Le
temps des commémorations
Le 31 octobre 1517,
Martin LUTHER, moine augustinien, clouait à la porte de l’église du château de
Wittenberg ses 95 thèses contre la vente des indulgences par la papauté. Cette
dernière promettait en échange des dites indulgences la remise des péchés.
Ce geste de Luther est
interprété aujourd’hui comme la naissance du protestantisme, même si le
théologien en question ne se voyait pas comme le créateur d’une nouvelle
religion.
Dès lors, diverses
cérémonies ont eu lieu pour fêter cette date. Lors d’un colloque à la mairie de
Paris le 25 septembre 2017, Emmanuel MACRON est intervenu. On sait qu’avant de
faire l’ENA, il a travaillé avec le penseur protestant Paul RICOEUR. Dès lors,
il connaît le protestantisme.
Le président de la
République a tenu un discours intéressant qui nous interpelle (https://regardsprotestants.com/vie-protestante/lhommage-demmanuel-macron-aux-protestants/) :
‘‘L’apport du protestantisme dans la
société, a souligné le président, se mesure à travers de nombreux indicateurs
comme la promotion de la conscience individuelle, l’essor de la démocratie participative, le libéralisme
politique et économique ; mais il ne peut être séparé de la foi. « Comme
président d’une République laïque, je serais tenté de saluer l’œuvre séculaire
des protestants pour les libertés en France. Ce serait éluder quelque peu ce
qui vous réunit ici : dans une réflexion commune menée dans le cadre de ces 500
ans de la Réforme et ce serait éluder votre foi. (…) Ma conviction profonde est
que je ne rendrais nullement service à la laïcité si je m’adressais à vous
comme à une association philosophique. Votre identité de protestants ne se
construit pas dans la sécheresse d’une sociologie, mais dans un dialogue
intense avec Dieu et c’est cela, ce que la république respecte.» […]’’
Le passage sur l’essor
de la démocratie participative est souligné par le présent blog.
Une
démocratie participative protestante ?
Quand on s’intéresse
à la gestion collective conduite par les habitants dans l’immobilier, on ne
peut manquer d’être frappé par un fait marquant.
Quels sont les pays où
les expériences d’habitat participatif sont les plus vivaces ?
La Suède, la Norvège
et le Danemark, historiquement luthériens, les Pays Bas, historiquement
réformés, la Suisse dans sa partie calviniste et l’Allemagne dans des zones
souvent marquées par le luthérianisme (comme la ville de Tübingen).
Même l’Alsace, où l’habitat
participatif est très présent, est une des zones de France où l’empreinte
luthérienne est la plus forte.
Est-ce un hasard ?
L’épopée luthérienne
relevait-elle d’une quête de participation ?
Luther aurait été
furieux qu’on le dise. Lors d’une grande révolte de paysans, il a appelé la
noblesse allemande à châtier les insurgés sans merci. Selon Luther, le peuple
était fait pour obéir, Dieu ayant mis les gouvernants à la place qu’ils
occupent.
Luther
et la mouvance guelfe
Pourtant, en
observant l’histoire un peu rapidement, on pourrait croire que Luther était une
forte tête.
En effet, à partir de
1521, Martin LUTHER (1483-1546) fut condamné par le pape et mis au ban de
l’empire par Charles-Quint.
De nombreux princes
allemands ont néanmoins immédiatement soutenu l’ancien moine, et notamment le
prince électeur de Saxe qui l’a protégé et le landgrave de Hesse qui l’a
souvent complimenté.
Dès 1529, l’Allemagne
a été coupée en deux. Lors de la diète de Spire, les princes partisans de
Luther, nettement majoritaires dans la noblesse, ont protesté de leur fidélité
à la Parole de Dieu pour résister aux ordres de l’empereur.
Les maisons de
Brunswick, de Wettin (Saxe), de Hesse, de Nassau, de Mecklembourg, d’Oldenbourg
et de Hohenzollern ont soutenu les thèses de Luther, rejointes par
d’importantes villes libres comme Francfort, Brême, Hambourg, Strasbourg et
Magdebourg.
Les maisons de
Habsbourg (Autriche, Bohème et Benelux actuel), de Wittelsbach (Bavière) et de
Bade sont restées fidèles au pape, tout comme un partie importante des évêques.
La maison de
Wurtemberg s’est divisée sur la question.
Luther n’a fait qu’animer
au plan théologique le mouvement dirigé par son prince, le puissant électeur de
Saxe. Est-ce si révolutionnaire que cela ? Surtout, pourquoi des
aristocrates si nombreux et de puissants bourgeois ont choisi de se placer dans
le sillage d’un moinillon en rupture de ban ? Etaient-ils tous théologiens ?
En examinant plus
précisément la question, on constate que les soutiens de Luther étaient membres
d’un courant politique existant depuis plusieurs siècles, à savoir les Guelfes
qui s’opposaient aux Gibelins.
Esprit
de guilde contre despotisme bureaucratique
Au XIIIe
siècle, les Guelfes doivent leur nom à la famille des descendants du duc de
Saxe Henri le Lion qui s’opposait aux Hohenstaufen dont le château de
Waiblingen a donné le nom Gibelin.
Les deux camps se
sont violemment opposés, notamment en Italie, celle-ci faisant partie du
Saint-Empire romain germanique.
Les Gibelins étaient
les tenants du pouvoir impérial fort. Souvent, des despotes aristocratiques locaux
les ont rejoints dans les cités italiennes.
L’inspiration des
Hohenstaufen était le pouvoir impérial romain censé permettre un gouvernement
optimal grâce à l’embryon de bureaucratie entourant le souverain. On promettait
à chaque individu qu’il serait ensuite libre d’agir à sa guise, tout en
obéissant à la couronne protectrice. Le mythe du petit propriétaire replié sur
lui-même en France et qui attend tout de l’Etat est pleinement gibelin.
Les Guelfes croyaient
plutôt aux vertus des libertés collectives. Cela ne signifiait pas qu’ils
prônaient une démocratie individualiste à l’occidentale.
Les nobles Guelfes allemands
croyaient en des ligues aristocratiques pour défendre collectivement leurs
positions.
Les corporations
urbaines guelfes pensaient faire de même au sein de guildes de métiers.
La papauté a
longtemps soutenu les Guelfes contre l’omnipotence gibeline, par peur d’un
empereur trop influent qui aurait pris le contrôle de l’Eglise.
Du XIVe au
XVIe siècle, les papes ont appris à travailler avec des souverains devenus
puissants en France ou en Espagne, tout en jouant des rivalités entre eux au
lieu de s’opposer frontalement aux monarchies fortes naissantes. Par la force
des choses, la papauté est donc devenue gibeline, c’est-à-dire complice des potentats
nationaux.
Héritage
des frairies et culture guelfe
Le monde luthérien de
1529, au moment de la coupure officielle avec l’ordre impérial, est donc
éminemment guelfe. La maison de Brunswick, qui descendait des Guelfes, en était
évidemment l’exemple, mais les autres grandes familles du nord de l’Allemagne s’inscrivaient
dans la même stratégie de la défense collective de leurs positions sociales.
Les villes prospères dirigées par des corporations les ont imitées.
Le glissement de l’esprit
corporatiste à la conception égalitaire et fraternelle de la coopération s’est
opéré lentement. Celui qui est attaché à la défense collective finit par
concevoir son compatriote, même d’une autre classe sociale, comme un membre de
la même guilde, voire de la même fraternité. Ce processus a été décrit en Suède
pour le financement de coopératives ouvrières d’habitation par d’importantes
donations bourgeoises (Foi & vie,
1er avril 1925, Henri Monnier, « En
Suède, premières impressions »).
De l’esprit de
guilde, on passe à l’esprit de frairie.
On notera que la
théologie n’a rien à voir là-dedans.
Des personnes
hostiles aux indulgences mais favorable à la conception gibeline du monde sont
restées fidèles aux monarchies qui allaient être dites catholiques à partir des
années 1560.
Des personnes indifférentes
à la question des indulgences ont pu devenir luthériennes parce qu’il s’agissait
du parti qui leur plaisait le plus au plan de sa conception de l’action
collective.
Ne plus
collaborer
Que ceci nous serve
de leçon. Des catholiques, aujourd’hui font l’éloge de Luther (http://www.revuepierre.fr/2017/10/31/martin-luther-etait-en-avance-temps/).
Des protestants
vantent, à l’inverse, une conception plus autoritaire de la société et traitent
d’apostats ceux qui contestent leur vision des choses dans leurs églises (https://www.infochretienne.com/fils-dissacar-emmanuel-macron-protestants-relation-dialectique/).
Ce ne sont pas les
idées et les doctrines théologiques qui comptent mais les traditions dans
lesquelles on s’inscrit pour l’action collective.
Concernant la
coopération en copropriété, il en va de même.
Ceux qui veulent
forger un nouveau clergé coopératif courtisant le pouvoir despotique sont des Gibelins,
quoi qu’ils puissent dire sur une prétendue économie sociale et solidaire. Une
bureaucratie autoritaire n’est jamais solidaire.
Les vrais Guelfes,
qui tentent d’échapper à ces attaques en organisant une défense collective, ne
doivent donc pas collaborer avec ces Gibelins. Depuis 6 siècles, c’est à chaque
fois ce qui a perdu les protecteurs des libertés.