Dans la RFCP n° 11 qui
vient d’être mise en ligne aujourd’hui, les analyses de Christophe GUILLUY sont
longuement analysées et discutées.
La
faute aux bobos !
Depuis 2001, cet
auteur a eu le mérite de révéler l’importance du phénomène bobo en France et cela sans fausse pudeur, lâcheté ou
hypocrisie.
Le bobo (bourgeois
bohème) existe, n’en déplaise aux biens pensants qui en font partie et qui
tentent de lancer un nuage d’encre pour le cacher, un peu comme les pieuvres
qui s’enfuient lorsqu’elles ont peur.
Christophe GUILLUY
montre comment la bobocratie instrumentalise les étrangers précarisés et les
pauvres tout en les exploitant. Les banlieues et les SDF servent d’écrans de
fumée pour dissimuler les difficultés des classes populaires classiques
devenues invisibles.
Ainsi s’est créée une
France périphérique d’aidants qui font économiser 164 milliards d’euros à l’Etat
chaque année, alors que la manne publique est concentrée sur les bobos de la France
métropolitaine.
L’antifascisme est
devenu une arme de classe pour faire taire tous ceux qui constatent ces
violences sociales auxquelles se livrent les bobos abrités derrière leurs
euphémismes et leur faux antiracisme moralisant.
Les libéraux
libertaires bohèmes sont en fait les serviteurs zélés d’un capitalisme
mondialisé, ce qui les détache des préoccupations des classes populaires. Les
mobilisations hashtag pour se donner bonne conscience n’intéressent que cette
élite cultureuse toujours plus repliée sur ses ghettos hédonistes et ignorante
des réalités.
Selon Christophe GUILLUY,
le vote FN est le symptôme de la révolte de la France périphérique contre cette
Bohème odieuse.
Pour ceux qui
accuseront Christophe GUILLUY d’être raciste, celui-ci souligne constamment que
l’Outre-mer, où les Blancs ne sont pas majoritaires, est l’archétype de la France
périphérique.
On notera, d’ailleurs,
la montée du FN en Outre-mer, et notamment en Guyane.
Un bon
diagnostic, mais un remède problématique
Les analyses décrites
ci-dessus relèvent désormais de l’évidence. Les élections de 2017 ont montré la
perte de vitesse des bobos et de leurs candidats politiques naturels (PS et
EELV), tous à leurs rêveries sur le revenu universel, tandis que de nombreux
Français doivent fuir les immeubles en copropriété nauséabonds et les banlieues
ethnicisées pour vivre dans des zones pavillonnaires toujours plus éloignées.
Comme remède à ces
évolutions, Christophe GUILLUY propose le retour de l’identité, sans préciser s’il
prône plutôt la nostalgie ouvriériste façon France insoumise ou le retour du
village gaulois façon FN.
Afin d’étayer son
propos, Christophe GUILLUY cite Robert PUTNAM, tout en notant que ce dernier
est de gauche.
C’est là que des
réserves peuvent être émises.
PUTNAM, qui a été
décoré par Bill CLINTON, est effectivement proche des démocrates américains,
même si ces derniers seraient sans doute des centristes sur l’échiquier
politique français, en sachant qu’ils ont soutenu ouvertement l’actuel
président de la République.
Toutefois, le
problème de Christophe GUILLUY dans son interprétation de PUTNAM ne tient pas à
la question du positionnement politique mais plutôt à la précision dans la
description du raisonnement.
Pour PUTNAM, dans ses
écrits Bowling Alone (1995) (https://archive.realtor.org/sites/default/files/BowlingAlone.pdf)
ou E Pluribus Unum (2007), il existe
trois modèles pour décrire les réactions des populations face à la diversité.
Tout d’abord, les
personnes diverses vivant ensemble pourraient ainsi devenir plus tolérantes et
bienveillantes. C’est la théorie du
contact.
On pourrait aussi
penser que ceux qui voient arriver vers eux des gens différents auraient
tendance à se souder pour résister aux intrus. C’est la théorie du conflit.
Enfin, on peut penser
que des personnes différentes qui se côtoient ont des tensions entre elles qui
les dégoûtent de la vie collective. C’est la théorie de la constriction.
Dans ses enquêtes,
PUTNAM constate que c’est cette dernière théorie qui fonctionne aujourd’hui aux
Etats-Unis.
Christophe GUILLUY en
déduit pour la France qu’il faut moins d’immigration. Surtout, il prévoit que
les classes populaires vont se regrouper sur une base identitaire pour résister
à l’élite mondialisée.
Christophe GUILLUY,
en se ralliant à la théorie du conflit, semble avoir lu PUTNAM trop rapidement.
Pour l’auteur américain, la France périphérique telle que la décrit Christophe
GUILLUY serait non un cadre de mobilisation contre l’élite mais un lieu de
démobilisation.
La diversité des
métropoles crée des tensions qui chassent les classes populaires des centres
urbains après les avoir dégoutées de l’action collective.
Dans ce cadre,
comment relancer une dynamique civique sans attendre une remobilisation
identitaire peu crédible et sans croire non plus aux âneries bohèmes sur le participatif ?
La
discipline contre l’identité
Christophe GUILLUY
aime le peuple, ce qui est tout à son honneur.
Par contre, la
logique de l’action collective n’est pas sa préoccupation principale. Même s’il
parle de la défiance liée à la diversité et qu’il évoque sommairement PUTNAM,
il ne cite pas les nombreux travaux intervenus dans ce que l’on appelle les
sciences citoyennes, bien que ces études puissent aussi être critiquées, évidemment.
Pour que les citoyens
se mobilisent, encore faut-il organiser la société dans ce sens.
L’invocation de l’identité
n’est pas suffisante, dans ce cadre. Le repli sur des quartiers pavillonnaires
homogènes non plus. Le voisinage cordial limité dans le cadre d’un repli de
chacun derrière ses haies de thuyas ne permet pas une résistance efficace face
aux élites.
Christophe GUILLUY, qui
a longtemps été au service d’élus locaux, n’est pas gêné par le consumérisme et
la dépendance qu’il induit à l’égard des notables. Bien qu’il critique la lubie
de la démocratie participative qui n’est qu’un gadget utilisé par des bobos et
des technocrates afin de manipuler les classes populaires, il s’accommode d’une
forme de décervelage de la France périphérique dans le rêve simpliste d’une homogénéité
identitaire.
Pendant ce temps,
personne ne conquiert une réelle autonomie par rapport aux experts établis.
Christophe GUILLUY a
donc raison de stigmatiser la tentative de domination culturelle des bobos sur
le peuple. Par contre, il devrait moins négliger la division du peuple entre, d’une
part, des consuméristes endormis par le rêve identitaire qui acceptent la
domination des élites et, d’autre part, des affranchis qui construisent une
capacité d’indépendance face aux bureaucrates, aux notables et aux Bohèmes, y
compris en acceptant la contestation de chacun de ces groupes. En effet, celui
qui est vraiment libre ne redoute pas la contradiction. Sinon, il prend le
risque de rester piégé par des illusions.
Les bobos ont sans
doute eu des torts et méritent la défiance voire la réprobation de tous. Cette
stigmatisation peut néanmoins être positive. En ostracisant les Bohèmes, on les amène à rester vigilants et critiques face à ceux qui ont secoué
le joug culturel qu’ils ont voulu imposer. Et la critique vigilante n’a jamais
fait de mal à personne. Quand elle est déplacée, il suffit de le démontrer, et
on se renforce d’autant.
La cité antique d'Athènes ostracisait des citoyens qui, parfois du seul fait de leur passé, présentaient une menace pour le corps civique. Ce n'était pas une sanction pénale mais plutôt l'accomplissement d'un devoir civique. Les ostracisés devaient quitter le sol de la Cité mais ne perdaient ni leurs biens, ni leur citoyenneté. Ils pouvaient même être rappelés. La noblesse, pour les bobos, devrait être de savoir accepter leur ostracisme pour le bien de tous.
La cité antique d'Athènes ostracisait des citoyens qui, parfois du seul fait de leur passé, présentaient une menace pour le corps civique. Ce n'était pas une sanction pénale mais plutôt l'accomplissement d'un devoir civique. Les ostracisés devaient quitter le sol de la Cité mais ne perdaient ni leurs biens, ni leur citoyenneté. Ils pouvaient même être rappelés. La noblesse, pour les bobos, devrait être de savoir accepter leur ostracisme pour le bien de tous.
Si les bobos peuvent
donc être à première vue les meilleurs alliés de l’extrémisme de droite quand
le peuple se comporte en consumériste, ce n’est plus le cas lorsque les
citoyens décident sérieusement de s’affranchir tout en le prouvant, aux autres
comme à eux-mêmes. Le bobo, tout illégitime et ostracisé qu’il soit, devient alors un
aiguillon dont le regard critique et malveillant aide à faire ses preuves.