Jean-François DRAPERI est le rédacteur en chef
de la RECMA (Revue des Etudes Coopératives, Mutualistes et Associatives,
publication qui souhaite être nommée Revue Internationale de l’Economie
Sociale) (http://www.recma.org/).
A ce titre, c’est le leader
intellectuel officiel du secteur coopératif français.
Dans son récent ouvrage (Jean-François
DRAPERI, La République coopérative,
Théories et pratiques coopératives aux XIXe et XXe
siècles, Larcier, Bruxelles, 2012, collection Droit et économie sociale et
solidaire, 327 p.), il
retrace l’histoire du coopérativisme et des penseurs qui se sont succédé pour
le promouvoir.
C’est plus qu’un excellent
livre. C’est un ouvrage qui marquera
l’histoire tant du secteur coopératif que du monde de la coopération en
général.
Les tenants de l’habitat participatif doivent le lire, et n’ont pas d’excuses
s’ils ne le font pas, car ils ne peuvent pas reprocher à Jean-François DRAPERI
d’être anti-bobo ou hostile aux institutionnels du coopérativisme.
Quant aux partisans du comportement coopératif compris comme la réciprocité, ils pourront dévorer cet ouvrage avec plaisir
et intérêt aussi !
C’est la force incroyable
de cet auteur d’avoir pu fournir dans une langue claire un tableau
très riche de l’histoire du coopérativisme en retranscrivant, parfois avec
des formules d’une grande élégance, les
idées de tous les courants majeurs qui ont marqué cet univers spécifique.
Présenter ses propres
opinions de manière brillante, c’est déjà bien. Le faire aussi pour ce à quoi
on ne croit pas, cela demande plus que de l’honnêteté : il faut de la grandeur
pour y parvenir.
On peut être d’autant plus admiratif lorsqu’on ne partage pas certains choix de Monsieur DRAPERI.
Cet auteur a pu être décrit comme l’incarnation de l’intellectuel bohème (http://olivierlaurant.over-blog.com/article-je-n-ai-pas-aime-l-intervention-de-j-f-draperi-au-conseil-regional-75171871.html).
Ses opinions personnelles sont
effectivement claires et sa vision
épiscopalienne du coopérativisme ressort de l’ensemble de ses propos.
Comme il l’explique pour louer WATKINS, un grand acteur du
mouvement coopératif international, il faut placer l’unité de l’alliance
coopérative internationale au-dessus de la rigueur des théories (p. 173).
La pertinence des explications sur la coopération n’est pas liée à
des logiques mais à la force institutionnelle des acteurs qui s’expriment, et notamment
sa propre revue : « la REC/RECMA est le lieu de production et de valorisation d’une pensée
coopérative qui se présente, dès sa fondation en 1921, comme une tradition à
part entière, distincte à la fois des traditions de pensée libérale et critique »
(p. 105)
Le coopérativisme étant décrit comme une foi (p. 74) parfois partagée
par de petits groupes de croyants (p. 160) et reposant sur des prophéties notamment celle de Charles GIDE en 1889 (p.
123), on peut dire que la RECMA est la véritable
église de cette religion et que Monsieur
DRAPERI en est donc bien l’évêque puisqu’il prétend avoir autorité pour
définir qui est fidèle et qui doit être excommunié.
A propos de la vision communiste de la coopération qui ne
respectait pas les principes définis par l’Alliance Coopérative Internationale,
Jean-François DRAPERI explique : « N’est-il pas utile aujourd’hui de bien identifier
ces distinctions sémantiques et libérer ainsi le concept de coopération de ces
scories ? » (p. 150).
Comme
si l’ACI avait le pouvoir, par sa simple parole, de définir ce qui doit être
coopération ou non, ce qui est rouge ou ce qui est blanc, ce qui est lourd ou
léger, ce qui est feu ou ce qui est eau. Si voyant une flamme au-dessus d’une
allumette, l’ACI décrète, « tu es eau », la flamme va-t-elle se transformer
par magie ?
Si coopérer est ne pas instrumentaliser l’autre, comme le pensait Robert OWEN, une coopérative, même respectant les principes de l’ACI, peut ne pas correspondre à cet objectif et, en tout cas, cela mérite vérification. Le fait d’appartenir au secteur coopératif ne donne pas un brevet de coopération.
Si coopérer est ne pas instrumentaliser l’autre, comme le pensait Robert OWEN, une coopérative, même respectant les principes de l’ACI, peut ne pas correspondre à cet objectif et, en tout cas, cela mérite vérification. Le fait d’appartenir au secteur coopératif ne donne pas un brevet de coopération.
Or, ne peut être appelé coopération, pour Monsieur DRAPERI, que ce
qui est conforme aux principes énoncés par le mouvement coopératif
international (qui ont varié dans le temps de surcroît). L’Alliance Coopérative Internationale est donc incapable d’errer,
et il s’agit-là d’un dogme, un peu à
l’image de l’infaillibilité pontificale
pour les catholiques.
Dans le même temps, grâce à la lecture de Georges FAUQUET ou
Claude VIENNEY, Jean-François DRAPERI a la finesse d’admettre que le mouvement coopératif lancé par Charles
GIDE dans une optique quasiment religieuse
s’est institutionnalisé et qu’il vaut mieux parler de secteur coopératif (pp. 206 à 210).
Ensuite, Jean-François DRAPERI note que « La théorie de l’intercoopération d’H. Desroche
constitue un pont lancé entre le sens restreint donné au concept de ‘‘coopérative’’,
c’est-à-dire les entreprises coopératives, et le sens large du terme ‘‘coopération’’,
qui inclut toutes les organisations sociales requérant la coopération entre les
hommes »
(p. 259).
Cela revient, pour l’auteur, à admettre la distinction entre d’un côté, le secteur des coopératives et, de l’autre, la notion de coopération. Un peu comme un évêque anglican qui
admettrait que la doctrine de son Eglise et la vraie foi selon la Bible sont
deux choses en lien sans pour autant être strictement confondues.
Jean-François DRAPERI va encore plus loin en citant Jacques MOREAU
qui rappelait que : « Mouvement social, l’économie sociale doit gagner des membres à sa cause,
et elle ne peut le faire en se limitant à affirmer ses valeurs et ses
principes, fussent-ils excellents. » (p. 272).
Là où il est d’une rigueur intellectuelle qui en devient
touchante, c’est lorsqu’il fournit une présentation
convaincante de l’œuvre d’Albert MEISTER (1927 – 1982, mort à Kyoto).
Or, Albert MEISTER est celui qui a lancé le courant des études sur
la participation dans les associations.
Jean-François DRAPERI va jusqu’à citer une phrase d’Albert MEISTER
en 1961 : « Partis d’un tronc commun, la coopération, le
syndicalisme et les partis ouvriers se sont diversifiés et chacun d’eux se
trouve aux prises avec ses propres vicissitudes. Mais ils semblent rencontrer
dans la désaffection de leurs membres un obstacle commun. Pour eux tous, les
possibilités de consommation apportées aux individus par l’augmentation de leur
niveau de vie ont affaibli l’esprit de participation et personne ne voit bien
aujourd’hui comment ils surmonteront cet obstacle, comment ils ajusteront leurs
buts à ces conditions nouvelles » (p. 255).
Albert MEISTER soulignait que
plus les coopératives sont grandes, plus le principe de démocratie, dont il
est prétendu par l’ACI qu’il participe de l’identité coopérative, est
relativisé, la délégation remplaçant la
démocratie directe.
Bien entendu, Monsieur DRAPERI croit en la doctrine dont il est le
gardien et clame que la participation aux assemblées générales est un facteur
de démocratisation (p. 275).
Dans le même temps, il est capable d’avoir des envolées brillantes
lorsqu’il remarque que : « Le respect du lien social est ce qui traduit la
continuité entre les solidarités traditionnelles et les formes coopératives
modernes »
(p. 250).
L’assemblée générale où l’on se fait injurier et où personne ne
sanctionne les injures, détruit le lien social et n’a donc rien à voir avec la
démocratie. Monsieur
DRAPERI n’est certes pas d’accord, mais il a la gentillesse de retranscrire les
idées autres. On
ne peut que l’en remercier.
En examinant la coopération dans le tiers-monde, Jean-François DRAPERI
remarque aussi que : « Ces interventions s’appuient sur la participation des populations dans
un esprit de défense des droits fondamentaux de la personne »
(p. 237).
Justement, ce
qui fonde la pertinence d’une action collective, c’est sa capacité effective et
immédiate à garantir la sauvegarde des droits fondamentaux des participants.
L’aspect le plus agréable de ce livre est donc sa faculté à donner
de la coopération une image plus intéressante que ce que produit le strict coopérativisme
institutionnalisé.
Bien entendu, on peut émettre des doutes ponctuels sur certains
commentaires, notamment à propos d’Auguste
FABRE, présenté comme simple
socialiste au sein de l’Ecole de Nîmes aux côtés de GIDE et DE BOYVE qui
auraient représentés les chrétiens (p. 93). Auguste FABRE était fils de pasteur et pas forcément athée…
Ensuite, NEHRU n’a jamais été président de l’Union Indienne (p.
242).
Ce sont des détails sans importance au regard de l’érudition de l’auteur. C’est cette
érudition qui l’amène à commenter des courants avec lesquels il n’est pas en
phase, mais dont il admet l’intérêt.
La science politique et le droit constitutionnel, notamment à
propos de la notion de démocratie, ne sont pas sollicités par Jean-François
DRAPERI mais, en citant Albert MEISTER, qui focalisait bien plus son attention
sur ces points, l’auteur se prémunit contre cette critique.
En bref, il faut courir
commander ce livre ou l’acheter à la Confédération Générale des SCOP (A l'accueil, 37 rue
Jean Leclaire, 75017 PARIS).