Selon certains, les ménages
vont se substituer aux professionnels pour se procurer à eux-mêmes un service
de meilleure qualité et pour moins cher en copropriété. Une telle lubie semble
exécrable. En effet, cette dynamique conduit à l’entre-soi entre les ménages compétents,
avec aversion vis-à-vis des gêneurs.
Une
tolérance jurisprudentielle
Dans
un immeuble de Bourgogne, l’assemblée générale des copropriétaires a délégué
aux conseillers syndicaux qui le souhaitaient diverses tâches. Il s’agissait de
remplacer les ampoules, procéder à de petits travaux d’électricité sous
observation d’un bureau de contrôle, déneiger, procéder au salage, tailler les
haies, ramasser les papiers et entretenir les massifs. Pour ces actions
bénévoles, les conseillers syndicaux étaient couverts par l’assurance contractée
par l’immeuble.
Des
copropriétaires ont contesté la résolution intervenue, en remarquant que le
syndic de copropriété, seul responsable de sa gestion, ne peut se faire
substituer (article 18 point IV de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965). En
outre, les copropriétaires contestataires regrettaient que les missions soient
données au conseil syndical et ses membres et non à une personne spécifique
déterminée. Il est vrai que le conseil syndical n’a pas la personnalité morale.
Seul le syndicat des copropriétaires l’a.
Dans
un arrêt important et d’ailleurs publié, la Cour de cassation a rejeté les arguments
des copropriétaires contestataires (Cass. 3e
civ., 22 septembre 2016, n° 15-22.593). La haute juridiction a estimé que « ne constitue
pas un excès de pouvoir la décision de l'assemblée générale autorisant les
membres du conseil syndical à participer bénévolement à l'entretien courant de
l'immeuble ».
Qu’est-ce que la doctrine ?
Cette
solution a été accueillie de manière inégale en doctrine.
La
doctrine juridique est constituée par l’ensemble des commentateurs intervenant
dans les revues de droit à direction scientifique universitaire. En droit de la
copropriété, ces revues sont notamment l’AJDI, les Annales des loyers,
les Informations Rapides de la Copropriété, Loyers et Copropriété,
la Revue des Loyers et la Semaine Juridique édition notariale.
Administrer
(gérée par l’UNIS, syndicat de professionnels) peut être assimilée à une revue
doctrinale du fait de l’intervention fréquente d’universitaires en son sein.
Il
n’en va pas de même pour des revues comme la RFCP ou Droits et
construction sociale, présentées par le LGOC dans ce blog. Elles ne sont
pas doctrinales au sens strict puisqu’elles sont à direction associative, tout
comme la Revue de l’Habitat (gérée par la Chambre Nationale des
Propriétaires), 25 millions de propriétaires (UNPI), Copropriétaires (CLCV)
et CGLmag (CGL).
Enthousiasme doctrinal
variable
L’idée
qu’une assemblée générale de copropriétaires puisse déléguer à un conseil
syndical des tâches d’entretien a été plus ou moins bien acceptée par les
commentateurs.
Jean-Marc
ROUX a approuvé la solution, en soulignant bien qu’il ne s’agissait pas pour le
conseil syndical de se substituer au syndic mais plutôt de fournir des
prestations sous son contrôle et cela dans le but de faire des économies (Annales
des Loyers, nov. 2016, p. 78).
Guy
VIGNERON et Christelle COUTANT-LAPALUS ont été assez neutres (Loyers et Copropriété,
nov. 2016, com. 238).
Daniel
TOMASIN a manifesté une certaine réticence ironique, tout en insistant sur l’importance
des assurances devant couvrir les conseillers syndicaux dans cette hypothèse (« Conseil syndical ou
service d’entretien coopératif ? », AJDI, févr. 2017, p. 124).
Tous ces grands auteurs n’ont
pas abordé l’essentiel, à savoir les risques sociologiques induits par une
telle évolution.
Coopération précaire
L’idée selon laquelle les
consommateurs vont agir ensemble pour produire à moindre coût ce dont ils ont
besoin est ancienne, comme le présent blog l’a rappelé (« La
République coopérative de J. F. Draperi » et « Servus
servorum Dei : hommage à John Bellers »).
Le gouvernement actuel
encourage d’ailleurs la gestion de forme coopérative, où le syndic est
automatiquement le président du conseil syndical (fiche
copropriété n° 12 des Garanties Citoyennes, Facilitation de la forme
coopérative).
Toutefois, ce mode de
gestion reste fragile, le retour à la gestion classique étant très facile en
cas de démobilisation des copropriétaires volontaires pour s’impliquer (fiche
copropriété n° 13 des Garanties Citoyennes, statut du syndic coopératif).
Dans un tel contexte, rares
sont les immeubles où la gestion de forme coopérative est fiable et durable. Ceux qui s'investissent attendent les mêmes efforts des autres. Une telle réciprocité est à la base du comportement coopératif. Or, des ménages divers n'auront jamais les mêmes facultés d'implication. Une homogénéité de population ainsi qu’un forte investissement identitaire des
habitants dans le collectif paraît nécessaire.
Entre-soi
Puisqu’il est impossible de
filtrer les acquéreurs en copropriété, seules des charges lourdes dissuadant
les ménages ayant des idées spéculatives peuvent maintenir l’harmonie sociale
nécessaire et la cohésion entre copropriétaires impliqués. Ce filtrage par l'argent n'est pas favorable à la coopération sur les tâches les plus humbles, sauf à ce qu'une sorte de dynamique sectaire se mette en place, avec lien social contraint lors des travaux accomplis. Ceux qui veulent garder de bons contacts avec leurs voisins sont alors tenus de s'impliquer.
On comprend ensuite que le
monde de la coopération en copropriété soit accusé de favoriser l’entre-soi (Stéphanie
LAPORTE-LECONTE, « L’ ‘‘entre-soi’’ et le mouvement coopératif en copropriété », AJDI, avril
2015, pp. 257 à 263).
Pour l’éviter, d’autres
mécanismes que la copropriété semblent préférables, et notamment les organismes
de foncier solidaire qui peuvent conférer des baux réels solidaires en cédant des
logements sans gêner les habitants avec le gestion des parties communes (voir BRS
et copropriété sans parties communes).
Le défi sera ensuite de
démocratiser la gouvernance de ces offices tout en permettant aux habitants de
s’y impliquer bénévolement pour entretenir les locaux. Rien ne l’interdit
légalement. Rien n’y oblige non plus.