Certains s’étonnent des relations
extrêmement tendues entre syndics et copropriétaires. Ainsi, des commentateurs
déplorent les invectives qui sont échangées et les mettent sur le compte de « l’ensauvagement » de notre société. Quelques margoulins
veulent même se faire payer en organisant des « médiations » entre des personnes qui ont d’excellentes
raisons de se détester… Le but est de tordre le bras aux plus fragiles pour
faire accepter des violations de la loi. Or, de nombreux copropriétaires ont
été trompés à l’achat. De leur point de vue, le syndic n’est autre que le bras
armé d’un ordre public punitif qui s’impose dans la tromperie et l’inefficacité.
Tant que ces copropriétaires déçus auront raison sur ce point, les différends entre eux et
les syndics se multiplieront.
Contraintes collectives cachées
Depuis 1789, les gouvernants français
ont voulu inciter les citoyens à acquérir chacun des lopins de terre pour stabiliser
les familles et susciter un attachement à un bien immobilier particulier. Cela
permettait de combattre les idées révolutionnaires tout en développant un
esprit individualiste. L’absence de corps intermédiaires puissants permettait à
l’État d’être omnipotent.
Après le premier conflit mondial, il a
été constaté que de nombreux immeubles possédés par des détenteurs uniques
étaient mal entretenus. Des chambrettes dégradées y étaient louées à des
familles ouvrières dans des conditions d’insalubrité répugnantes.
En 1938, le Parlement donc créé la
notion de copropriété pour tenter de mobiliser l’épargne de plusieurs ménages
pour l’entretien de bâtiments uniques. Ainsi est née la notion de lot de
copropriété. Ce dernier est composé de manière indissociable de parties
privatives et d’une quote-part de parties communes gérées collectivement. Des
syndicats de copropriétaires devaient naître. L’organe décisionnel principal
était l’assemblée générale des copropriétaires.
Comme on n’attire pas les mouches avec
du vinaigre et que les Français étaient désormais culturellement attachés à une
conception individualiste de la propriété, les notaires ont dissimulé la
dimension collectiviste de la copropriété lors des achats de lots, avec la
bénédiction des pouvoirs publics qui espéraient sans doute qu’une fois devenus
copropriétaires, les Français allaient progressivement s’habituer à accepter
des contraintes collectives.
Or, quand on donne tous les pouvoirs à
des assemblées composées de spéculateurs individualistes, il ne faut pas s’attendre
à ce qu’ils instaurent du collectivisme.
Les travaux lourds attendus par le
gouvernement n’ont donc pas été entrepris.
Ordre public trompeur
Au lieu de comprendre que le projet même
de la copropriété n’était peut-être pas adapté à la culture française, le
gouvernement a persévéré dans l’erreur.
Par la loi du 10 juillet 1965, le
pouvoir gaulliste a donc décidé d’imposer, en copropriété, des règles d’ordre
public, c’est-à-dire qui s’appliquent même si les copropriétaires voudraient s’arranger
autrement entre eux. Depuis, ces règles se sont considérablement alourdies, notamment
vis-à-vis du syndic, la personne chargée d’exécuter les décisions de l’assemblée
générale.
Le syndic a été accablé de missions
diverses dont certaines relèvent uniquement du service de l’intérêt général
(immatriculation, signalement, propositions diverses à faire obligatoirement à
l’assemblée générale...).
On peut parler des douze travaux du
syndic qui doit être archiviste (avec une profusion de paperasses),
documentaliste (avec des éléments à fournir en permanence), gestionnaire des
sinistres assurantiels, conseiller juridique des copropriétaires, animateur des
assemblées générales (qui obéissent à des formalités multiples et tatillonnes),
chargé de l’entretien des parties communes (alors que les vices de construction
se multiplient), représentant légal (lors de procédures longues et
compliquées), exécutant des décisions d’assemblées générales (alors que l’tat
impose aux assemblées de se prononcer en permanence sur tout et rien),
comptable (avec un schéma comptable bien plus complexe que celui des
entreprises), dirigeant du personnel (et chacun connaît la complexité du droit
du travail français), agent public (l’administration voulant que le syndic soit
son relai bénévole dans l’immeuble), le tout en exerçant son mandat à titre strictement
personnel (au moment où les fusions-absorptions se multiplient, ce qui peut
entraîner la perte du mandat).
Ces missions et les différends qu’elles
génèrent sont décrites dans un livre qui vient de paraître.
Or, le syndic, quand il est rétribué,
est payé par les copropriétaires. Quand le syndic n’est pas rétribué, c’est
obligatoirement un des copropriétaires qui exerce cette mission.
Pourquoi les copropriétaires devraient-ils
payer ou se dépenser pour accomplir des missions qui ne sont même pas directement
à leur avantage ?
En effet, les assemblées générales de
copropriétaires sont restées les principaux organes décisionnaires, avec
notamment le pouvoir de nommer le syndic.
Avec un ordre public toujours plus
lourd, cet état de fait ne pouvait que provoquer des catastrophes.
Un monde sans syndics
Comme les spéculateurs individualistes
attirés par des publicités mensongères en copropriété ne sont pas abrutis, ils
ont trouvé la parade face à un ordre public contraignant qui leur est
généralement dissimulé à l’achat.
Puisque le syndic est le bras armé de l’ordre
public, il suffit de ne pas en élire un pour être tranquille.
Ainsi, l’État a cru très fin d’imposer
une immatriculation obligatoire à compter du 31 décembre 2018, à la charge du
syndic, bien entendu…
Au 31 mars 2020, 111 064 syndicats
de copropriétaires étaient dénués de syndics sur les 450 868 syndicats
immatriculés. On peut évaluer à environ 236 000 le nombre de syndicats de
copropriétaires même pas immatriculés du tout, et donc sans doute dénués de
syndics officiels. Sur 687 000 syndicats de copropriétaires, il n’y a donc
assurément ou probablement pas de syndic dans la moitié d’entre eux ; voir
Th. POULICHOT, « Copropriété désorganisée : les chiffes », Informations
Rapides de la Copropriété (IRC), n° 661, septembre 2020, p. 38…
De nombreux lots de copropriété sont
vendus dans des immeubles dénués de syndic, ce qui posent des problèmes d’information
des acquéreurs et présente de graves risques de conflits, voir Ch.
COUTANT-LAPALUS, « Un monde sans syndic et la vente d’un lot », IRC
n° 661, pp. 37 à 41.
Arrêter les tromperies
La première des choses à faire pour éviter
les différends est de prévenir les acheteurs pour que plus jamais ils ne soient
pris par surprise.
Un livret de suivi doit être établi dans
tous les syndicats de copropriétaires, sans même qu’il soit besoin de faire
intervenir la loi.
Pour chaque lot, les sinistres
intervenus et les jugements rendus doivent être signalés. La liste des
assemblées générales depuis la mise en copropriété doit être donnée, tout comme
l’identité du président de séance et des éventuels scrutateurs. Le taux de
participation pour l’élection du bureau doit être indiqué. Le nom des syndics
et des conseillers syndicaux doit être fourni.
Ainsi, l’acheteur saura parfaitement si
le syndicat de copropriétaires fonctionne normalement ou non. Les avantages du
livret de suivi sont décrits dans le livre précité.
Reconstruire l’intermédiation
Pour les copropriétaires qui sont déjà
piégés, inutile de leur donner des leçons ou de tenter de les arnaquer en leur
proposant des médiations où le médiateur est ligué avec ceux qui les ont
escroqués.
Le copropriétaire ne doit plus être vu
comme un consommateur méprisé et manipulable à merci.
Toute la camarilla des technocrates insolents
qui n’a jamais écrit une ligne dans une revue sérieuse sur la copropriété doit
apprendre à se taire et à ne plus toiser avec arrogance de malheureux
copropriétaires que les pouvoirs publics ont contribué à tromper.
Pour éviter les échanges explosifs et l’incrustation
des haines, les copropriétaires doivent insister pour ne jamais être interpelés
directement par les acteurs défaillants responsables des vices du système
immobilier actuel.
Que chacun adhère à une association
agréée et insiste pour la constitution de comités de pilotage permettant de
vérifier que les syndics soient certifiés suite à l’accomplissement de tâches
précises laissant des traces écrites. Là encore, ces mécanismes sont décrits
dans l’ouvrage précité (Syndics. La Prévention des différends).