On a vu plus haut que
la coopération en copropriété est l’héritière du mouvement des Castors et des
BATICOOP.
Pourtant, les
organisations se réclamant de la coopération en copropriété n’ont pas souhaité
transmettre cette mémoire (http://bit.ly/1LBOOAP
et http://bit.ly/1O4gChw) car elles sont trop
occupées par la quête de rétributions en faveur des individus qui les composent.
L’idée d’une mission collective à défendre et poursuivre, d’un combat dont on
est que l’un des rouages, leur a échappée.
Ce repli sur
l’individualité et ce refus de transmettre expliquent que la gestion de forme
coopérative en copropriété n’ait pas mobilisé grand monde.
En effet, le
mouvement des Castors, ainsi que les BATICOOP qui lui ont succédé, reposaient à
la fois sur un idéal de transmission
et sur le rejet de l’individualisme.
Du coup, des
individualistes indifférents à la transmission ne pouvaient que difficilement
convaincre les anciens Castors de rester fidèles à une logique de l’action
collective.
Stéphanie LAPORTE-LECONTE (« l’ ‘‘entre soi’’
et le mouvement coopératif en copropriété »,
AJDI, avril 2015, pp. 257 à 262) a prétendu que « le mouvement coopératif en lien avec la copropriété s’inscrit assez
naturellement dans une réflexion sur l’ ‘‘entre-soi’’ » car « la volonté de se choisir, de former un groupe socialement, voire
culturellement homogène, autour d’affinités électives, guide généralement les
coopérateurs dans leur projet, quitte parfois à exclure les autres » (p. 262).
En relevant
qu’historiquement, « le mouvement coopératif
n’a pas épargné l’habitat collectif », Stéphanie LAPORTE-LECONTE montre ses
sentiments, mais cite aussi explicitement les Castors comme l’un des exemples
de la dynamique coopérative (p. 257).
Comment a-t-on pu en
arriver à un tel oubli de ce que les Castors ont été, à savoir une fabuleuse expérience de mobilité sociale
ayant permis l’accès de travailleurs humbles à un habitat décent auparavant
réservé à la bourgeoisie ?
L’ouvrage de Bernard LEGE et Monique TANTER (Autoconstruction et mobilité sociale.
L’aventure des Castors angevins 1950-1984, Association Peuple et Culture de
la Région Parisienne, 1984, 171 p., www.culturecommunication.gouv.fr/content/.../Ethno_Lege_1984_160.pdf )
montre à quel point la vision sévère de Madame LAPORTE-LECONTE est inexacte au
plan historique, même si elle peut contenir une intuition pertinente concernant
la situation actuelle, liée à l’oubli de la tradition qui a permis de fonder les
Castors.
Christine BRISSET
(1898-1993), celle qui a lancé à partir de 1947 des squats d’Angers pour
reloger des familles, puis a animé le mouvement des Castors sur Angers, était
tout sauf une partisane de l’ ‘‘entre-soi’’.
Elle aurait préféré fonder
un comité du logement pour tous et non une commission familiale ouvrière du
logement ouvrier (p. 20), même si, finalement, ses alliés syndicalistes,
chrétiens ou non, lui ont imposé la seconde dénomination pour organiser leur
action commune.
Christine BRISSET
était une militante catholique dont les actions de squats visaient en priorité
de luxueuses maisons de tolérance, à la grande colère de certains bourgeois qui
les fréquentaient et des juridictions qui protégeaient consciencieusement cette
activité (p. 22).
Or, tant au sein des
Castors d’Angers que pour les squats angevins, la majeure partie des alliés de
Christine BRISSET était composée de militants de la JOC (Jeunesse Ouvrière
Chrétienne) (p. 26).
Les Castors furent
une création liée à l’urgence et aux nécessités suite aux destructions dues à
la seconde guerre mondiale et à la crise du logement gravissime qui a suivi
dans un contexte de forte natalité (p. 27). Toutefois, ils ont permis
l’intégration dans l’habitat pavillonnaires des mal-logés grâce à la diminution
forte des coûts. L’achat coopératif des matériaux et à l’apport travail ont
fait baisser d’en moyenne un tiers les prix des logements construits, alors
même que des conditions de crédit favorables permettaient de rendre la solution
accessible aux travailleurs les plus humbles.
L’organisation
BATICOOP, créée en 1955, fera moins de place à l’apport travail et, tout en
conservant la forme coopérative, s’adressera plus à une clientèle des classes
moyennes (p. 35).
Loin de s’adresser à
une élite bourgeoise, les fondateurs des Castors d’Angers et leurs alliés
faisaient directement et explicitement référence à l’idéologie de Marc SANGNIER. En effet, ils invitaient
le Castor à se sauver lui-même, lui et sa famille, sans attendre l’intervention
du Ciel et des pouvoirs publics (p. 37). Bien entendu, il s’agissait aussi de
permettre au Castor de pouvoir s’aider lui-même (en lui fournissant des
terrains à prix raisonnables et une organisation efficace pour le soutenir dans
sa démarche). Néanmoins, cet appel s’adressait à tous, y compris, voire même
surtout, aux plus marginalisés. Cela ne relevait certainement pas de
l’ ‘‘entre-soi’’.
Ainsi, Christine
BRISSET refusera d’exclure des Castors les délinquants, ce qui amena ses
ennemis bourgeois, furieux après les squats, à parler de « la pègre de Christine » (p. 39).
On rappelle que
Christine BRISSET était l’épouse du président de la chambre de commerce, ce qui
prouve qu’en matière de lutte féroce, on n’est jamais mieux servi que par son
propre milieu…
Néanmoins, aux yeux des Castors angevin, la
coopération n’a été qu’un moyen temporaire pour suppléer les carences de
l’action publique (p. 44).
C’est évidemment là
que se situait le problème. Une fois les logements construits, chacun devenait propriétaire individuel, tenté par
l’individualisme du chacun chez soi,
voire du chacun pour soi.
Bien entendu, au
moment de la construction, la solidarité entre des personnes issues de
professions variées était réelle (même si les classes moyennes étaient exclues du
projet quand elles disposaient déjà d’un logement décent) (p. 48).
La marque des Castors
fut donc la diffusion de la propriété
sans frontières sociales (p. 50), ce qui constitua une réussite remarquable.
La spéculation
individualiste était même exclue au départ puisque les transactions ne devaient pas donner lieu à des plus-values tant que
le Castor n’avait pas remboursé ses emprunts liés aux frais d’acquisition
du terrain, des matériaux et des travaux de constructions qu’il n’avait pas
accompli lui-même.
Les Castors finirent
toutefois par écarter Christine BRISSET de la direction en 1962 pour justement
éliminer cette contrainte-là (p. 51). Les prétextes de mauvaise gestion évoqués
n’empêchaient pas les Castors angevins de maintenir la lutte contre la
spéculation après avoir évincé Christine BRISSET, mais ils ont préféré
profiter de l’occasion pour se libérer d’une règle saine.
Ce qui s’est passé en
1965 en copropriété se situe dans l’exacte continuité de ce qui s’est passé à
Angers en 1962. Les militants initiateurs de la gestion de forme coopérative en
copropriété ont rompu avec toute la tradition antérieure qui leur avait
pourtant permis d’exister, et ont ainsi dérivé vers un individualisme plus
marqué bien moins propice à l’action collective.
Christine BRISSET est
donc passée à la trappe et son refus de l’individualisme aussi. Gérer
collectivement dans cette perspective devenait très compliqué.
En copropriété, ce
mouvement a eu sa transcription dans l’imperfection des mécanismes suggérés au
législateur de 1965. La gestion de forme coopérative ne fut que la
monopolisation du pouvoir par le conseil syndical, ce qui faisait d’ailleurs disparaître
tout contre-pouvoir, comme le remarque, avec sa sévérité habituelle (toutefois
justifiée sur ce point), Stéphanie LAPORTE-LECONTE (pp. 258-259).
Les adversaires de la
coopération en copropriété, comme Stéphanie LAPORTE-LECONTE, ont beau jeu d’ironiser
sur cette prétendue coopération inachevée, et finalement, ils n’ont pas tort.
Quand on perd la mémoire et que l’on ne respecte pas le
combat des grands militants auxquels on succède, voilà ce qui arrive !
L’impératif de
transmission n’est pas un luxe.
Celui qui méprise ses
prédécesseurs ne sera pas respecté à son tour quand viendra pour lui le temps
de transmettre.
Celui qui méprise le
passé par arrogance et par individualisme finit par ignorer les contraintes de
l’action collective que ses prédécesseurs avaient pu surmonter.
Oublier les sources
qui inspirent le mouvement que l’on veut porter, c’est se condamner à perdre un
trésor d’expériences.
La lecture de Marc
SANGNIER (1873-1950) aurait pu l’apprendre aux héritiers des Castors…