’esprit de participation et personne ne voit bien aujourd’hui comment ils surmonteront cet obstacle, comment ils ajusteront leurs buts à ces conditions nouvelles » (p. 255).

Albert MEISTER soulignait que plus les coopératives sont grandes, plus le principe de démocratie, dont il est prétendu par l’ACI qu’il participe de l’identité coopérative, est relativisé, la délégation remplaçant la démocratie directe.

Bien entendu, Monsieur DRAPERI croit en la doctrine dont il est le gardien et clame que la participation aux assemblées générales est un facteur de démocratisation (p. 275).

Dans le même temps, il est capable d’avoir des envolées brillantes lorsqu’il remarque que : « Le respect du lien social est ce qui traduit la continuité entre les solidarités traditionnelles et les formes coopératives modernes » (p. 250).

L’assemblée générale où l’on se fait injurier et où personne ne sanctionne les injures, détruit le lien social et n’a donc rien à voir avec la démocratie. Monsieur DRAPERI n’est certes pas d’accord, mais il a la gentillesse de retranscrire les idées autres. On ne peut que l’en remercier.

En examinant la coopération dans le tiers-monde, Jean-François DRAPERI remarque aussi que : « Ces interventions s’appuient sur la participation des populations dans un esprit de défense des droits fondamentaux de la personne » (p. 237).

Justement, ce qui fonde la pertinence d’une action collective, c’est sa capacité effective et immédiate à garantir la sauvegarde des droits fondamentaux des participants.

L’aspect le plus agréable de ce livre est donc sa faculté à donner de la coopération une image plus intéressante que ce que produit le strict coopérativisme institutionnalisé.

Bien entendu, on peut émettre des doutes ponctuels sur certains commentaires, notamment à propos d’Auguste FABRE, présenté comme simple socialiste au sein de l’Ecole de Nîmes aux côtés de GIDE et DE BOYVE qui auraient représentés les chrétiens (p. 93). Auguste FABRE était fils de pasteur et pas forcément athée…

Ensuite, NEHRU n’a jamais été président de l’Union Indienne (p. 242).

Ce sont des détails sans importance au regard de l’érudition de l’auteur. C’est cette érudition qui l’amène à commenter des courants avec lesquels il n’est pas en phase, mais dont il admet l’intérêt.

La science politique et le droit constitutionnel, notamment à propos de la notion de démocratie, ne sont pas sollicités par Jean-François DRAPERI mais, en citant Albert MEISTER, qui focalisait bien plus son attention sur ces points, l’auteur se prémunit contre cette critique.

En bref, il faut courir commander ce livre ou l’acheter à la Confédération Générale des SCOP (A l'accueil, 37 rue Jean Leclaire, 75017 PARIS).

mercredi 13 février 2013

Quels principes pour la coopération en copropriété ?

Le "vivre ensemble" est à la mode depuis quelques années déjà.

Pourtant, l'engouement pour la sociabilité, la proximité et la mixité est dangereux lorsqu'il ne sert qu'à cacher des comportements inhumains. Ainsi, la copropriété est devenue un domaine où règnent souvent l'indignité, la mauvaise foi et la déloyauté, sous prétexte de préservation du bon voisinage.

Face à ce défi concret, la coopération ne doit pas être un slogan bohème visant à dissimuler la lâcheté de beaucoup face aux dérives ambiantes.




Afin de s'en assurer et de garantir à ceux qui s'engagent dans la voie coopérative qu'ils ne seront pas grugés, l'association LGOC prône le respect de quatre principes. Ils permettent de démasquer les charlatans qui se prétendent coopérateurs alors qu'ils ne sont que des malhonnêtes ordinaires.

Ces principes sont :

- La vérification du respect des bonnes pratiques (afin qu'aucun décideur n'échappe au regard d'un vérificateur)

- Le regard extérieur (le vérificateur ne devant pas être un des décideurs afin d'éviter le danger de l'entre-soi)

- La réciprocité (une personne s'investissant dans la décision ou la vérification doit bénéficier d'efforts similaires de la part des autres participants à la démarche)

- L'intercession (une personne investie dans une démarche coopérative ne doit pas être harcelée par des gens qui n'y participent pas, mais ne peut être interpellée que par un autre coopérateur, qui sert donc d'intercesseur par rapport au monde extérieur)

Tout le travail de l'association LGOC est de démontrer l'utilité de ces pratiques qui devraient être fondamentales en copropriété.