La
diabolisation de MACRON
La
Comtesse de Ségur a enchanté des générations d’enfants en relatant les Malheurs de Sophie.
Ce
sont surtout des adultes qui se réjouissent des Malheurs de MACRON.
Malgré les pleurs et
les grincements de dents (Luc XIII, 28), celui-ci persiste et signe. Dans un
article paru dans le Monde daté du jeudi
07 janvier 2016 (« On n’a pas tout fait
pour l’emploi », p. 6), il critique
les blocages de la société française et montre en quoi ces derniers ont pu
créer de la défiance et de la désespérance, terreaux favorables à la
radicalisation religieuse.
Si l’on ajoute à cela
les remarques relatives au statut de la fonction publique ainsi que l’ouverture
à la concurrence de certains secteurs d’activité, le ministre MACRON s’est fait
beaucoup d’ennemis, même s’il semble bénéficier d’une popularité nettement plus
forte que celle des autres membres du gouvernement (http://elabe.fr/1228-2/).
Avec sagesse, il
remarque qu’il ne doit pas être pris pour un homme providentiel parce que l’on
ne réforme pas d’en haut et que l’énergie, et tout particulièrement celle
d’entreprendre, doit venir de la base de la société.
Les remarques
d’Emmanuel MACRON contre la rente sont évidemment appréciables. Pourtant, on ne
peut qu’être inquiet pour ce ministre, malgré la pertinence du message qu’il
porte.
La
diabolisation qu’il subit en rappelle une autre survenue durant l’Antiquité.
Le
groupe de réflexion des Gracques
aujourd’hui
Emmanuel
MACRON est un proche du groupe de réflexion des Gracques.
Jean-Pierre JOUYET,
l’actuel secrétaire général de l’Elysée, qui a ouvertement milité pour l’entrée
d’Emmanuel MACRON au gouvernement, est membre de ce groupe fondé en 2007.
Yann ALGAN et Pierre
CAHUC, les auteurs de la Société de
défiance (http://bit.ly/1fhPiAT), sont également proches
du groupe. Emmanuel MACRON reprend clairement certaines de leurs idées en
parlant souvent de la lutte contre la défiance générée par les rentes.
Le
ministre MACRON est venu clore l’université des Gracques le 21 novembre 2015.
En 2011, les Gracques ont rédigé un manifeste en
prévision de l’élection présidentielle de 2012 (Les Gracques, Ce qui ne peut plus
durer, le manifeste, Albin Michel, Paris, 2011, 268 p.).
Le
titre de l’ouvrage ressemble à la phraséologie moralisante de Jean-Paul
DELEVOYE et son Reprenons-nous !.
Le
contenu de l’ouvrage des Gracques est,
toutefois, plus intéressant.
En
effet, il constitue une critique explicite et virulente contre les élites.
« Améliorer
la vie réelle : ce doit être le projet central d’une société du respect.
Où l’on ne promet que ce qu’on est sûr de pouvoir appliquer ; où l’on fait
ce à quoi l’on s’est engagé ; où l’on écoute l’autre en lui accordant de
la reconnaissance ; où l’équilibre démocratique est garanti par les
contre-pouvoirs de la société civile et par la qualité du débat public ;
où la vie quotidienne, celle des cages d’escalier, est prise en compte dans
toutes ses dimensions ; où les jeunes sont encouragés et les femmes
traitées à égalité avec les hommes ; où l’éducation publique donne sa
chance à tous et à chacun. Utopie ? Certainement pas. Beaucoup d’autres
pays, d’autres voisins en Europe arrivent à de meilleurs résultats dans tous
ces domaines.
Reprendre confiance en la règle commune, en l’application de la loi et
en l’impartialité de l’Etat est une condition nécessaire » (p. 18)
Plus
loin, on lit :
« Les élites,
chez nous, doivent donc, enfin, donner l’exemple. Dans leur comportement
d’abord, avec le retour à une certaine décence. Mais aussi en contribuant à
l’effort de redressement des comptes publics. Pourquoi ? Parce qu’aucun
effort n’est accepté, aucune citoyenneté ne tient, aucune confiance ne
s’établit, si les plus favorisés ne mettent pas la main à la pâte » (p. 99).
Les Gracques condamnent donc les rentes de
situation, notamment dans le logement où ils fustigent le maintien dans les HLM
de qualité de familles dépassant les plafonds de ressources (pp. 205 à 211).
De la même manière,
ils critiquent les conflits d’intérêts, notamment au niveau bancaire, en
proposant une bien meilleure séparation des services aux particuliers avec les
filières d’investissement à risques (p. 55).
Les Gracques regrettent également le blocage
de la réforme territoriale du fait du clientélisme (p. 263) ainsi que
l’augmentation du nombre de fonctionnaires territoriaux (p. 140).
Alors que les pays
émergents ont diminué leur endettement depuis la crise asiatique de la fin des
années 1990 (p. 59), les pays occidentaux s’en montrent incapables. Si les agences
de notation attribuaient des notes conformes aux réelles possibilités des pays,
seules la Suisse, le Danemark, le Luxembourg, l’Australie et la Nouvelle
Zélande resteraient à leur niveau actuel.
La
Chine et l’Allemagne seraient un cran en-dessous.
L’Arabie
saoudite et les USA encore un cran en-dessous.
Ce
n’est qu’après que l’on trouverait la France, le Royaume Uni, le Japon et la
Corée du Sud (pp. 60-61).
En bref, « le XXIe siècle sera global, technologique, compétitif. Il valorisera
l’économie de la connaissance, le renouvellement des énergies durables et la
diversité des cultures. Il privilégiera les capacités d’adaptation des nations
et leur capacité à créer du consensus social » (p. 197).
On constatera que
c’est bel et bien l’idéologie véhiculée par Emmanuel MACRON. Elle constitue un
des rares programmes cohérents présentés aux électeurs, avec un certain courage
et une volonté de bousculer les rentes acquises inappropriées.
Malgré cela, ce
courant de pensée ne peut convaincre car il omet d’examiner des questions
essentielles.
L’angle
mort d’une vision
Deux phrases très
importantes du manifeste des Gracques montrent que ce groupe se précipite dans
une impasse.
« Notre objectif ? Combler le fossé social entre les Français,
reconstruire la Nation comme Renan la définissait : un principe spirituel » (p. 37).
Les Gracques prétendent donc réduire la
fracture sacrificielle en se contentant de vouloir la faire disparaître dans
l’avenir. En outre, ils ont un langage romantique et quasiment mystique sans
être très précis, cohérents et ambitieux par rapport à la quête d’absolu qu’il
peut y avoir chez certains.
Or, le passé est
éternel. Le mal qui est advenu structure le monde et impose des charges
durables à chacun. Quand des rentes indues ont été pratiquées, des conflits
d’intérêts ont été générés. Ceux-ci entraînent une défiance légitime durable
entre ceux qui ont profité des situations délétères, qui souhaitent rester
impunis, et ceux qui en ont pâti, qui souhaitent que les mauvais comportements
soient sanctionnés et découragés.
Ces oppositions
durables, on doit en tenir compte. A défaut, on se rend incapable de construire
l’avenir sans aggraver les tensions en multipliant les conflits d’intérêts.
Les Gracques ne peuvent s’empêcher de
ressasser l’idéologie du vivre-ensemble qui consiste à confondre les coupables
et les victimes, les privilégiés et les sacrifiées, les passagers clandestins
et les citoyens dévoués.
La propagande sur la
convivialité et la fraternité sert à cacher des errements qui, dès lors,
peuvent continuer et qui finissent par discréditer l’ensemble du système
institutionnel.
Cette erreur est liée
à un prisme culturel erroné. Les Gracques
sont des énarques et des hauts fonctionnaires liés aux élites administratives.
En aucun cas ils ne sont des militants qui savent ce qu’est le risque et le
sacrifice. De ce point de vue, Emmanuel MACRON est plus prudent que les Gracques qui l’inspirent puisqu’il insiste
souvent sur l’énergie qui doit partir du bas de la société, mais il est
incapable d’organiser le gigantesque mouvement nécessaire. Ce n’est pas un
hasard.
Les Gracques utilisent des concepts qu’ils
maîtrisent mal.
Ainsi, pour
eux :
« Payer beaucoup d’impôts, ce n’est pas la punition des riches, c’est leur
rédemption »
(p. 103).
La rédemption,
disent-ils. Rien que cela ! Depuis quand apprend-on la théologie à
l’ENA ? Une fois encore, il s’agit d’un vocabulaire mystique sans aucune
recherche de l’absolu.
On rappellera que c’est
la Grâce qui permet seule la rédemption (Ephésiens I, 7). La rédemption est
gratuite (Romains III, 24). Si le riche respecte les commandements, cela peut
lui suffire. Si vraiment il veut acheter sa rédemption, c’est toute sa fortune
mal acquise qu’il doit abandonner (Matthieu XIX, 16 à 22). Evidemment, c’est
difficile. Les rentiers et les privilégiés d’aujourd’hui connaissent ce
dilemme. On peut aisément critiquer les rentes. On peut moins facilement les
abandonner dans l’espoir d’obtenir sa rédemption. Voilà pourquoi il est évoqué,
dans la Bible, les difficultés du chameau pour passer dans le chas d’une
aiguille (Matthieu XIX, 24) et le fait que les premiers peuvent être les
derniers (Matthieu XIX, 30).
La rédemption est
impossible dans l’impunité. On n’achète pas la rédemption, et surtout pas à bon
compte. Celui qui a profité d’un système qui a nui aux plus civiques ne peut se
racheter en jetant quelques oboles à la figure de ses victimes.
Les 30 deniers n’ont
pas forcément laissé un bon souvenir (Matthieu, XXVI, 15). Dans la Bible, ce
n’est pas pour la rédemption qu’on les donne mais pour payer Judas…
Les privilégiés, même
les plus intelligents, ont visiblement beaucoup de mal à saisir le sens du
sacré, et à comprendre les implications de la notion de sacrifice. Ce n’est,
hélas, pas nouveau.
Les
malheurs des Gracques
Le groupe de
réflexion des Gracques s’inspire de l’exemple des frères Tiberius et Caius
SEMPRONIUS GRACCHUS. Leur triste histoire mérite quelques brèves explications (Claude NICOLET, Les Gracques ou Crise agraire et révolution à Rome, Julliard,
Paris, 1967, réédition en 1980, 236 p.).
Les frères Tiberius
et Caius SEMPRONIUS GRACCHUS ont été élus tribuns de la plèbe respectivement
vers 134 et vers 122 avant Jésus-Christ.
A l’époque, à Rome,
l’armée était composée d’hommes libres. Les soldats devaient acheter leur
équipement. Seuls des paysans ou des artisans suffisamment aisés pouvaient le
faire dans l’infanterie. Les fils de grands propriétaires et de riches
commerçants pouvaient devenir cavaliers (en achetant un cheval et tout
l’équipement nécessaire).
Du fait de guerres
victorieuses mais difficiles au IIIème et au IIème
siècles avant Jésus-Christ, Rome avait perdu de nombreux soldats au combat.
Les familles privées
de pères ont été appauvries et ont dû vendre leurs terres à de puissants
propriétaires qui ont concentré les biens fonciers. Du coup, le corps civique
c’est rétrécit et le nombre de soldats disponibles commençait à baisser.
Les frères Gracques
ont proposé d’interdire aux riches d’accaparer les terres conquises par Rome.
Leur but était de partager ces terres pour installer des petits propriétaires
susceptibles ensuite de devenir soldats.
Les magnats terriens
l’ont extrêmement mal pris et les frères Gracques ont tous les deux été
assassinés dans des circonstances mouvementées.
Le plus curieux était
que leur père, leur grand-père et leur arrière grand-père avaient été consuls
(équivalent de co-président de la République pour un an).
Leur mère était la
fille de Scipion l’Africain, lui aussi consul et vainqueur de la Seconde guerre
punique, la plus grande épreuve que Rome ait dû surmonter face à Carthage.
En fait, malgré leurs
atouts, le grand malheur des Gracques a été de ne pas respecter les sources de
leur propre pouvoir.
Emmanuel MACRON
devrait méditer sur leur histoire.
La force
du sacré
Aussi riches et
célèbres aient-ils été, les frères Gracques étaient des plébéiens.
Un peu comme l’Ancien
Régime qui voyait s’opposer le tiers état et la noblesse, Rome comprenait des
patriciens et des plébéiens.
Les gens du tiers
état au XVIIIème siècle pouvaient être riches et même devenir
ministres, comme NECKER.
A Rome, à partir du
IVème siècle avant Jésus-Christ, de riches plébéiens pouvaient devenir
consuls. Par contre, la plèbe formait une partie distincte de la population.
Cela remontait aux
origines de la ville. D’après de récents travaux historiques, la Rome antique a
été fondée vers le VIIIème siècle avant Jésus-Christ.
De grandes familles
traditionnelles, chacune dirigée par un chef puissant (le pater familias),
détenaient un pouvoir important. On les appelait les patriciens. Leurs membres
siégeaient au Sénat.
La cité était dirigée
par un roi.
Vers 509 avant
Jésus-Christ, le roi aurait été renversé. Les patriciens auraient pris le
pouvoir absolu collectivement tout en veillant à ce qu’aucun d’entre eux ne
puisse rétablir la monarchie.
Ainsi sont nés les
consuls, deux chefs nommés pour un an et en même temps disposant d’un pouvoir
de commandement similaire à celui du roi. Ce pouvoir était appelé l’imperium.
Le Sénat, lui, par
son crédit spécifique, avait le pouvoir de donner plus de poids aux lois
proposées par les consuls. Ce pouvoir, c’était l’auctoritas.
Les populations
libres venues plus tard ou placées dans la dépendance des patriciens formaient,
quant à elles, la plèbe et n’avaient aucun pouvoir.
Ces plébéiens ont
remarqué qu’ils faisaient des sacrifices pour la patrie mais qu’ils étaient
méprisés par le patriciat.
Or, tout sacrifice a
un rapport avec l’absolu. Celui qui se sacrifie renonce un peu à vivre. Si, par
exemple, il se sacrifie pour que la patrie soit sauvée, il prend le risque de
mourir avant d’avoir vu si la patrie allait s’en sortir. Si la patrie est
finalement perdue, celui qui se sacrifie l’aura fait pour rien. Les plébéiens
ont donc exigé d’avoir désormais des garanties pour être certains d’être
respectés et pour que les sacrifices collectifs soient faits dans l’intérêt de
tous.
Puisque leurs
sacrifices n’étaient pas pris en compte, ils se sont retirés sur une colline de
Rome et ont fait sécession, en indiquant qu’ils ne reviendraient dans la Cité
que lorsqu’on les respecterait. Comme les simples promesses n’engagent que ceux
qui y croient, et que les patriciens étaient très capables de promettre
n’importe quoi, les plébéiens ont pris des précautions avant de revenir. Aussi,
ils ont désigné des tribuns de la plèbe dont la personne était inviolable, au
nom des serments sacrés faits par la plèbe. Ces tribuns spécifiques avaient le
pouvoir de protéger tout plébéien romain et de proposer des lois qui devaient
être approuvées par la plèbe, les plébiscites. On ne doit pas les confondre
avec les tribuns militaires qui dirigeaient l’armée sous les ordres des
consuls.
Peu à peu, les
patriciens ont ensuite accepté que les plus riches plébéiens puissent même
devenir consuls. Des mariages entre grandes famille patriciennes et plébéiennes
ont eu lieu. Une noblesse à la fois patricienne et plébéienne est née.
Les frères Gracques, bien
que leur père soit un puissant plébéien, avaient ainsi une mère patricienne
fille d’une illustre famille.
La
faute de Tiberius
Les tribuns de la
plèbe étaient dix et chaque tribun pouvait s’opposer à ce que proposait
individuellement un autre.
Lorsque les frères
Gracques ont chacun proposé des lois agraires, certains de leurs collègues se
sont opposés à eux.
En 134, l’ainé
Tiberius a cru bon faire destituer un de ses collègues pour surmonter le véto
de celui-ci. Ce fut une grande faute. Les tribuns de la plèbe étaient inviolables.
En portant atteinte à cette inviolabilité, Tiberius se mettait lui-même en
danger. Ses ennemis en ont rapidement profité et ont récidivé contre son frère
cadet dix ans plus tard.
C’est exactement
l’impression que donne Emmanuel MACRON.
Ses objectifs
affichés sont louables.
Toutefois, pour y
parvenir, il utilise des voies technocratiques et autoritaires.
C’est un vieux défaut
des élites trop sûres d’elles.
Le groupe de
réflexion des Gracques est composé de
technocrates pratiquant l’entre-soi.
Les frères Gracques
de Rome étaient des fils de très bonne famille se sentant un peu supérieurs.
Dans les deux cas,
ces dirigeants pensent que l’on peut faire le bien du peuple en lui forçant la
main. Ce n’est jamais une bonne idée. Mieux vaut réfléchir au poids du sacré et
à l’importance des fractures passées. Les promesses et la violence au nom de
l’avenir se terminent toujours de la même manière.
Quelques années après
la disparition des Gracques, Rome a basculé dans la guerre sociale (90 à 88
avant Jésus-Christ), au sens de guerre entre Rome et ses cités alliées (les socii).
Ce fut une épreuve
extrêmement grave (avec des massacres spectaculaires des deux côtés) qui a
préfiguré la fin de la République, avec l’ascension de l’infâme assassin Sylla,
qui allait lancer la carrière du sulfureux Pompée. Ce dernier a fini par être battu
par un de ses alliés, un certain César.
En bref, avoir des
buts louables n’est pas suffisant. Les méthodes ne doivent pas être contraires
aux objectifs poursuivis. Pour allouer de manière plus égale le pouvoir dans la
société, mieux vaut ne pas concentrer le pouvoir entre ses mains. Pour rompre
avec l’entre-soi et l’exclusion d’une partie importante de la société, mieux
vaut ne pas se replier sur une petite élite technocratique.
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