MACRON
et la question jupitérienne
On ne cesse de parler
de la dimension jupitérienne de la présidence d’Emmanuel MACRON. C’est à la
fois compréhensible et « en même temps »
un peu rapide. Cette ambiguïté doit être levée pour éviter tant les
épouvantails que les mirages. Les citoyens réellement investis dans des
démarches émancipatrices concernant l’habitat ne doivent ni cauchemarder, ni se
faire d’illusions.
Emmanuel MACRON n’a
pas explicitement revendiqué la qualité de président jupitérien. Dans un
célèbre entretien accordé au journal Challenges
en octobre 2016, il expliquait, pour s’en démarquer, que « François Hollande ne
croît pas au ‘‘président jupitérien’’ » (https://www.challenges.fr/election-presidentielle-2017/interview-exclusive-d-emmanuel-macron-je-ne-crois-pas-au-president-normal_432886
).
Une interprétation a
contrario de ce passage impliquerait que MACRON, puisqu’il se démarque de
HOLLANDE, est donc jupitérien lui-même.
Or, toute
interprétation a contrario est souvent réductrice. Chaque juriste honnête le
sait bien. On peut regretter le comportement anti-jupitérien d’une personne
sans pour autant être jupitérien soi-même.
Dans la mesure où la
confusion règne sur le participatif et l’horizontalité qui seraient la
caractéristique de la nouvelle majorité politique (selon ses membres), il est
temps de mettre les choses au clair.
Emmanuel MACRON est
effectivement un dirigeant autoritaire montrant un goût prononcé pour le
sacrifice des autres sans se rendre compte des dangers que cela fait courir à
la société et à lui-même.
Ce n’est pas une
surprise. Même le présent blog l’avait annoncé dès le début de 2016 (http://bit.ly/1QbDhw4).
Cela
ne veut pas dire qu’il soit jupitérien pour autant. En fait, ses propos
semblent relever d’une toute autre approche.
Le rejet de la rente
Son
discours est centré sur la lutte contre la société de rente. Cela transparaît
clairement dans le deuxième volet de son entretien accordé à Challenges quand il déclare : « Nous restons
confinés dans une approche étatiste de la solidarité, une approche
insuffisamment mobile débouchant sur une société de statuts. » (https://www.challenges.fr/election-presidentielle-2017/emmanuel-macron-face-au-systeme-ma-volonte-de-transgression-est-forte_433063).
Pour Emmanuel MACRON,
la mobilité sociale permet de redonner de l’espoir et évite aux populations
fragiles d’être assignées à des identités négatives ou à des quartiers abandonnés
sensibles à des propagandes religieuses malsaines.
C’est ainsi que, dans
le troisième volet de son entretien à Challenges,
il déclare : « Quand la République estime que l'aide sociale suffit à
tout, elle ne construit pas les voies d'une indispensable mobilité sociale ».
En
effet, il rappelle que « Quand la République exclut, elle renvoie les gens à ce
qu'ils croient être leur identité, celle d'origine de leurs parents. ».
Puis, il constate :
« Une identité, par nature, n'est pas " heureuse " ou
" malheureuse ". Une identité est en mouvement et se
construit sans cesse. » Cela montre
bien qu’une personne ne doit pas être enfermée dans une identité liée à sa couleur
de peau ou à une culture, d’où l’importance de la mobilité pour donner des
perspectives positives à tous.
Très logiquement,
Emmanuel MACRON veut une société mobile brisant les statuts pour que chacun
puisse se libérer de sa condition. Ainsi, il déclare : « Oui, il va
falloir accepter des changements de vie ; mais ces changements devront
permettre à chacun de trouver sa place. Cette
vie se composera différemment avec un engagement de formation que nous ne
tenons plus, une promesse d'émancipation sociale que nous ne respectons plus. »
Cette vision du monde
est très claire. C’est certainement elle qui a fait gagner à Emmanuel MACRON
les présidentielles puis les législatives. Bien entendu, il a aussi bénéficié
des tribulations des partisans de François FILLON ainsi que des défiances
profondes entre ses plus fervents adversaires, à savoir le FN et les Insoumis.
Les partisans de
Marine LE PEN n’ont pas une croyance illimitée en la capacité de Jean-Luc MÉLENCHON
à appliquer la politique migratoire qu’ils souhaitent au vu de ses déclarations
passées.
Les Insoumis n’ont
pas tous une foi enthousiaste en la dirigeante du FN concernant la défense des
droits syndicaux du fait de ses déclarations sur les prétendues immunités des représentants
du personnel, par exemple…
On ne reviendra pas
sur les procès qui ont opposé ou qui opposent membres du FN et Insoumis sur des
propos plus ou moins amènes ou sur des dénonciations croisées…
Le fait d’avoir des
ennemis jurés qui s’entendent très mal entre eux est un réel avantage, mais il
n’en reste pas moins que la victoire d’Emmanuel MACRON et de sa République En
Marche n’a pas été que par défaut.
Certains électeurs n’aiment
pas la société des statuts. Du coup, ils pensent que la mobilité est une
solution à la crise de confiance du pays, et ils ont voté en conséquence.
Paul
RICOEUR et « le monde tel qu’il va »
On notera que le
discours d’Emmanuel MACRON contre les statuts n’est pas nouveau. Chacun se
souvient de son envolée sur les fonctionnaires, dont le statut ne serait
désormais plus adapté « au monde tel qu’il va » (http://www.lexpress.fr/actualite/pour-macron-le-statut-des-fonctionnaires-n-est-plus-adapte-au-monde-tel-qu-il-va_1717356.html
).
Cette intervention
censée être « off » devant
le think-tank dénommé En Temps Réel avait été révélée par la
rédactrice en chef de Challenges,
Ghislaine OTTENHEIMER en septembre 2015 (https://www.challenges.fr/politique/pour-emmanuel-macron-le-statut-de-la-fonction-publique-n-est-plus-adequat_54087).
Manifestement,
Emmanuel MACRON n’en a pas voulu à ce magazine auquel il a accordé donc accordé
son long entretien de 2016…
On peut même se
demander si le ministre de l’économie de l’époque n’était pas satisfait que ses
observations soient rapportées tout en pouvant démentir qu’elles soient
officielles pour ne pas trop heurter le président de l’époque…
Aujourd’hui, le
magazine Challenges peut se réjouir
du fait qu’Emmanuel MACRON n’ait pas changé complètement d’idées et qu’il
compte découpler les différentes fonctions publiques, ce qui s’intègre
parfaitement à sa pensée selon laquelle certaines protections se justifient et
d’autres moins (http://www.rtl.fr/actu/politique/le-journal-de-12h30-macron-veut-reorganiser-la-fonction-publique-7789390082)…
Une telle approche
vaut à Emmanuel MACRON une rancœur tenace de la part de nombreux Français fascinés
par les rentes ou les privilèges, d’où l’extrême tension de la campagne
électorale.
Or, le LGOC, qui
édite le présent blog, ne cesse d’y pourfendre depuis 2013 les rentes et les
statuts. Dans le numéro 1 de Droits et
construction sociale paru en juillet 2011, le LGOC soulignait aussi la
nécessité de quitter une conception statutaire du droit.
Ici, il ne saurait
donc être question de se plaindre des propos iconoclastes tenus par celui qui
est désormais le président de la République. Bien entendu, ce dernier n’a pas
été influencé par le LGOC. En fait, une inspiration commune peut être signalée.
Ce refus des identités
figées et des statuts qui empêchent l’adaptation sociale font penser à Paul
RICOEUR (1913-2005), dont Emmanuel MACRON a été l’assistant éditorial.
RICOEUR n’était pas l’homme
de l’interprétation fixée une fois pour toute. Pour lui, le sens d’un texte
pouvait toujours faire l’objet de réajustements permanents (Voir Paul RICOEUR, La Métaphore vive, Seuil, Paris, 1975, 414 p.).
Cela ne pouvait qu’entraîner
la condamnation de l’expertise insolente et des interprètes prétendant avoir une
position de domination intangible.
Certains tenants de
RICOEUR ne l’ont visiblement pas compris (http://www.slate.fr/story/144517/ricoeur-eclairer-voire-critiquer-macron)
et ont subi une vive déconvenue sans doute méritée lors des élections de 2017.
MACRON
Hermès ou MACRON Jupiter ?
Ce
refus des positions acquises une fois pour toutes n’est pas jupitérien.
Même des adversaires
d’Emmanuel MACRON en ont eu l’intuition en lui reprochant d’être plutôt herméneutique
que jupitérien, d’être donc un disciple d’Hermès, le dieu des banquiers et des
voleurs, ou même d’être plus favorable à uber qu’à Jupiter (http://lelab.europe1.fr/pierre-joxe-compare-emmanuel-macron-a-hermes-le-dieu-des-banquiers-et-des-voleurs-2882933 ).
On notera qu’à propos
du dieu des commerçants et des voleurs, le LGOC préfère parler de modèle
mercurien, en référence à Mercure, l’équivalent latin d’Hermès (D&CS n° 58, Pour une recherche-action sur
l’émancipation coopérative par le droit).
L’herméneutique,
quant à elle, est plutôt un concept philosophique lié à l’art de l’interprétation,
ce qui est neutre (H. G. GADAMER, L’Art de comprendre. Ecrits I Herméneutique
et tradition philosophique, Aubier Montaigne, Paris, trad. Marianne SIMON, 1982,
295 p.).
Une herméneutique n’est
pas forcément mercurienne.
Elle peut être
jupitérienne, lorsqu’elle repose sur la domination d’un groupe voulant imposer
ses vues à la société, comme Jupiter jette sa foudre depuis l’Olympe sur les
hommes.
Elle peut aussi, il
est vrai, être mercurienne, lorsqu’elle sert à des consuméristes vénaux pour
lesquels toutes les interprétations se valent et où celle qui est choisie est celle
qui rapporte le plus.
L’herméneutique peut également
être saturnienne, lorsqu’elle est un pouvoir d’interpréter devenant l’apanage de
notables mesquins et aigris repliés sur leurs statuts, comme le dieu Saturne
qui, obsédé par l’idée de garder son pouvoir, en venait à dévorer ses enfants
pour qu’ils ne prennent pas sa place.
L’herméneutique peut
même être plutonienne lorsque des individus vautrés dans l’opulence ou dans le
désir de celle-ci, pensent que tout peut tomber d’une corne d’abondance. Cette
dernière était possédée par Pluton, dieu de l’enfer et de la mort, qui
disposait des richesses de tous ceux qui sont décédés. Les bobos adorent
profiter du travail de ceux qui nous ont quittés… Ce sont bel et bien des plutoniens !
Que dire d’Emmanuel
MACRON et de sa volonté permanente de combattre les statuts ? Cette
volonté explicite d’émancipation s’oppose à la niaiserie bohème plutonienne, au
consumérisme mercurien peu scrupuleux et à la rigidité de notable saturnien.
Elle pose problème à la bureaucratie jupitérienne qui croit qu’elle va changer
de monde d’un coup de baguette magique du haut de sa compétence.
Une vision
plus prométhéenne que jupitérienne
Si Emmanuel MACRON
était fidèle à ses propos contre les statuts, il serait plutôt un partisan du
modèle prométhéen.
Prométhée
est celui qui aide les hommes à se libérer, quitte à fâcher Jupiter, même s’il
a avec lui un rapport équivoque.
Jupiter demande
souvent l’aide de Prométhée. Bien sûr, Jupiter punit Prométhée en l’enchaînant
au Tartare et en lui faisant dévorer le foie par un aigle après que Prométhée
ait volé le feu pour le donner aux humains. Jupiter jure même que Prométhée
sera enchaîné au Tartare pour l’éternité.
« En même temps », Jupiter
laisse Hercule délivrer Prométhée. Pour que Jupiter ne perde pas la face,
Prométhée garde une chaine à son pied avec un petit morceau du Tartare accroché…
Lorsque Jupiter,
imitant son père Saturne, dévore son épouse Métis par peur de voir l’enfant qu’elle
porte le détrôner, il est pris d’un affreux mal de tête. C’est Prométhée qui aide
Jupiter en le trépanant. Ainsi naît Minerve.
Prométhée est donc
celui qui aide Jupiter à ne pas dériver. Cela énerve Jupiter et « en même temps », Prométhée
est un appui indispensable.
Emmanuel MACRON
saura-t-il se changer en Prométhée pour remettre en cause les statuts tout en
gênant les élites administratives jupitériennes ?
On ne peut qu’être
particulièrement inquiet au regard de ses débuts et surtout des équilibres
institutionnels de la Ve République.
Une
République jupitérienne malgré tout
Ghislaine
OTTENHEIMER, qui travaille donc à Challenges,
un journal qu’on ne peut pas suspecter d’anti-macronisme primaire, a justement
fait paraître un livre prémonitoire en 2015.
(Ghislaine OTTENHEIMER, Poison présidentiel, Albin Michel, 2015, 253 p)
Le système actuel
conduit le président élu directement à bénéficier d’une majorité à l’Assemblée
nationale dont il est le porte-étendard. Dans le cas du président actuel, ce
trait est accentué par le fait que les députés marcheurs et MODEM lui doivent
tout.
On a donc un
président disposant d’une légitimité directe s’imposant à une majorité
présidentielle particulièrement docile. Le premier ministre, nommé par le
président et soumis à la majorité, ne peut pas faire grand-chose sauf s’incliner
s’il veut garder sa place. Quand en plus son assise politique est faible, comme
pour le premier ministre actuel, on imagine le lien de dépendance !
Aucun contre-pouvoir
n’existe, sauf la peur du président de provoquer une colère d’autant plus vive
du peuple que celui-ci estime ne pas avoir de relais crédibles pour faire
passer des messages.
Le bavardage
participatif ne trompant personne, le président en est réduit à maintenir les
statuts et les privilèges pour éviter les tensions et le désordre. C’est pour
cela que la France ne se réforme pas et qu’elle est bien plus sclérosée et
injuste que les pays voisins.
S’y ajoute une forme
de lâcheté, le président s’en prenant plus facilement à ceux qui ne
protesteront pas. Les militaires, par exemple, sont jugés dociles. On peut les
honorer une fois par an au plan symbolique, ce qui ne mange pas de pain, avant
de les contraindre à bien des missions avec toujours moins de revenus…
Tout ceci provoque une
forme de fermentation. Ceux qui s’estiment toujours sacrifiés créent une
fracture identitaire d’une très grande violence face à laquelle les élites qui
entourent le président sont non seulement impuissantes mais toujours plus
complaisantes pour avoir la paix.
Le président se
comporte comme un Jupiter aux abois avec tous les défauts que la mythologie
relève (démesure, caprices, dissimulations, incapacité à se faire obéir,
mélange de peur d’être renversé et de souffrance face à sa propre inquiétude…).
La crise de nos
institutions est donc liée au fait que le président est un Jupiter qui n’a pas son Prométhée pour
l’aider, l’équilibrer, le sauver même, parfois, mais aussi lui résister quand c’est
nécessaire.
Emmanuel MACRON parlait
d’émancipation et de lutte contre les statuts. Tant qu’il était dans le rôle du
Prométhée de François HOLLANDE, cela pouvait passer. Maintenant qu’il est à la
place de Jupiter, on peut douter qu’il se souvienne vraiment de ses promesses.
Saura-t-il créer des
instances prométhéennes pour lui faire face ? Le confort jupitérien risque
d’être trop grand.
Le nouveau président
ressemble donc à un Prométhée empoisonné et changé en Jupiter par les délices
du présidentialisme outrancier.