Aujourd’hui sort le n°
58 de Droits et construction sociale.
Ledit bulletin est
consacré à la recherche-action sur l’émancipation coopérative par le droit.
Le but est de rompre avec des conceptions problématiques
de la connaissance juridique.
L’accès au droit
n’est pas un produit de consommation gratuit issu d’une corne d’abondance à
destination d’usagers passifs.
Ce n’est pas non plus
un corpus de paroles magiques venues d’en haut qui vont changer comme par enchantement
la société.
C’est encore moins
une protection infaillible qui permettrait à chacun de préserver son statut
sans s’intéresser au reste du monde.
On doit également
refuser de considérer le droit comme le moyen de gruger son prochain en lui
imposant des charges auxquelles on échappe.
Les règles de droit sont des outils pour organiser la
société.
Chacun peut avoir ses
objectifs, dans ce cadre.
Pour certains, il
s’agit d’atteindre l’émancipation coopérative. Cette dernière consiste, pour des citoyens, à s’organiser afin
d’agir collectivement et de supprimer la
fracture entre exploiteurs et exploités, dominants et dominés, dirigeants et
dirigés.
Cela implique un mode
de fonctionnement où chacun est animateur à tour de rôle et où nul n’accapare
la direction du groupe.
Comment le droit
peut-il aider à ce processus d’émancipation coopérative ? En devenant un
outil d’organisation pour encourager les actions émancipatrices dans la
société.
Comment accéder à ce
savoir organisationnel qui incite à l’émancipation ? En valorisant la
mémoire des actions collectives conduites par des groupes coopératifs depuis
des décennies.
Pourquoi est-ce
difficile ? Parce que les Français
sont habitués à une tradition jacobine où des individus s’adressent à des
individus. Le savoir des groupes coopératifs les indiffère souvent.
C’est là que la
notion de recherche-action est utile, parce qu’elle implique que le chercheur soit
également acteur du système qu’il étudie.
Trop souvent, les consommateurs se perçoivent comme des
éléments extérieurs au système dont ils attendent des prestations.
Or, la situation est
un peu plus complexe que cela.
Tout citoyen qui veut
bénéficier d’une prestation de qualité doit se voir comme l’élément d’une
structure performante.
A défaut de consommer
une prestation, on peut être aussi être le représentant d’une institution
gardienne du pluralisme ou bien un citoyen isolé veillant à ses intérêts
personnels, voire un lanceur d’alertes ou même un membre d’un groupe
coopératif.
Dans les faits, le
plus souvent, les justiciables sont bel et bien des citoyens isolés utilisant
des structures publiques ou privées pour parvenir à leurs propres fins.
Dans ce cas, le
citoyen isolé n’a qu’à compter que sur lui-même. Qu’il évite d’attendre quoi
que ce soit des structures économiques, des institutions, des groupes
coopératifs ou des lanceurs d’alertes.
En effet, l’état de
citoyen isolé est la situation générale des habitants de ce pays. Pour y
échapper, il existe à chaque fois des critères objectifs à remplir. Et la
plupart du temps, malgré leurs proclamations un peu vaines, les citoyens ne
remplissent pas ces critères.
Ainsi, n’est pas
membre d’une structure performante qui veut. La performance n’est atteinte que si la structure est soumise à une
évaluation régulière. Cela implique une compétition par rapport aux autres
structures similaires. La simple proclamation du caractère satisfaisant du mode
de fonctionnement dans lequel on veut s’inscrire est radicalement insuffisante,
de ce point de vue.
Trop souvent, les
justiciables veulent solliciter des juristes sans s’intéresser à la structure
d’exercice de ces derniers. Les professionnels du droit auront-ils une
rémunération satisfaisante et incitatrice pour les jeunes ? Pourront-ils
consacrer des efforts à la formation ? En cas d’accident, qui remplacera
le professionnel sollicité ? Quelles charges assumeront-ils ? Si l’on
ne souhaite pas payer le professionnel, compte-t-on sur ses adversaires pour les
payer ? Est-ce que cela ne conduira pas le professionnel à rallier
idéologiquement ses adversaires ?
Le comportement du
client est donc déterminant pour le bon fonctionnement de la structure. Si ce
comportement n’est pas satisfaisant, la structure n’est pas performante. Le
client ne peut donc pas se contenter de prétendre que sa propre attitude est
satisfaisante, mais il doit le prouver.
Au final, la
prestation de qualité fournie par une structure performante résulte donc d’une construction sociale, entre acteurs
différents.
Pour échapper à cela,
les citoyens veulent parfois avoir autorité sur le prestataire en se prenant
qui pour le maire, qui pour le président de la chambre des notaires, qui pour
le Bâtonnier… Au-delà du fait que l’usurpation de fonctions est un délit, une institution n’a de légitimité que si
elle défend efficacement le pluralisme. Un maire qui se changerait en
despote ou un bâtonnier qui détournerait ses pouvoirs, redeviendrait un citoyen
isolé aussi.
Les citoyens isolés
essaient alors de se faire passer pour des émancipateurs coopératifs. Or, il existe des règles collectives de
fonctionnement indispensables pour prétendre parler au nom d’un groupe
coopératif. Quand on agit sans prévenir les autres et sans leur accord, on
n’intervient qu’en son nom propre.
Les citoyens isolés
ne peuvent certainement pas se faire passer pour des lanceurs d’alertes. Ces derniers ne réclament jamais à ce titre
une prestation, puisqu’ils doivent rester indépendants des structures qu’ils
critiquent. A la rigueur, ils peuvent être membres à titre personnel d’un
collectif coopératif, d’une institution pluraliste ou d’une structure
performante, mais ils n’exercent alors pas leur qualité de lanceur d’alerte à
l’égard du groupe dont ils font partie.
En conclusion, le
citoyen est le plus souvent isolé, et il a droit de l’être. Toutefois, dans ce
cas, il doit être conscient du fait qu’il doit
se tenir à distance pour bénéficier de la connaissance juridique
émancipatrice.
Le citoyen isolé,
notamment, ne doit pas perturber les actions collectives, qui sont essentielles
pour se souvenir des pratiques antérieures. Si les collectifs disparaissent, la
compétition entre structures est viciée, les institutions oublient le
pluralisme et les lanceurs d’alertes s’abandonnent à la prophétie creuse ou à
la fantaisie.
La recherche-action
sur l’émancipation par le droit n’est donc pas une de ces expressions en
caoutchouc manipulables par des consommateurs autocentrés. C’est un mode de
fonctionnement exigeant impliquant pour tous les acteurs des devoirs à
respecter. Chacun, à ce titre, doit savoir où il se place pour pouvoir saisir
les obligations qui s’imposent à lui.
Cette diversité des
rôles permet aussi d’accomplir une pluralité
de tâches toutes indispensables pour conduire une recherche-action efficace.
Les collectifs
pérennes, et donc de préférence coopératifs, ont la mémoire des actions
collectives passées, ce qui constitue un atout au plan de la connaissance historique.
Les structures
performantes reposent sur une mécanique
efficace au plan économique.
Pour que les actions
collectives soient pérennes et les structures performantes, les institutions
doivent protéger la diversité des groupes pour la richesse de la connaissance
historique. Elles doivent aussi protéger la pluralité des structures, pour une
compétition efficace. Cela implique une attention particulière aux liens
sociaux, et donc une sociologie du
pluralisme.
Le citoyen isolé peut
souhaiter, à titre personnel, se conformer à l’interprétation par les autorités des règles qu’il doit suivre.
C’est ce qu’il appelle le droit.
Cela ne le dispense pas de faire de l’économie s’il attend une prestation à ce
titre, de l’histoire, s’il souhaite s’inscrire dans une action collective
pérenne et de la sociologie s’il souhaite nouer un partenariat avec des
institutions pluralistes.
En outre,
l’interprétation actuelle des règles est susceptible de varier du fait des implications idéologiques des choix présents
qui peuvent être contestables, d’où le rôle des lanceurs d’alertes qui obligent
tous les acteurs à faire face aux conséquences de leurs décisions.
La connaissance de
l’émancipation par le droit implique donc de mener cinq recherches de front, au
plan historique, économique, sociologique, juridique et idéologique.
Les adversaires de
l’émancipation par le droit le savent et tentent d’utiliser cette complexité
pour déstabiliser les émancipateurs en leur posant, par exemple, une question
au plan de l’idéologie puis, quand on leur répond sur ce point, en abordant des
questions juridiques, puis, quand ont leur répond sur cet autre point, en
parlant de sociologie, et ainsi de suite.