Un
nouveau courant de pensée
Un livre très
intéressant vient de paraître.
Marc HUMBERT (dir.), Reconstruction de la société. Analyses
convivialistes, Presses universitaires de Rennes, 220 p., Rennes, 2017,
Collection économie et société
Marc HUMBERT enseigne
l’économie à l’université de Rennes 1. De 2008 à 2012, il a dirigé la Maison
franco-japonaise à Tokyo.
En 2002, Marc HUMBERT
a fondé l’organisation non gouvernementale
internationale PEKEA (a Political
and Ethical Knowledge in Economic Activities) qui s’inscrivait dans la
continuité des travaux du MAUSS (Mouvement Anti-Utilisariste dans les Sciences
Sociales).
Par suite, en 2013,
un manifeste convivialiste a été mis en place (voir http://www.lesconvivialistes.org).
300 chercheurs
l’auraient rejoint en ligne.
Un colloque a été
organisé à Rennes les 26, 27 et 28 octobre 2015.
Le livre commenté est
issu de cet événement.
Café or
not café ?
Le 05 mai 2017,
l’Université de Bretagne Occidentale a organisé à Brest une rencontre autour de
Marc HUMBERT et des analyses convivialistes, à l’invitation du professeur Alain
PENVEN.
Les étudiants du
master d’intervention sociale ont animé cette journée qui était intitulée
« Café or not café ». Le
but fut de réfléchir au fait que l’attitude convivialiste dépasse sans doute le
simple fait de partager un café avec des collègues autour de la machine
destinée à cela dans une entreprise.
La
position de Marc HUMBERT exprimée à Brest
En tant
qu’économiste, Marc HUMBERT s’interroge sur la notion de valeur de marché.
Pour lui, ce qui
prime est de bien vivre ensemble. Dans une société marquée par des tensions
plus fréquentes liées à la raréfaction de certaines ressources, il est
important de savoir s’opposer sans se
massacrer, à l’image des chevaliers de la table ronde arthurienne qui
avaient des différences voire des différends mais s’asseyaient à égalité autour
d’une table.
Des recherches comme
celles sur les ISBET (Indicateurs Sociétaux de Bien-Être Territoriaux)
suscitent son attention.
L’analyse
convivialiste se définirait, pour Marc HUMBERT, comme le fait de prendre soin des autres et de la nature.
L’activité économique
devrait moins être centrée sur la vente que sur la notion de service des autres
et de délibération.
Le but est donc
d’aller vers une société de convivialité. Même si cela semble utopique, Marc
HUMBERT insiste sur le fait que les convivialistes ne sont pas seuls et cite l’idée
de Bénédicte MANIER selon laquelle il y aurait un million de révolutions
tranquilles.
Par assimilation à la
Déclaration d’indépendance des USA, les convivialistes ont donc proposé une
sorte de Déclaration d’interdépendance.
Pour rassembler les
convivialistes, Marc HUMBERT propose un socle de 4 principes : la fraternité (du fait d’une commune
humanité), la solidarité (du fait
d’une commune socialité car on ne fait rien tout seul), l’individualisation (pour permettre à chacun de gagner un pouvoir
d’agir sur sa propre vie, ce que l’on appelle l’empowerment), et l’égalité
(c’est-à-dire l’opposition maîtrisée entre les personnes ayant des intérêts
divergents).
Tout ceci devrait
permettre de réorienter l’action collective en évitant l’hubris (démesure, en grec ancien, liée au fait de se mettre à la
place des dieux).
Au lieu de
s’abandonner au culte de la croissance perpétuelle, il faudrait
dé-financiariser et éviter les outils managériaux trop gros qui asservissent au
lieu de servir.
Garantisme
civique et convivialisme
Interrogé par le LGOC
(qui tient le présent blog) sur la notion de réciprocité, au cœur de la coopération
pour des économistes américains, allemands et suisses, Marc HUMBERT a indiqué
que cela semblait compatible avec le courant convivialiste.
On peut noter la
proximité des vues exprimées par Marc HUMBERT avec les principes développés sur
le présent blog, très attaché à l’interdépendance et à l’idée d’une société où
priment les structures relationnelle.
Pourtant, le LGOC
n’est pas convaincu et ne compte pas rejoindre le mouvement convivialiste. Les
convivialistes ne sont pas des tenants du garantisme civique.
Les objectifs sont
identiques mais les moyens sont distincts voire même radicalement antagoniques.
Mais, comme le dit
Marc HUMBERT, sachons nous opposer sans nous massacrer.
Des
contributions décevantes
Dans l’ouvrage paru
en 2017 et commenté ici, un certain nombre d’articles sont contestables.
La plupart des
auteurs nous infligent un catalogue de bonnes intentions, ce qui est à la fois
moraliste et déplacé. De nombreux Français ont agi pour des missions d’intérêt
général, souvent sans être rétribués ni reconnus. La moindre des choses est de
leur rendre hommage avant de les mépriser en les appelant à devenir
convivialistes comme s’ils avaient des efforts à faire. Ce manque de respect
explique justement la montée des colères populistes et du refus de s’impliquer
pour le bien commun de la part de ceux qui voient comment sont traitées les
personnes qui se dévouent.
De ce point de vue, on ne peut que regretter
le manque d’épaisseur civique des contributions de Jean BAUBÉROT (« Le convivialisme et la
laïcité »
pp. 39 à 49), que l’on a connu mieux inspiré, mais surtout de Florence
JANY-CATRICE (« Le convivialisme et la mesure des performances », pp. 65 à
69), de Patrick VIVERET (« Les tâches d’un mouvement convivialiste » pp. 119- 126), d’Anne-Marie FIXOT (« Le convivialisme et la
ville. Vers une convivance urbaine », pp. 159 à 166), de Pierre
MONÉGER-ROGGE « Le convivialisme au quotidien » pp. 167-170 et de Josette COMBES,
« Le
convivialisme et le modèle associatif », pp. 181-191
Quant à d’autres
articles, ils relèvent de la propagande politicienne libérale libertaire maladroite,
et notamment ceux de François FLAHAUT (« Pour une école plus conviviale » pp. 51 à 55),
de Susan GEORGE (« Le convivialisme face aux enjeux des échanges et des traités
internationaux de commerce et d’investissement » pp. 87-94),
de Christophe FOUREL (« Le convivialisme et les monnaies complémentaires », pp. 95-102),
de Jean-Baptiste de FOUCAULD (« Le pacte civique et le convivialisme », pp.
133-140), , de Denis VICHERAY (« Le convivialisme et le mouvement utopia » pp. 153 à
158), de Gustave MASSIAH (« Le convivialisme et l’engagement dans la solidarité internationale », pp.
141-146), de Jean-Claude PIERRE (« Le convivialisme et l’écologie » pp. 147 à
152) et de Bruno TARDIEU, « Le convivialisme et le quart monde » pp. 171 à 180.
Des diamants
au milieu des cailloux
Par contre, on repère
de très beaux passages perdus dans ce fatras. Même s’il est possible de ne pas
être d’accord avec leurs auteurs, qui d’ailleurs divergent entre eux, cela
sauve tout l’ouvrage.
Thomas COUTROT (« Le convivialisme vu
d’ATTAC »,
pp. 127-132), qui est tout sauf un acteur neutre ou un théoricien éthéré, a le
courage de mettre les pieds dans le plat en remarquant que les analyses
convivialistes ne répondent pas aux critères de la conquête du pouvoir d’agir
tels que les avaient énoncé Saul ALINSKY.
Thomas COUTROT
rappelle, en effet, que ces principes sont : « désigner l’adversaire,
identifier les ‘‘nous’’ de l’action collective, entrevoir des possibilités
d’alternatives de long terme, viser des victoires concrètes immédiates qui
renforcent la dynamique de l’action à moyen terme »
C’est très
intéressant, efficace, concret et important. Tous les articles cités plus haut
l’oublient et s’égarent dans le fumeux sur un ton doctrinaire justement à cause
de cela.
Aussi, Thomas COUTROT
propose à long terme le contrôle de la société civile sur les pouvoirs
institués et à court terme la socialisation du système bancaire.
Ce sont des objectifs
clairs et non pas un appel à la fidélité aveugle à des coteries universitaires
ou à la firme politicarde qui dirigeait EELV ou le PS…
L’article le plus impressionnant est surtout
celui de Pierre-Olivier MONTEIL, « Le convivialisme et la question de l’autorité en
politique et en management », pp. 57 à 64. Sa lecture laisse KO au vu de la finesse
d’analyse qui y est manifestée.
Cet auteur aborde le vrai problème central de
l’action collective actuellement, à savoir l’« hyper-sélectivité
des rapports affinitaires qui privilégient aujourd’hui l’entre-soi, par
contrecoup des difficultés à affronter la conflictualité des relations » (p. 60).
La solution est d’« agir avec l’autre
plutôt que sur ou contre lui » (p. 62).
Pierre-Olivier MONTEIL propose la solution
suivante :
« L’action volontaire est habitée par l’intention de
donner de soi. La visée d’influer sur l’autre ne lui est pas étrangère. Celle
de l’obliger par le don n’est pas loin. Pour limiter la violence que cela
comporte, il convient donc d’équilibrer
le pouvoir par l’autorité, en allégeant l’acte de donner par la gratitude
d’avoir soi-même reçu. Pour répliquer à l’actuelle prolifération d’un faire qui
aboutit, trop souvent, à l’instrumentalisation de chacun par chacun, une
éthique convivialiste pourrait s’attacher à réhabiliter la réceptivité ».
C’est lumineux !
Sortir de « l’instrumentalisation de chacun par chacun » est justement
le projet du LGOC et explique que l’IGCHF ait été lancé pour bâtir un rapport
réellement coopératif au savoir.
Une
excellente base de réflexion
Ensuite, un autre auteur présente un projet
social fort avec une argumentation théorique très solide. Même si le LGOC n’est
pas du tout d’accord, il faut lui rendre hommage. Il s’agit de Serge LATOUCHE (« La décroissance comme projet métapolitique. Le
problème de la démocratie directe castoriadienne »
pp.
71 à 85).
Cet article prône une
société prône une démocratie authentique basée sur l’expression de tous les
citoyens ainsi qu’une révolution mentale pour construire une société d’abondance
frugale à la GANDHI. La satyagraha (désobéissance passive) et l’autonomie à la
GANDHI (swaraj) sont cités comme des outils pour y parvenir.
Le problème est que l’auteur
pense combiner la démocratie intégrale de CASTORIADIS et la convivialité d’ILLICH.
Ces deux penseurs sont décédés. Or, ils n’ont jamais aimé les camarillas
universitaires. Par bien des aspects, le mouvement convivialiste en est une.
Pierre ROSANVALLON a décrit de manière éclairante l’usure des héritiers de mai
1968 avachis dans les positions institutionnelles.
Pour ne rien arranger, on peut craindre que
la notion de convivialité telle que la pensait ILLICH ait été grossièrement mal
lue. On rappelle le texte l’ILLICH : « J’appelle société conviviale une société où l’outil
moderne est au service de la personne intégrée à la collectivité, et non au service
d’un corps de spécialistes. Conviviale est la société où l’homme contrôle
l’outil »
(Ivan ILLICH, Œuvres complètes, volume 1, Fayard, Paris : La convivialité pp. 449 à 580 (Seuil
1973-1975).
C’est donc l’outil
qui doit être convivial et non l’homme. Appeler des individus à être conviviaux
est une absurdité dangereuse.
La convivialité ne
doit donc pas servir à contraindre les membres des catégories populaires à
accepter une proximité qui les détruit avec des individus problématiques.
Les bobos somment le
peuple, au nom d’une prétendue convivialité, de supporter les délinquants et
les inciviques (voire pire). Les bobos s’abstiennent, en ce qui les concerne, d’accepter
cette proximité, bien entendu.
L’homme n’a pas à
être convivial. Sinon, il est transformé en objet. C’est bien le problème de la
pensée bohème qui souhaite instrumentaliser des citoyens pour les sacrifier en
faveur de politiques d’ailleurs catastrophiques et inefficaces.
En citant ILLICH
précisément, Serge LATOUCHE s’est exposé à cette critique. C’est à la fois
courageux et salutaire. C’est comme cela que la pensée avance.
Ma même observation peut être faite à l’égard
d’Alain CAILLÉ (« Le
convivialisme comme philosophie politique » pp. 31 à 38).
Cet auteur réprouve
la dérive totalitaire du communisme, la dérive étatiste du socialisme, la
dérive nihiliste de l’anarchisme et « l’hégémonie du capitalisme rentier et spéculatif » du fait du
libéralisme.
Il a bien raison.
Sa solution convivialiste est
de prendre en compte les humains de demain et du passé. C’est un vœu pieux
louable mais, pour sortir des déclamations vaines, il faut apporter des garanties. Pour cela, le LGOC
prône des garanties citoyennes et continuera à la faire sans se réclamer du
convivialisme.