Le 10 juillet 2015,
les syndicats coopératifs de copropriétaires vont fêter leurs cinquante ans.
Pourtant, leur existence
est quasiment ignorée.
Dans leur Livre blanc de mai 2011, l’UNIS et la
FNAIM (organisations regroupant des professionnels de l’immobilier) remarquent
que 7 millions de lots sont placés sous l’administration d’un syndic professionnel.
Or, selon une étude
du CETE Nord-Picardie de 2012, il y aurait, en 2010, 8,2 millions de lots
principaux en copropriété dans des logements collectifs privés.
Cela signifie que, pour plus d’un million de lots, les
syndics sont des bénévoles.
Dès lors, la gestion
bénévole et/ou coopérative en copropriété est un sujet majeur, bien plus
important dans ses effets que l’habitat participatif, qui ne concerne que 5000
logements (dont tous ne sont pas sortis de terre…).
Pourquoi les
syndicats coopératifs de copropriétaires sont-ils absents des discours relatifs
à l’économie sociale et solidaire, alors que cette dernière est si à la mode
dans les cercles gouvernementaux ? Une carence dans la réflexion théorique
et juridique l’explique.
Dans son numéro n° 165 de mai-juin 2015, la Lettre
de la FSCC (Fédération des Syndicats Coopératifs de Copropriété) précise, en page 7, à
propos du secteur coopératif, que :
« En France, vingt et un mille coopératives fournissent plus d’un million
d’emplois et génèrent environ 300 milliards d’euros de chiffre d’affaires. »
Ce sont effectivement
les chiffres de wikipédia. Plus loin, on peut lire :
« Les Syndicats Coopératifs de Copropriété (le plus important d’entre eux comporte 1.900 logements) font
également partie de l’Economie Sociale.
Les Coopératives sont des entreprises au service de leurs membres et ne
font pas de profits pour elles-mêmes. »
Un peu plus loin
encore :
« Le capital n’est qu’un simple moyen et les règles de gouvernance donnent
la priorité aux hommes qui s’investissent bénévolement dans la gestion
collective de leurs entreprises ».
Créée par des proches
du mouvement des Castors, la FSCC garde donc toute sa sympathie pour l’élan
coopératif. C’est pour cela que ses fondateurs ont demandé et obtenu du
Parlement l’appellation de syndicats coopératifs de
copropriétaires lorsque le syndic est désigné par les conseillers syndicaux en
leur sein.
Néanmoins, aussi
élégantes soient-elles, les appellations ne suffisent pas. En quoi ces
syndicats coopératifs de copropriétaires relèvent-ils réellement du statut de la
coopération ? Peuvent-ils être assimilés à des coopératives ?
D’abord, les membres
du conseil syndical, même s’ils élisent le syndic selon le principe « une personne = une voix », ne sont
pas élus selon cette même règle, pourtant caractéristique de la coopération. L’assemblée
générale élit les membres du conseil syndical à la majorité des voix de tous
les copropriétaires. Celui qui a un lot important dispose de plus de voix que
celui qui dispose d’un lot plus modeste. En effet, les voix données
correspondent à la quote-part des lots dans les parties communes, quote-part
elle-même proportionnelle à la valeur des lots (articles 10 et 22 de la loi du
10 juillet 1965).
Dès lors, il n’est
pas surprenant que le statut de la coopération, régi par la loi 47-1775 du 10
septembre 1947, ne s’applique pas à des syndicats de copropriétaires, même
coopératifs. Dans son article 1, cette loi dispose que « la coopérative est une
société ».
Les syndicats de copropriétaires ne relèvent absolument pas de cette forme
sociale.
Ensuite, la loi
2014-856 du 31 juillet 2014 sur l’Economie Sociale et Solidaire s’applique à
des sociétés qui reçoivent un agrément spécifique, aux sociétés coopératives, aux
groupements de sociétés coopératives, aux organismes mutualistes, aux
associations, aux fondations et aux éco-organismes.
Tout cela constitue
le secteur de l’Economie Sociale et Solidaire selon la loi. Une fois de plus,
les syndicats de copropriétaires, même coopératifs, ne sont pas cités
Au plan de l’application de la loi, l’idée selon laquelle
les syndicats coopératifs de copropriétaires seraient intégrés à l’ESS ne
repose sur rien.
Toutefois, au plan
institutionnel, les choses ont pu être moins tranchées.
Avant la loi du 31
juillet 2014, l’ANCC, Association Nationale de la Copropriété et des
Copropriétaires (dont l’actuel dirigeant de la FSCC fut l’un des fondateurs),
siégeait au Groupement National de la Coopération (GNC). Cela lui a permis d’intégrer
le Conseil Supérieur de la Coopération (voir l’arrêté du 30 novembre 2012, JORF
n° 0280 du 1er décembre 2012, texte 84).
Aujourd’hui, l’ANCC
est passée à autre chose, à savoir la conquête d’un marché de prestation de
services au bénéfice de copropriétaires consommateurs. Elle pourrait
légitimement voir la coopération avec inquiétude, puisque les coopérateurs
sortent du marché qu’elle vise en se prenant en mains. Elle a donc quitté le
GNC.
Un décret n° 2015-562
du 20 mai 2015 a refondu la composition du Conseil Supérieur de la Coopération,
qui sera tenu d’inscrire son action en cohérence avec le Conseil Supérieur de l’Economie
Sociale et Solidaire (article 5-1 de la loi du 10 septembre 1947 modifiée). L’appartenance
future de l’ANCC au Conseil Supérieur de la Coopération tel qu’il est réformé
depuis mai 2015 paraît donc douteuse.
Malgré tout, le
concept d’économie sociale constitue une notion au sens plus large que l’ESS.
On rappelle la loi n° 83-657 du 20 juillet 1983 relative à certaines
activités d’économie sociale. Cette loi ne concernait que des sociétés coopératives
artisanales, des groupements économiques créés en application de l’ordonnance
du 23 septembre 1967 et des unions de coopératives artisanales. Rien n’y
évoquait la copropriété. Toutefois, l’expression employée dans le titre de la
loi permet d’affirmer que la coopération artisanale ne constitue qu’une partie
des activités d’économie sociale.
On pourrait donc
affirmer que les syndicats coopératifs de copropriétaires pourraient relever de
l’économie sociale, à condition d’accomplir le travail institutionnel
nécessaire pour garder des contacts avec les acteurs de la coopération et de s’expliquer
de manière détaillée sur les rapports des syndicats de copropriétaires avec les
principes coopératifs.
De nombreux ouvrages
sur l’autogestion, la coopération, l’acquisition du pouvoir d’agir et l’action
collective sont cités sur le présent blog. Tant que les promoteurs des
syndicats coopératifs de copropriétaires ne sauront pas s’inscrire dans cette
ample mouvance, ils ne pourront que rester marginaux.
Hélas, une fracture
culturelle s’est creusée.
La FSCC rappelle que
les syndicats coopératifs de copropriétaires ont été créés en même temps que la
caravelle, la DS et la TVA…
La caravelle était le
fruit classique du capitalisme monopolistique d’Etat, né à grands coups de
deniers publics confiés à de grandes sociétés.
La DS était le
fleuron de cette industrie contrôlée par des ingénieurs triomphants.
La TVA fut inventée
par le haut fonctionnaire Maurice LAURIE.
Des technocrates, de
hauts fonctionnaires des finances publiques et des ingénieurs…
Cette élite qui se
sent un peu supérieure n’a pas cru bon commenter un seul ouvrage de sociologie
de l’action collective depuis 50 ans pour tenter d’en tirer des conclusions en
copropriété… A force, les théories de l’action collective, de la coopération et
de l’autogestion ont continué à beaucoup se développer, tandis que les
syndicats coopératifs s’épuisaient à l’abri d’une terminologie approximative.
Quant aux élites à l’origine de la création de ces syndicats coopératifs, elles
prennent de l’âge…
Cette rupture
permanente entre les pratiquants des syndicats coopératifs et la recherche
universitaire sur l’action collective est regrettable. Les chercheurs sont très
liés aux professionnels de l’animation et de l’action sociale qui constitue une
corporation influente. Cela explique que les pouvoirs publics concentrent les
moyens sur des projets sans grande importance, alors qu’un défi considérable, à
savoir encourager la mobilisation des copropriétaires, n’est pas relevé, parce
qu’aucune corporation n’est là pour attirer les deniers de l’Etat.
Puisque le Parlement
a le temps de légiférer pour 5000 logements, il serait temps pour lui de
simplifier le droit relatif aux syndicats coopératifs de copropriétaires. En
effet, il est urgent de rationaliser les règles en se basant sur des principes
clairs (notamment concernant ce qui donne une dimension coopérative à ces
syndicats).
A cette occasion, on
pourra vérifier le respect de principes à valeur constitutionnelle constamment
violés en copropriété, et notamment l’égalité
devant les charges publiques, la liberté
du commerce et de l’industrie (contre la concurrence déloyale, le
corporatisme et les tentatives de monopole), le respect de la propriété (le patrimoine n’étant pas seulement
immobilier), l’absence de détournement à
des fins privées de la puissance publique (avec un véritable encouragement
pour l’autogestion par rotation pour éviter l’élitisme) et le pluralisme démocratique (le mélange des
genres induit par les conflits d’intérêts détruisant la garantie qui doit être
apportée aux libertés fondamentales et muselant les mécontents).