En
finir avec la chasse aux bourgeois bohèmes
Le 18 janvier 2015,
le présent blog avait publié un billet intitulé « Besoin de bobos » (http://bit.ly/1yxK3DG) en référence au
livre Besoin de Japon de Jean-François
SABOURET.
Le propos du présent
blog était sévère contre les bourgeois bohèmes tout en rappelant qu’il faut de
tout pour faire un monde et que même dans l’erreur, des bobos pouvaient aider à
la remobilisation de la société.
Depuis, la fracture
entre les bobos et la France dite périphérique s’est aggravée. Cela finit par
poser un vrai problème.
Stigmatiser toute une
classe sociale fait prendre le risque d’ignorer des idées intéressantes émises
par les membres de cette classe. Parfois, on peut avoir raison sans appliquer
les propositions que l’on énonce. Ces propositions n’en sont pas discréditées
pour autant. Au contraire.
De
bonnes idées mal défendues
Ainsi, Messieurs
Bruno DELLA SUDDA, Patrick SILBERSTEIN et Romain TESTORIS ont rédigé un appel
intitulé 68 thèses pour l’autogestion (https://autogestion.asso.fr/68-theses-lautogestion-lemancipation/).
Ce document, qui
prône clairement l’antiracisme et le féminisme, est plutôt intéressant et
convaincant. Malheureusement, ses auteurs sont des messieurs qui, sauf erreur
de notre part, et avec tout le respect que nous leur devons, ont la peau
blanche et ont plus de 30 ans.
Quand on fait un
manifeste appelant à l’antiracisme et au féminisme, ce qui est louable, ne
serait-il pas plus sage de demander à au moins une dame et au moins une
personne de couleur de participer à ce travail ?
En effet, la
rédaction d’un manifeste implique la revendication d’une forme d’aura politique,
d’auctoritas, comme disait les
anciens Romains. Or, ce sont toujours les mêmes qui veulent concentrer l’auctoritas sur eux. On est loin du
principe de rotation ressassé sur le présent blog…
Cela ne veut pas dire
que le féminisme et l’antiracisme doivent être condamnés. Trop souvent, la
persécution des bobos, caricaturés comme des intellectuels Blancs libéraux
libertaires héritiers de mai 1968, sert à combattre aussi l’émancipation des
femmes et la lutte contre les discriminations.
De
l’utilité des mythes
Pour mieux présenter
l’intérêt de l’action des bobos, malgré leurs défauts, l’utilisation des mythes
peut être utile.
On rappelle la très
belle phrase de Pierre GRIMAL (La Mythologie grecque, PUF, Que sais-je ?
1999, 127 p.) :
« L’épopée grecque a pour
essence de magnifier les débats des hommes, et, par le mythe, de les élargir
aux dimensions de l’univers » (p. 8).
L’invocation d’un
mythe peut donc servir de métaphore symbolique pour expliquer de manière imagée
un mécanisme social fondamental.
D’où l’intérêt du
mythe de Baubō (Βαυϐώ en grec) pour illustrer le rôle
essentiel que peuvent jouer les bobos.
Le
mythe de
Βαυϐώ
Déméter, étymologiquement
la Terre-mère, était la déesse de l’agriculture et des moissons.
Sa fille, Perséphone,
s’est fait enlever par Hadès, le dieu des enfers qui l’a emportée dans son
royaume.
Catastrophée, Déméter
l’a cherchée partout sur le monde mais ne l’a pas trouvée. Déméter a fini par
arriver au palais du roi d’Eleusis où, accablée par le chagrin, elle est restée
prostrée sans vouloir boire ni manger.
Les serviteurs du roi
ont tenté de la réconforter sans succès. Baubō, une des vielles suivantes, « retrousse ses vêtements
et montre son derrière à la déesse. Déméter se mit à rire, et voulut bien
manger »
(GRIMAL, op. cit. p. 55).
D’autres auteurs
parlent d’une danse obscène où Baubō s’est révélée plus encore à l’avant qu’à l’arrière…
(Michel CAZENAVE (dir.), Encyclopédie des symboles, Livre de
Poche, 1989, à l’article Baubo)
(Représentation de Baubō, parfois qualifiée de déesse de la coquinerie...)
Une
question d’ordre du monde
On peut noter la
proximité du mythe de Baubō avec celui d’Ame-no-Uzume au Japon.
La grande déesse du
soleil Amaterasu, exaspérée par les ravages commis par son frère Susanō, le
dieu des tempêtes, s’était réfugiée dans une caverne dont elle refusait de
sortir, ce qui menaçait la nature privée de soleil.
Tous les dieux se
sont mis à faire un grand tapage en éclatant de rire car Ame-no-Uzume s’est
mise à danser de manière obscène devant eux. Curieuse de savoir ce qui se
passait, Amaterasu est sortie de la caverne pour comprendre pourquoi les dieux
riaient. Dès qu’elle est sortie, les dieux ont refermés la caverne pour qu’Amaterasu
ne puisse plus s’y réfugier (voir CAZENAVE (dir.), op. cit.).
On note la parenté
des deux mythes sur un point fondamental : « l’exil volontaire de
Déméter rendait la terre stérile et bouleversait l’ordre du monde » (GRIMAL, op. cit., p. 55).
La
nécessité d’une ré-inclusion efficace
Comme l’ont bien
montré Thomas KIRSZBAUM, qui n’est certainement pas un réactionnaire raciste,
et les auteurs, notamment des dames, qui ont travaillé avec lui (http://bit.ly/2zvFKkB), des pans entiers
de la société se désinvestissent, épuisés par un système malsain et discriminatoire.
C’est dangereux pour tout l’ordre social.
Le travail des bobos
est de faire revenir dans le concert social ces personnes non en leur mentant
et en tentant de les marginaliser un peu plus mais en leur donnant directement une
parole qui soit socialement valorisée. Cela implique l’allocation d’un pouvoir politique
ou économique direct (et non confisqué par toujours les mêmes élites
intellectuelles).
Ame-no-Uzume n’avait pas
besoin d’un soleil qui n’éclaire pas. Baubō n’avait pas besoin d’une nature
stérile. Que les bobos ne l’oublient pas !
Néanmoins, le présent blog n'invite évidemment pas les bobos à faire des danses obscènes. Les mythes ne doivent pas être pris au pied de la lettre, cela va de soi... (NB : Le conseil formulé ici n'a pas été suivi lors de la Nuit des Césars 2021, où une actrice a joué la Baubō sans doute volontairement).