jeudi 10 août 2017

La Bohème, un tract ambulatoire pour l’extrême droite ?

Dans la RFCP n° 11 qui vient d’être mise en ligne aujourd’hui, les analyses de Christophe GUILLUY sont longuement analysées et discutées.
  


La faute aux bobos !

Depuis 2001, cet auteur a eu le mérite de révéler l’importance du phénomène bobo en France et cela sans fausse pudeur, lâcheté ou hypocrisie.

Le bobo (bourgeois bohème) existe, n’en déplaise aux biens pensants qui en font partie et qui tentent de lancer un nuage d’encre pour le cacher, un peu comme les pieuvres qui s’enfuient lorsqu’elles ont peur.

Christophe GUILLUY montre comment la bobocratie instrumentalise les étrangers précarisés et les pauvres tout en les exploitant. Les banlieues et les SDF servent d’écrans de fumée pour dissimuler les difficultés des classes populaires classiques devenues invisibles.

Ainsi s’est créée une France périphérique d’aidants qui font économiser 164 milliards d’euros à l’Etat chaque année, alors que la manne publique est concentrée sur les bobos de la France métropolitaine.

L’antifascisme est devenu une arme de classe pour faire taire tous ceux qui constatent ces violences sociales auxquelles se livrent les bobos abrités derrière leurs euphémismes et leur faux antiracisme moralisant.

Les libéraux libertaires bohèmes sont en fait les serviteurs zélés d’un capitalisme mondialisé, ce qui les détache des préoccupations des classes populaires. Les mobilisations hashtag pour se donner bonne conscience n’intéressent que cette élite cultureuse toujours plus repliée sur ses ghettos hédonistes et ignorante des réalités.

Selon Christophe GUILLUY, le vote FN est le symptôme de la révolte de la France périphérique contre cette Bohème odieuse.

Pour ceux qui accuseront Christophe GUILLUY d’être raciste, celui-ci souligne constamment que l’Outre-mer, où les Blancs ne sont pas majoritaires, est l’archétype de la France périphérique.

On notera, d’ailleurs, la montée du FN en Outre-mer, et notamment en Guyane.

Un bon diagnostic, mais un remède problématique

Les analyses décrites ci-dessus relèvent désormais de l’évidence. Les élections de 2017 ont montré la perte de vitesse des bobos et de leurs candidats politiques naturels (PS et EELV), tous à leurs rêveries sur le revenu universel, tandis que de nombreux Français doivent fuir les immeubles en copropriété nauséabonds et les banlieues ethnicisées pour vivre dans des zones pavillonnaires toujours plus éloignées.

Comme remède à ces évolutions, Christophe GUILLUY propose le retour de l’identité, sans préciser s’il prône plutôt la nostalgie ouvriériste façon France insoumise ou le retour du village gaulois façon FN.

Afin d’étayer son propos, Christophe GUILLUY cite Robert PUTNAM, tout en notant que ce dernier est de gauche.

C’est là que des réserves peuvent être émises.

PUTNAM, qui a été décoré par Bill CLINTON, est effectivement proche des démocrates américains, même si ces derniers seraient sans doute des centristes sur l’échiquier politique français, en sachant qu’ils ont soutenu ouvertement l’actuel président de la République.

Toutefois, le problème de Christophe GUILLUY dans son interprétation de PUTNAM ne tient pas à la question du positionnement politique mais plutôt à la précision dans la description du raisonnement.

Pour PUTNAM, dans ses écrits Bowling Alone (1995) (https://archive.realtor.org/sites/default/files/BowlingAlone.pdf) ou E Pluribus Unum (2007), il existe trois modèles pour décrire les réactions des populations face à la diversité.

Tout d’abord, les personnes diverses vivant ensemble pourraient ainsi devenir plus tolérantes et bienveillantes. C’est la théorie du contact.

On pourrait aussi penser que ceux qui voient arriver vers eux des gens différents auraient tendance à se souder pour résister aux intrus. C’est la théorie du conflit.

Enfin, on peut penser que des personnes différentes qui se côtoient ont des tensions entre elles qui les dégoûtent de la vie collective. C’est la théorie de la constriction.

Dans ses enquêtes, PUTNAM constate que c’est cette dernière théorie qui fonctionne aujourd’hui aux Etats-Unis.

Christophe GUILLUY en déduit pour la France qu’il faut moins d’immigration. Surtout, il prévoit que les classes populaires vont se regrouper sur une base identitaire pour résister à l’élite mondialisée.

Christophe GUILLUY, en se ralliant à la théorie du conflit, semble avoir lu PUTNAM trop rapidement. Pour l’auteur américain, la France périphérique telle que la décrit Christophe GUILLUY serait non un cadre de mobilisation contre l’élite mais un lieu de démobilisation.

La diversité des métropoles crée des tensions qui chassent les classes populaires des centres urbains après les avoir dégoutées de l’action collective.

Dans ce cadre, comment relancer une dynamique civique sans attendre une remobilisation identitaire peu crédible et sans croire non plus aux âneries bohèmes sur le participatif ?

La discipline contre l’identité

Christophe GUILLUY aime le peuple, ce qui est tout à son honneur.

Par contre, la logique de l’action collective n’est pas sa préoccupation principale. Même s’il parle de la défiance liée à la diversité et qu’il évoque sommairement PUTNAM, il ne cite pas les nombreux travaux intervenus dans ce que l’on appelle les sciences citoyennes, bien que ces études puissent aussi être critiquées, évidemment.

Pour que les citoyens se mobilisent, encore faut-il organiser la société dans ce sens.

L’invocation de l’identité n’est pas suffisante, dans ce cadre. Le repli sur des quartiers pavillonnaires homogènes non plus. Le voisinage cordial limité dans le cadre d’un repli de chacun derrière ses haies de thuyas ne permet pas une résistance efficace face aux élites.

Christophe GUILLUY, qui a longtemps été au service d’élus locaux, n’est pas gêné par le consumérisme et la dépendance qu’il induit à l’égard des notables. Bien qu’il critique la lubie de la démocratie participative qui n’est qu’un gadget utilisé par des bobos et des technocrates afin de manipuler les classes populaires, il s’accommode d’une forme de décervelage de la France périphérique dans le rêve simpliste d’une homogénéité identitaire.

Pendant ce temps, personne ne conquiert une réelle autonomie par rapport aux experts établis.

Christophe GUILLUY a donc raison de stigmatiser la tentative de domination culturelle des bobos sur le peuple. Par contre, il devrait moins négliger la division du peuple entre, d’une part, des consuméristes endormis par le rêve identitaire qui acceptent la domination des élites et, d’autre part, des affranchis qui construisent une capacité d’indépendance face aux bureaucrates, aux notables et aux Bohèmes, y compris en acceptant la contestation de chacun de ces groupes. En effet, celui qui est vraiment libre ne redoute pas la contradiction. Sinon, il prend le risque de rester piégé par des illusions.

Les bobos ont sans doute eu des torts et méritent la défiance voire la réprobation de tous. Cette stigmatisation peut néanmoins être positive. En ostracisant les Bohèmes, on les amène à rester vigilants et critiques face à ceux qui ont secoué le joug culturel qu’ils ont voulu imposer. Et la critique vigilante n’a jamais fait de mal à personne. Quand elle est déplacée, il suffit de le démontrer, et on se renforce d’autant.

La cité antique d'Athènes ostracisait des citoyens qui, parfois du seul fait de leur passé, présentaient une menace pour le corps civique. Ce n'était pas une sanction pénale mais plutôt l'accomplissement d'un devoir civique. Les ostracisés devaient quitter le sol de la Cité mais ne perdaient ni leurs biens, ni leur citoyenneté. Ils pouvaient même être rappelés. La noblesse, pour les bobos, devrait être de savoir accepter leur ostracisme pour le bien de tous. 

Si les bobos peuvent donc être à première vue les meilleurs alliés de l’extrémisme de droite quand le peuple se comporte en consumériste, ce n’est plus le cas lorsque les citoyens décident sérieusement de s’affranchir tout en le prouvant, aux autres comme à eux-mêmes. Le bobo, tout illégitime et ostracisé qu’il soit, devient alors un aiguillon dont le regard critique et malveillant aide à faire ses preuves.