Le père
fondateur de la coopération en copropriété
(Photographie
en couverture de la Lettre de la FSCC, n° 157)
Michel
THIERCELIN fut un dirigeant important de la mouvance coopérative officielle.
Dirigeant d’une filiale du Crédit coopératif, il a inventé les chèques
vacances. Devenu copropriétaire aux côtés d’autres cadres dirigeants du
mouvement coopératif dans les années 1950, il a initié une gestion non
professionnelle de l’immeuble où il se trouvait.
Grâce à
ses relations, il a pu convaincre le Garde des Sceaux et le rapporteur à
l’Assemblée nationale de la loi du 10 juillet 1965 d’insérer une gestion de
forme coopérative dans le statut de la copropriété.
Depuis 50
ans, il est donc possible de faire adopter à un syndicat de copropriétaires la
forme coopérative. Cela signifie que le syndic est élu par le Conseil syndical
en son sein et qu’il peut être remplacé par le même conseil.
Depuis
1970, Michel THIERCELIN a été président de la FSCC (Fédération des Syndicats
Coopératifs de Copropriétaires).
Dans ce
cadre, il se présentait comme un partisan de l’économie sociale et solidaire, comme
on l’a vu ici. D’ailleurs, il a été l’initiateur de la Direction
Interministérielle à l’Economie Sociale.
On lui
doit également la création de l’ANCC, même si cette dernière s’est détachée de
son influence avec le temps, comme cela a été vu sur ce blog précédemment.
Bien
entendu, Michel THIERCELIN incarnait des valeurs et une époque qui ne sont plus
les nôtres. C’est pour cela que les syndicats coopératifs de copropriétaires
sont restés minoritaires et ne sont pas perçus par les pouvoirs publics ou par
les militants de l’habitat participatif comme une solution intéressante.
Néanmoins,
il sera primordial de garder le souvenir de toute l’époque qu’a symbolisée
Michel THIERCELIN dans le courant de la copropriété coopérative.
Le projet dirigiste des années 1950
Michel
THIERCELIN était un homme de l’immédiat après-guerre.
Durant
cette période, des dirigeants enthousiastes ont considéré qu’ils pouvaient
créer un monde nouveau grâce à la planification et la croissance économique.
Ces
gouvernants et administrateurs estimaient former une corporation légitime.
Comme
Michel THIERCELIN, et comme le LGOC qui élabore le présent blog, ces acteurs
pensaient aussi que l’individualisme forcené posait problème, y compris au plan
de la propriété.
Michel
THIERCELIN ne cachait pas son admiration pour des pays comme la Suède ou la
Norvège, où les coopératives d’habitants sont bien plus répandues.
C’était
aussi la position d’Edgard PISANI dans l’Utopie
foncière, ouvrage étudié sur ce blog. Une
fois encore, l’association LGOC partage cette admiration.
Toutefois,
et comme Edgard PISANI également, Michel THIERCELIN a pensé pouvoir atteindre
son objectif de développement de la coopération par l’impulsion d’un Etat
dirigiste dominé par des dirigeants soudés.
La loi de
1965 a ainsi été conçue comme le moyen d’attirer des populations
individualistes vers un habitat collectif susceptible de les habituer au
dévouement pour l’intérêt collectif.
Or, c’est
exactement le contraire qui s’est passé. Ceux auxquels on a promis qu’ils
obtiendraient en copropriété à la fois les avantages du pavillon et ceux de l’habitat
collectif n’ont vu que les désagréments des charges individuelles auxquels
s’ajoutent les inconvénients du voisinage. La copropriété a fonctionné comme
une école de la répulsion par rapport à l’action collective.
La
volonté de tromper au nom de la bonne cause les populations n’est absolument
pas la position du LGOC. Ce dernier souhaite plutôt se pencher sur un renouveau
de l’éthique du service public telle qu’elle était entendue au début du XXe
siècle en France ou telle que certains courants de pensée en Chine l’ont prônée
depuis des siècles. Pour le LGOC, chacun est responsable de l’intérêt général.
Le pluralisme des idées enrichit le débat pour permettre de remplir au mieux
cette mission face aux changements imprévisibles du monde. Dès lors, il ne
convient pas de former des corporations isolées, technocratiques et
monolithiques qui prétendraient détenir
la bonne parole.
Edgard
PISANI a cependant accepté les méthodes du gaullisme triomphant pour imposer
le remembrement et le productivisme agricole.
Michel
THIERCELIN a également travaillé avec le législateur pour établir dess syndicats coopératifs définis par la direction d'une élite de copropriétaires membres du conseil syndical.
C’était
évidemment mieux que rien. Sans ce point de départ, on en serait à zéro
aujourd’hui. Toutefois, nous devons garder à l’esprit les limites de ces choix
faits de 1950 à 1965.
Les
années 1950 et 1960 furent marquées par la consommation de masse. Cela a
entraîné une disproportion entre des couches populaires encore peu instruites
mais disposant d’un pouvoir d’achat important et une élite cohérente et soudée
mais qui a progressivement été marginalisée au plan culturel par rapport à ces
foules.
Dans le sillage du corporatisme
Michel
THIERCELIN était un fils d'ingénieur. Assez logiquement, il a pensé que l’on
pouvait réorganiser la société par une forme d’ingénierie sociale. C’était là
une attitude ancienne qui s’inspirait de l’Ecole de LE PLAY, fondateur de
l’économie sociale.
Pour
comprendre cet état d’esprit et celui des dirigeants du mouvement coopératif
qui ont fortement été influencés par ces vues, il faut se souvenir du contexte
qui prévalait alors.
Durant
les années 1930, la bourgeoisie instruite a été marquée par sa perte de
capacité à influencer des masses chaque jour plus séduites par l’autoritarisme
fasciste, le fantasme identitaire hitlérien ou l’utopie vengeresse stalinienne.
A
l’inverse, la démocratie libérale paraissait trop liée à un capitalisme qui
favorisait l’égoïsme et l’instabilité économique.
Bien des
dirigeants, notamment autour des chrétiens contestataires, cherchaient une
troisième voie entre individualisme libéral et totalitarisme.
La
défaite de juin 1940 a aggravé ce sentiment d’inadéquation des institutions.
La
popularité initiale de PÉTAIN s’explique par cette situation tout comme le
succès de ses idées sur une prétendue révolution nationale.
Après la
défaite de juin 1940, des réformateurs ont voulu créer une école des cadres
pour les futurs dirigeants de l’administration. Elle fut fondée à Uriage dans
l’Isère, en zone libre.
Cette
institution a insisté sur un rapport chevaleresque au monde, sur le sens du
sacrifice et sur l’esprit de communauté au sein de l’élite. Le but était de
rompre avec l’individualisme des masses (Janine BOURDIN, « Des intellectuels à la recherche d’un style de vie :
l’Ecole nationale des cadres d’Uriage », Revue Française de Sciences Politiques, 1959, n° 4, pp. 1029-1045).
De
manière explicite, les dirigeants d’Uriage ont souhaité créer une forme de
corporation élitiste. Dans cette veine chevaleresque, les dirigeants d’Uriage
citaient souvent Charles PÉGUY, un dreyfusard d’abord socialiste mais devenu
nationaliste et chrétien avant de mourir pour la France en 1914.
Le régime
de Vichy, qui prônait pourtant lui aussi le corporatisme, s’est dès lors
inquiété. Rapidement, il a voulu prendre le contrôle de l’école pour éviter que
ne s’y développe un esprit nationaliste trop indépendant, susceptible de se
rapprocher du gaullisme.
Les
dirigeants d’Uriage ont refusé la mainmise des collaborationnistes et ont
rallié les maquis à partir de fin 1942. A la Libération, d’anciens élèves
d’Uriage ont donc pu intégrer les plus hautes sphères de l’administration sans
difficulté, auréolés de leur passé de résistants, même si, à la base, leurs
positions corporatistes n’étaient pas situées aux antipodes de celles de Vichy.
De GAULLE, lui-même, avait travaillé avec PÉTAIN avant la seconde guerre
mondiale…
Les sources idéologiques d’Uriage
Bien
entendu, il ne s’agit pas de diaboliser qui que ce soit. Ici, le but n’est pas
de dire que le corporatisme est démoniaque. D’abord, l’individualisme est loin
d’être angélique. Ensuite, même le garantisme, que prône le LGOC, a ses
travers. La Chine et le Japon nous ont montré que le souci de créer des
garanties pour stabiliser la société pouvait la scléroser.
Le fait
d’avoir été influencés par des personnes ayant pu se tromper ne retire rien au
mérite du résistant PISANI ou des héros FTP bretons, par exemple. En fait, il
est particulièrement méritoire de se battre pour la liberté alors que l’on a
été formé par des idéologies autoritaires.
Une fois
la guerre achevée, les temps ont néanmoins changé. L’héroïsme n’était plus
présent pour tempérer l’élitisme, le dirigisme ou l’autoritarisme.
Durant
des décennies, cette empreinte indirecte et inconsciente du corporatisme a pesé
sur la France pour fragiliser les principes sur lesquels la Constitution est
censée être fondée depuis 1958.
Le
préambule de la Constitution cite explicitement la Déclaration des Droits de
l’Homme et du Citoyen de 1789. Cette dernière a donc valeur constitutionnelle
(Conseil constitutionnel, décision n° 71-44 DC du 16 juillet 1971, Liberté d’association).
Or, les
inspirateurs du corporatisme d’Uriage avaient de vives réserves (pour ne pas
dire pire) à l’égard des valeurs de la Révolution française.
Leur
premier inspirateur était Philippe BUCHEZ (1796-1865) médecin horrifié par les
mauvaises conditions de travail des ouvriers dans les années 1830. Afin de
permettre aux travailleurs d’échapper à l’exploitation, il leur a conseillé de
reprendre les pratiques de compagnonnage qui existaient au Moyen Âge. Cela
impliquait des apprentis, des compagnons et des maîtres, chaque grade
pratiquant la cooptation pour éviter la concurrence sauvage et maintenir des conditions
de travail décentes.
BUCHEZ
était républicain et fut président de l’Assemblée nationale en 1848 mais il ne
s’inscrivait certainement pas dans le courant révolutionnaire individualiste
qui avait interdit les corporations par les décrets d’Allarde des 2 et 17 mai
1791 avant d’établir un délit de coalition (qui empêchait la constitution de
syndicats) par la Loi Le Chapelier du 14 juin 1791.
Les idées
économiques de BUCHEZ relevaient d’une hostilité à l’individualisme. C’est pour
cela qu’il souhaitait des associations entre producteurs, comme le constatait Cyrille FERRATON en
2010.
BUCHEZ
aurait pu réfléchir à la constitution de garanties des libertés fondamentales pour
éviter à la fois le corporatisme replié sur lui-même et l’individualisme
oppresseur, mais il n’a pas su le faire. C’est plutôt l’école de Robert OWEN
(1771-1858), dont s’inspire le LGOC, qui a travaillé sur ces questions.
Cela ne
veut pas dire que les partisans d’OWEN et du garantisme sont gentils et que
ceux du corporatisme de BUCHEZ sont méchants. Les uns comme les autres ont
perçu des problèmes importants, mais leurs visions sont complémentaires.
La fracture interne du catholicisme social
Les
positions de BUCHEZ ont plutôt influencé Frédéric LE PLAY (1802-1882), sénateur
du Second Empire et fondateur de l’école de l’Economie sociale (voir Frédéric
LE PLAY, La Méthode sociale, abrégé des
ouvriers européens, 1879, Tours, Alfred Mame, 648 p. et tout
particulièrement p. 555).
Cet
ingénieur des Mines a prôné explicitement le retour aux corporations pour
encadrer les foules (La Méthode sociale…
pp. 109 et 110).
Economie
sociale… Ingénierie sociale… Tout cela est très proche du parcours de Michel
THIERCELIN.
De la
même manière, au plan anthropologique, LE PLAY craignait la famille nucléaire
qui produisait de l’individualisme et préférait la famille souche, plus
autoritaire, où les membres apprennent l’abnégation au nom du groupe et la
discipline à l’égard du chef de famille.
LE PLAY
était explicitement un adversaire de l’héritage de la Révolution française (La Méthode sociale…, p. 31) et a inspiré
le courant monarchiste catholique qui s’est développé après 1870 avec Albert de
MUN (1841-1914) et François René de la TOUR DU PIN (1834-1924).
Albert de
MUN s’est rallié à la République après l’encyclique Rerum novarum du Pape Léon XIII (1891) appelant les catholiques à
créer des syndicats chrétiens et à participer au pouvoir pour améliorer la
condition des travailleurs par la loi, quitte à accepter les élections libres.
Albert de
MUN est l’inspirateur de Marc SANGNIER et d’Emmanuel MOUNIER. Ce dernier a fait
des conférences à Uriage avant de rallier la Résistance. Ce catholicisme social
est aux sources du mouvement des Castors dans
l’habitat.
Le
marquis de la TOUR DU PIN, ami de jeunesse d’Albert de MUN, a, quant à lui,
refusé ce ralliement et a soutenu l’Action française de Charles MAURRAS dont de
nombreux partisans ont rejoint Vichy en 1940.
Ces deux
courants du catholicisme avaient toutefois les mêmes sources idéologiques
corporatistes et hostiles à l’individualisme. Certains ont été vichyssois et d’autres
résistants, mais cela ne change rien à ces sources communes.
Un lignage à ne pas oublier
Michel
THIERCELIN s’inscrivait directement dans la mouvance de Philippe BUCHEZ, comme la plupart des dirigeants du mouvement coopératif
français.
Au plan
politique, l’héritage de LE PLAY a été ambigu, puisque ses disciples ont soit
rallié la République, soit s’y sont opposés.
Toutefois,
même lorsqu’ils ont accepté la démocratie, les héritiers de BUCHEZ l’ont fait
d’une certaine manière.
Leur
dirigisme n’a pas été individualiste et jacobin mais plutôt corporatiste. Le
général de GAULLE, par sa formation catholique, a été inspiré par Albert de
MUN. La loi de 1965 s’inscrit parfaitement dans ce contexte de corporatisme gaulliste
d’encadrement des masses.
Très
vite, Michel THIERCELIN s’est heurté aux mêmes problèmes qu’ont dû affronter
Albert de MUN et Charles de GAULLE. La croissance économique a permis le succès
des syndicats chrétiens et de la copropriété. Par contre, le mode de
fonctionnement corporatiste n’a pas permis une extension de l’esprit de
dévouement. La population toujours plus consumériste y est restée allergique.
La participation effective s’est réduite à une élite, non parce que cette
dernière se serait repliée sur elle-même mais parce que les simples citoyens
n’étaient pas intéressés.
Ce que
voulaient les individus atomisés habitués à la haute croissance, c’était
consommer plus. A la rigueur, se rassembler pour faire des économies leur
paraissait compréhensible. Par contre, il leur semblait absurde de faire des
efforts intenses pour intégrer des corporations chevaleresques.
C’est
pour cela qu'à part la FSCC fondée sous l’impulsion de Michel THIERCELIN, les associations de copropriétaires se sont progressivement détachées du mouvement coopératif et de la corporation
constituée par les dirigeants de cette mouvance.
Les
copropriétaires consommateurs ne voyaient ni l’utilité des institutions qui
défendent la coopération, ni l’intérêt du travail accompli pour nouer des
contacts durables avec le législateur.
Aujourd’hui,
les associations autres que la FSCC ont abandonné toute référence à l’identité coopérative et se présentent comme des prestataires qui permettent à leurs membres de dépenser moins. Leur influence
sur le Parlement et leur capacité à discuter avec l’administration centrale
semblent bien plus faibles, du fait de leur éloignement avec les réseaux
militants et institutionnels.
L’esprit
d’Uriage a été abandonné et oublié. Ce n’est pas sans poser
problème, car le refus de l’individualisme est toujours latent dans notre pays,
et le LGOC partage cette hostilité au consumérisme abrutissant.
Philippe
BUCHEZ, Frédéric LE PLAY et Albert de MUN avaient sans doute repéré une vraie difficulté, même s’il faudrait dégager une meilleure solution. Se souvenir de
Michel THIERCELIN, c’est veiller à ne pas oublier qu’il nous faut toujours affronter
cette difficulté.