Une
commémoration importante
Tous les ans, le 16
décembre, sachons nous souvenir de Pauline ROLAND.
Cette institutrice féministe
née en 1805 et morte le 16 décembre 1852 fut l’une des mères du mouvement coopératif français.
Elle a collaboré avec
le socialiste fouriériste Pierre LEROUX à Boussac où il avait fondé un
phalanstère dans la filiation de FOURIER.
Elle a aussi encouragé
des travailleurs au chômage à créer leurs propres entreprises et à les gérer
ensemble. Ainsi fut fondée l’Union des Associations de Travailleurs en 1848 qu’elle
a dirigée. Cette structure était l’ancêtre de l’actuelle Confédération Générale
des SCOP.
En 1851, Pauline
ROLAND a été persécutée par l’ignoble tyrannie putschiste conduite par le
méprisable Louis Napoléon BONAPARTE. Déportée en Algérie, elle n’a pu revenir
qu’en 1852 gravement malade et est décédée à Lyon peu après son retour en France.
Pauline ROLAND a vécu
en union libre, ce qui était perçu comme très audacieux à l’époque. Elle eut
trois enfants et insista pour qu’ils portent son nom et soient élevés par elle.
Elle a également recueilli la fille de Flora TRISTAN, Aline, qui allait devenir
plus tard la mère de Paul GAUGUIN.
En ces temps de
querelles autour des APL, qu’aurait pensé Pauline ROLAND des technocrates qui
conduisent une fronde contre le gouvernement élu et qui revendiquent le soutien
des associations de locataires ?
L’histoire
vue par une coopératrice
Pour comprendre les
idées de Pauline ROLAND, il faut lire un ouvrage intéressant et disponible en
ligne. C’est son Histoire de l’Angleterre depuis les temps les plus reculés jusqu’à nos
jours (Desessart, Paris, 1838, volume 1, 300 p., signé sous l'orthographe Pauline ROLLAND avec deux L...)
Bien entendu, les
connaissances historiques ont beaucoup évolué depuis 1838 sur l’antiquité et le
Moyen âge anglais. Pauline ROLAND porte également beaucoup d’avis moraux sur
les personnages historiques. Le livre est néanmoins surtout intéressant pour la
vision du monde qu’il propose plus encore que pour les informations qu’il
donne.
Pauline ROLAND
présente ainsi le christianisme comme la religion des faibles et des opprimés
par opposition au joug romain païen (p. 30).
Elle fustige la « lâcheté » d’Ethelred,
le roi saxon qui n’a pas su résister à l’invasion danoise menée en 1013 par
Sven, père de Canut le grand.
Pauline
ROLAND contre les tyrans
Concernant Guillaume
le Conquérant, qui envahit l’Angleterre à partir de 1066, Pauline ROLAND ne mâche pas ses mots :
« Lorsque Guillaume fut
véritablement roi d’Angleterre, l’oppression n’eut plus de bornes, et parce qu’il
pouvait tout, il se crut tout permis » (p. 92).
Quand ce roi mourut,
personne ne se soucia de ses funérailles dans un premier temps.
« Personne n’avait aimé
Guillaume, et il fut abandonné de tous quand on n’attendit plus rien de lui » (p. 103).
En effet, « sa perfidie et sa
cruauté n’avaient pas de bornes » (p. 104).
Guillaume le
Conquérant n’est pas le seul souverain à être vilipendé par Pauline ROLAND.
Henri Ier
Beauclerc, le fils cadet du Conquérant est fustigé ainsi : « Le roi haïssait ses
sujets anglo-saxons qu’il accablait d’exactions » (p. 117).
L’héritière d’Henri
Beauclerc, sa fille Mathilde, veuve du souverain du Saint-Empire romain
germanique, et pour cela appelée l’emperesse, n’est pas traitée avec plus de
ménagement par la féministe Pauline ROLAND qui lui reproche son refus de
respecter les lois anglo-saxonnes aboutissant à sa fuite de Westminster en 1141
(p. 124).
On le devine, Pauline
ROLAND n’aime pas les souverains autoritaires. Elle loue le fait que les rois saxons
aient traditionnellement été élus en Angleterre et que ce qu’elle appelle le
conseil national ait gardé une influence considérable pour régler les fréquentes
querelles de succession parmi les successeurs de Guillaume le Conquérant (p.
126).
Du bon
usage des mauvais rois pour la liberté
Pauline ROLAND
apprécie aussi les efforts d’Henri II Plantagenet pour limiter les privilèges
de l’Eglise qu’elle estime mauvais pour la bonne administration du pays (p.
136). C’est peut-être un anachronisme inspiré par l’anticléricalisme des
milieux progressistes à son époque à elle…
Elle condamne les
émeutes antisémites lors du sacre de Richard Cœur de Lion qu’elle décrit par le
menu (pp. 149-152) en notant l’appât du gain de ceux qui les ont fomentées,
au-delà des arguments qu’elle qualifie de « fanatiques ». Là encore, c’est parti d’un bon
sentiment qui ne reflète peut-être pas les enjeux médiévaux.
Elle approuve la charte
créant la commune de Londres accordée par Jean sans Terre qui voulait se créer
des alliés.
Concernant ce
souverain peu reluisant, elle remarque :
« Les brillantes qualités
des princes sont rarement les auxiliaires de la liberté ; peu de chartes
sont octroyées volontairement, et souvent le règne d’un imbécile tyran amène ce
qu’on a vainement attendu de ceux que l’histoire appelle de grands rois » (p. 160).
Elle porte le même
jugement sur son fils Henri III d’Angleterre dont le règne (1216-1272) est
décrit comme une longue minorité où s’est exercée la domination de régents puis
de favoris plus ou moins nuisibles :
« Les mécontentements que
soulevaient tour à tour ces gouvernants aidèrent à la marche de la liberté, et
on peut dire avec vérité que jamais roi si indigne n’eut un règne aussi fécond
en heureux résultats »
(p. 180).
C’est une référence
implicite au roi Charles X dont la tentative d’absolutisme suranné a provoqué
la révolution de 1830 en France…
Un
passé relu avec des lunettes démocrates et humanistes
Le fait que Jean sans
Terre ait été élu roi par le « conseil national » (p. 168) est aussi souligné. Son « libertinage », qualifié de « sans bornes » (p. 173) ont donc
finalement des conséquences intéressantes.
Le 19 juin 1215, la
Grande Charte (Magna Carta) est signée, contenant des « principes éternellement
vrais ».
Au final, la « lutte d’un grand peuple contre un misérable despote » a dès lors
produit de bons fruits (p. 175).
On a ici la preuve
que cette femme de gauche des années 1830 utilisait l’histoire d’Angleterre
comme prétexte pour faire passer des idées contre la tyrannie monarchique avec
des objectifs que les acteurs médiévaux dont elle loue les révoltes auraient
trouvé sans doute surprenants.
Le Comte de
Gloucester (1090-1147) allié de l’impératrice Mathilde ou le Comte de Leicester
Simon de Monfort (mort en 1218) auraient été surpris de recevoir les éloges d’une
féministe partisane de l’autogestion par les travailleurs des moyens de
production… Soyons francs, ils auraient sans doute bien ri !
Les
bornes et la servitude
On peut noter que
Pauline ROLAND aime utiliser l’expression « pas de bornes ». En page 183, elle explique
que la colère des barons médiévaux contre Henri III n’avait pas de bornes et
que la prodigalité de ce roi n’avait pas de bornes non plus.
Cet appel à la
modération et au contrôle de soi est aux sources de l’attitude du mouvement
coopératif encore aujourd’hui.
Vouloir construire
des limites pour poser des freins à la domination des uns sur les autres est
également une préoccupation importante, d’où l’insistance de Pauline ROLAND sur
les révoltes contre le servage de 1381 et son éloge du religieux « Jean BALL » (John BALL), « pauvre prêtre » trois fois
emprisonné pour ses idées (p. 232).
Là encore, on peut
ironiser sur l’apologie qu’elle fait de l’auteur d’une des phrases certes des
plus révolutionnaires mais aussi des plus machistes de l’histoire médiévale (When
Adam delved and Eve span, who was then the gentleman ?) (Quand
Adam bêchait et Eve filait, qui était donc le gentilhomme ?).
Selon John BALL, les
femmes étaient donc uniquement bonnes pour utiliser la quenouille… Ce qui avait
un sens au Moyen âge où l’on disait d’un fief hérité par une femme qu’il
partait en quenouille…
Si on veut faire un
jeu de mots sur le nom de John BALL, on pouvait dire que son discours était
parti en autre chose…
La société médiévale
était inégalitaire et machiste, même quand elle s’opposait au despotisme
monarchique ou seigneurial. C’est un point central que Pauline ROLAND a mal vu
et qui explique les problèmes du mouvement coopératif aujourd’hui, puisqu’il a
bâti de nouvelles hiérarchies élitistes camouflées derrière une démagogie
prétendument hostile au servage.
La sympathie
romantique
Pauline ROLAND fut
une femme formidable mais elle est restée une dame de son temps, très marqué
par la sensibilité romantique, ce qui n’est pas toujours désagréable. Elle n’aime
pas trop les rois et les hauts aristocrates arrogants, mais dès qu’ils sont
vaincus, elle sait les plaindre.
Edouard II est un « malheureux » quand il est
assassiné par ses barons révoltés (p. 210).
La duchesse de
Gloucester Eléonore COBHAM est une « malheureuse » quand elle doit faire amende
honorable, accusée de sorcellerie (p. 267).
Pauline ROLAND a
aussi toujours tendance à défendre les enfants, même quand ils sont rois.
Isabeau de Bavière,
qui abandonne son fils Charles VII à la vindicte des Anglais, est qualifiée de « misérable Isabeau » et de « mère aussi dénaturée qu’indigne
épouse »
(pp. 257 et 258).
L’amour libre, d’accord,
mais pas l’adultère… On peut approuver Pauline ROLAND tout en notant qu’il est
difficile de juger les gens du Moyen âge avec notre morale des XIXe,
XXe et XXIe siècles.
Elle qualifie aussi d’infamie
la déposition du jeune roi Edouard V par son oncle Richard III avec l’assentiment
d’un « parlement vénal » et du fait des agissements du « vil Buckingham », conseiller
du nouveau roi (p. 294).
Pourtant, Pauline
ROLAND explique à plusieurs reprises qu’elle préfère le gouvernement par les
élus et qu’elle estime que le pouvoir royal, surtout quand il est placé dans
les mains d’un enfant, mène à la catastrophe.
Néanmoins, une fois l’enfant
destitué, elle plaint celui-ci en tant que jeune être humain digne de respect,
d’amour, de protection et de mansuétude.
C’est charmant et il
nous faut tenter de garder cette gentillesse.
La
révolte du clergé privilégié des HLM
Qu’aurait pensé Pauline
ROLAND de l’actuelle caste qui dirige les HLM ?
D’abord, elle l’aurait
assimilée à un clergé.
Ensuite, elle en
aurait sans doute dit beaucoup de mal. Elle aurait approuvé les questions
légitimes de la CLCV qui a mis en cause la gouvernance des HLM et les rémunérations
parfois mal contrôlées (https://www.cbanque.com/actu/48950/hlm-association-de-consommateurs-clcv-poursuit-son-operation-transparence).
Elle aurait approuvé la
CLCV, qui a bien fait son travail et qui se réclame d’idées proches des siennes
(en voulant encourager les citoyens à prendre leurs affaires en mains, ce qui
devrait mener à l’autogestion dans les HLM).
Elle aurait, par
contre, regretté que la CLCV abandonne aujourd’hui sa position vigilante pour
donner sa caution à une opération de propagande menée par une élite
autoproclamée avec l’argent des organismes HLM contre le gouvernement élu.
Pauline ROLAND n’aimait
pas les clercs privilégiés. Autant elle se réjouissait de voir des tyrans
féodaux maladroits faire monter par réaction les contrepouvoirs civils, autant
elle approuvait les rois forts qui faisaient plier l’Eglise et ses prétentions.
Néanmoins, il ne faut
pas désespérer, d’autant que la CLCV est très prudente, un peu comme gênée dans
cette affaire. Qu’elle s’inspire donc de Pauline ROLAND qui n’a jamais été
complaisante ou courtisane à l’égard des puissants et des gens établis.
Si les privilégiés
prétendent réellement défendre les occupants des HLM, qu’ils leur laissent la
place, comme en 1848 dans l’association dirigée par Pauline ROLAND où les
ouvriers avaient pris le pouvoir. Alors seulement les récriminations contre le
gouvernement qui prive de moyens les HLM pourront être entendues.
Quant à ceux qui
prétendent que cet impossible, qu’ils vérifient ce qui s’est passé dans le
mouvement coopératif où des SCOP sans élite prédatrice fonctionnent très bien (et
en tout cas beaucoup mieux que des organismes mal gérés par des potentats). On
rappelle qu’une société coopérative a fonctionné durant 7 siècles en France…
Peu d’entreprises et aucun organisme HLM ne peuvent en dire autant.