jeudi 3 septembre 2015

Les Castors de Christine BRISSET contre l’ « entre-soi »

On a vu plus haut que la coopération en copropriété est l’héritière du mouvement des Castors et des BATICOOP.

Pourtant, les organisations se réclamant de la coopération en copropriété n’ont pas souhaité transmettre cette mémoire (http://bit.ly/1LBOOAP et http://bit.ly/1O4gChw) car elles sont trop occupées par la quête de rétributions en faveur des individus qui les composent. L’idée d’une mission collective à défendre et poursuivre, d’un combat dont on est que l’un des rouages, leur a échappée.

Ce repli sur l’individualité et ce refus de transmettre expliquent que la gestion de forme coopérative en copropriété n’ait pas mobilisé grand monde.

En effet, le mouvement des Castors, ainsi que les BATICOOP qui lui ont succédé, reposaient à la fois sur un idéal de transmission et sur le rejet de l’individualisme.

Du coup, des individualistes indifférents à la transmission ne pouvaient que difficilement convaincre les anciens Castors de rester fidèles à une logique de l’action collective.

Stéphanie LAPORTE-LECONTE (« l’ ‘‘entre soi’’ et le mouvement coopératif en copropriété », AJDI, avril 2015, pp. 257 à 262) a prétendu que « le mouvement coopératif en lien avec la copropriété s’inscrit assez naturellement dans une réflexion sur l’ ‘‘entre-soi’’ » car « la volonté de se choisir, de former un groupe socialement, voire culturellement homogène, autour d’affinités électives, guide généralement les coopérateurs dans leur projet, quitte parfois à exclure les autres » (p. 262).

En relevant qu’historiquement, « le mouvement coopératif n’a pas épargné l’habitat collectif », Stéphanie LAPORTE-LECONTE montre ses sentiments, mais cite aussi explicitement les Castors comme l’un des exemples de la dynamique coopérative (p. 257).

Comment a-t-on pu en arriver à un tel oubli de ce que les Castors ont été, à savoir une fabuleuse expérience de mobilité sociale ayant permis l’accès de travailleurs humbles à un habitat décent auparavant réservé à la bourgeoisie ?

L’ouvrage de Bernard LEGE et Monique TANTER (Autoconstruction et mobilité sociale. L’aventure des Castors angevins 1950-1984, Association Peuple et Culture de la Région Parisienne, 1984, 171 p., www.culturecommunication.gouv.fr/content/.../Ethno_Lege_1984_160.pdf ) montre à quel point la vision sévère de Madame LAPORTE-LECONTE est inexacte au plan historique, même si elle peut contenir une intuition pertinente concernant la situation actuelle, liée à l’oubli de la tradition qui a permis de fonder les Castors.

Christine BRISSET (1898-1993), celle qui a lancé à partir de 1947 des squats d’Angers pour reloger des familles, puis a animé le mouvement des Castors sur Angers, était tout sauf une partisane de l’ ‘‘entre-soi’’.




Elle aurait préféré fonder un comité du logement pour tous et non une commission familiale ouvrière du logement ouvrier (p. 20), même si, finalement, ses alliés syndicalistes, chrétiens ou non, lui ont imposé la seconde dénomination pour organiser leur action commune.

Christine BRISSET était une militante catholique dont les actions de squats visaient en priorité de luxueuses maisons de tolérance, à la grande colère de certains bourgeois qui les fréquentaient et des juridictions qui protégeaient consciencieusement cette activité (p. 22).

Or, tant au sein des Castors d’Angers que pour les squats angevins, la majeure partie des alliés de Christine BRISSET était composée de militants de la JOC (Jeunesse Ouvrière Chrétienne) (p. 26).

Les Castors furent une création liée à l’urgence et aux nécessités suite aux destructions dues à la seconde guerre mondiale et à la crise du logement gravissime qui a suivi dans un contexte de forte natalité (p. 27). Toutefois, ils ont permis l’intégration dans l’habitat pavillonnaires des mal-logés grâce à la diminution forte des coûts. L’achat coopératif des matériaux et à l’apport travail ont fait baisser d’en moyenne un tiers les prix des logements construits, alors même que des conditions de crédit favorables permettaient de rendre la solution accessible aux travailleurs les plus humbles.

L’organisation BATICOOP, créée en 1955, fera moins de place à l’apport travail et, tout en conservant la forme coopérative, s’adressera plus à une clientèle des classes moyennes (p. 35).

Loin de s’adresser à une élite bourgeoise, les fondateurs des Castors d’Angers et leurs alliés faisaient directement et explicitement référence à l’idéologie de Marc SANGNIER. En effet, ils invitaient le Castor à se sauver lui-même, lui et sa famille, sans attendre l’intervention du Ciel et des pouvoirs publics (p. 37). Bien entendu, il s’agissait aussi de permettre au Castor de pouvoir s’aider lui-même (en lui fournissant des terrains à prix raisonnables et une organisation efficace pour le soutenir dans sa démarche). Néanmoins, cet appel s’adressait à tous, y compris, voire même surtout, aux plus marginalisés. Cela ne relevait certainement pas de l’ ‘‘entre-soi’’.

Ainsi, Christine BRISSET refusera d’exclure des Castors les délinquants, ce qui amena ses ennemis bourgeois, furieux après les squats, à parler de « la pègre de Christine » (p. 39).

On rappelle que Christine BRISSET était l’épouse du président de la chambre de commerce, ce qui prouve qu’en matière de lutte féroce, on n’est jamais mieux servi que par son propre milieu…

Néanmoins, aux yeux des Castors angevin, la coopération n’a été qu’un moyen temporaire pour suppléer les carences de l’action publique (p. 44).

C’est évidemment là que se situait le problème. Une fois les logements construits, chacun devenait propriétaire individuel, tenté par l’individualisme du chacun chez soi, voire du chacun pour soi.

Bien entendu, au moment de la construction, la solidarité entre des personnes issues de professions variées était réelle (même si les classes moyennes étaient exclues du projet quand elles disposaient déjà d’un logement décent) (p. 48).

La marque des Castors fut donc la diffusion de la propriété sans frontières sociales (p. 50), ce qui constitua une réussite remarquable.

La spéculation individualiste était même exclue au départ puisque les transactions ne devaient pas donner lieu à des plus-values tant que le Castor n’avait pas remboursé ses emprunts liés aux frais d’acquisition du terrain, des matériaux et des travaux de constructions qu’il n’avait pas accompli lui-même.

Les Castors finirent toutefois par écarter Christine BRISSET de la direction en 1962 pour justement éliminer cette contrainte-là (p. 51). Les prétextes de mauvaise gestion évoqués n’empêchaient pas les Castors angevins de maintenir la lutte contre la spéculation après avoir évincé Christine BRISSET, mais ils ont préféré profiter de l’occasion pour se libérer d’une règle saine.

Ce qui s’est passé en 1965 en copropriété se situe dans l’exacte continuité de ce qui s’est passé à Angers en 1962. Les militants initiateurs de la gestion de forme coopérative en copropriété ont rompu avec toute la tradition antérieure qui leur avait pourtant permis d’exister, et ont ainsi dérivé vers un individualisme plus marqué bien moins propice à l’action collective.

Christine BRISSET est donc passée à la trappe et son refus de l’individualisme aussi. Gérer collectivement dans cette perspective devenait très compliqué.

En copropriété, ce mouvement a eu sa transcription dans l’imperfection des mécanismes suggérés au législateur de 1965. La gestion de forme coopérative ne fut que la monopolisation du pouvoir par le conseil syndical, ce qui faisait d’ailleurs disparaître tout contre-pouvoir, comme le remarque, avec sa sévérité habituelle (toutefois justifiée sur ce point), Stéphanie LAPORTE-LECONTE (pp. 258-259).

Les adversaires de la coopération en copropriété, comme Stéphanie LAPORTE-LECONTE, ont beau jeu d’ironiser sur cette prétendue coopération inachevée, et finalement, ils n’ont pas tort.

Quand on perd la mémoire et que l’on ne respecte pas le combat des grands militants auxquels on succède, voilà ce qui arrive !

L’impératif de transmission n’est pas un luxe.

Celui qui méprise ses prédécesseurs ne sera pas respecté à son tour quand viendra pour lui le temps de transmettre.

Celui qui méprise le passé par arrogance et par individualisme finit par ignorer les contraintes de l’action collective que ses prédécesseurs avaient pu surmonter.

Oublier les sources qui inspirent le mouvement que l’on veut porter, c’est se condamner à perdre un trésor d’expériences.


La lecture de Marc SANGNIER (1873-1950) aurait pu l’apprendre aux héritiers des Castors…