Les Rencontres Nationales de l’Habitat
Participatif auront lieu à Marseille des 9 au 11 juillet 2015 (http://www.acteursdelhabitat.com/Les-Rencontres-Nationales-de-l).
La conférence
plénière se tenant déjà à guichet fermé et une liste d’attente ayant été mise
en place, chacun est invité à vérifier à quelle partie de la manifestation il
peut encore se rendre.
Cela nous donne,
néanmoins, une bonne occasion d’aborder à nouveau la question de l’habitat
participatif.
Les technocrates et
les tenants de l’ordre établi manifestent souvent leur mépris pour ce courant
novateur.
En effet, certains
fonctionnaires détestent les groupes d’habitants qui deviennent autonomes.
Quant aux réseaux de
margoulins, ils prétendent que la copropriété est naturellement participative.
Bien évidemment, la
copropriété est à l’opposé idéologiquement de la participation. Elle repose sur
le bonapartisme et le mythe de la toute-puissance du propriétaire dans ses
parties privatives, sur fond d’écrasement de la minorité par l’opposition, et
de destruction sociale des payeurs par les profiteurs.
Pour comprendre à
quel point la participation n’a rien à voir avec cela, il faut se rappeler d’où
elle provient historiquement.
Entre 1955 et 1985,
avec une apogée entre 1965 et 1975, la gauche démocratique et les chrétiens
progressistes ont beaucoup parlé d’autogestion.
L’organisation syndicale
qui a le plus insisté sur ce concept fut la CFDT, dont l’autogestion a servi de marqueur identitaire. Cela lui
a permis de mieux résister que sa concurrente la CGT à la désyndicalisation. Aujourd’hui,
la CFDT et la CGT font jeu égal, alors qu’en 1964, à la naissance de la CFDT (par
déconfessionnalisation de la CFTC), le rapport de force était de 1 pour la CFDT
à 3 pour la CGT (Franck GEORGI, CFDT : l’identité en questions. Regards
sur un demi-siècle (1964-2014), Arbre bleu, Nancy, 288 p.)...
Les organisations
politiques qui ont le plus parlé d’autogestion furent les GAM (Groupements d’Action Municipale, notamment à Grenoble, où le
fondateur d’un GAM, Hubert DUBEDOUT, fut maire de 1965 à 1983, ce qui préfigurait
la situation actuelle où le maire Eric PIOLLE a été élu sur fond de montée de
l’alliance citoyenne). On doit aussi citer le PSU (puis les rocardiens au sein du PS) et le CERES (au sein du PS).
Pour en savoir plus,
chacun est invité à lire Autogestion. La dernière utopie ?
(dir. Frank GEORGI), Publications de la
Sorbonne, Paris, 2003, 614 p. (avec notamment pp. 309 à 322, Gilles MORIN,
« Les GAM et l’autogestion », pp. 201 à
219, Frank GEORGI, « Les
‘‘rocardiens’’ : pour une culture politique autogestionnaire » et pp. 187 à
200, Emeric BREHIER, « Le CERES et
l’autogestion au travers de ses revues : fondement identitaire et posture
interne »).
Des staliniens et des
agioteurs n’ont repris le thème de l’autogestion qu’à partir de la fin des
années 1970 pour le subvertir en autoritarisme ou en affairisme, l’hypocrisie
étant le plus bel hommage que le vice rend à la vertu.
Le penseur principal
de l’autogestion fut Pierre ROSANVALLON, aujourd’hui professeur au Collège de
France (voir Pierre ROSANVALLON, L’Âge de l’autogestion, Points,
Politique, Seuil, Paris, 1976, 187 p., et notamment p. 99 pour l’hommage à
la CFDT dont Pierre ROSANVALLON était un animateur).
Le chercheur le plus
original du mouvement autogestionnaire fut Albert
MEISTER, déjà cité sur ce blog (http://bit.ly/1KbtuT3). Un de ses ouvrages
marquants fut Socialisme et autogestion. L’expérience yougoslave, Collection
Esprit ‘‘Frontière ouverte’’, Seuil, Paris, 1964, 399 p., avec un passage
remarquable de lucidité, page 196 : « Il
est sans doute utopique de penser recréer des liens communautaires sur la base
de quartiers urbains hétérogènes au point de vue socioprofessionnel et au point
de vue des aspirations : les observations faites sur les expériences communautaires
d’autres pays, parties de sentiments fraternels et communautaires très vifs,
montrent plutôt une tendance à l’individualisation de la consommation et de la
vie quotidienne qu’elles voulaient communautaires au départ ».
Albert MEISTER nous a
quittés en 1982 et est mort à Kyoto après avoir élaboré une étude sur les
groupes autogestionnaires japonais.
Vers la fin de sa vie, il se faisait de moins
en moins d’illusions sur les appels à l’autogestion (voir Albert MEISTER, La Participation
dans les associations, Economie et humanisme, Les Editions Ouvrières,
Paris, 1974, 276 p., et notamment p. 25, « les
principes coopératifs ont été repris par le secteur privé ; c’est là que
la coopération semble d’ailleurs la plus florissante et, débarrassée de tout
souci militant, la plus entreprenante, les coopératives d’agriculteurs et de
commerçants se servant de la coopération pour consolider la propriété privée »).
Aux promesses
fumeuses émises par des politiciens peu scrupuleux se sont ajoutés les
renoncements des syndicalistes autogestionnaires face au peu d’enthousiasme de
leur base pour la prise en charge directe de la gestion des entreprises.
A partir des années
1980, l’idée autogestionnaire n’a plus été à la mode. Hubert DUBEDOUT, bien
qu’il ait intégré le parti socialiste en 1974, a été mis à l’écart après 1981
avant d’être battu aux municipales à Grenoble par Alain CARIGNON en 1983.
Progressivement, les
tenants d’une plus grande implication des populations dans les décisions qui
les affectent ont changé de vocabulaire. Au lieu de d’évoquer l’autogestion,
ils se sont mis à parler de démocratie
participative (voir Loïc BLONDIAUX, Le Nouvel esprit de la démocratie. Actualité
de la démocratie participative, la République des Idées, Seuil, Paris, 2008,
112 p., et notamment p. 16 pour cette évolution historique et p. 24 sur le
flou de la notion ; voir aussi Antoine
BEVORT, Pour une démocratie participative,
Presses de Science Po, Paris, 2002, 130 p., livre d’un militant de la CFDT).
L’habitat participatif est né de cette dynamique.
Tous ces auteurs sont
souvent sympathiques, parfois brillants, jamais ennuyeux, mais ils ne sont pas
parvenus à retranscrire en des termes juridiques et institutionnels clairs les
notions qu’ils emploient.
C’est pour dépasser
cet échec que l’association LGOC, qui élabore le présent blog, propose un
schéma que chacun est ensuite libre de contester ou d’améliorer. Le but est de
présenter des garanties juridiques et
institutionnelles vérifiables, pour ne pas s’en tenir à des idéaux un peu
vains et subjectifs, rapidement passés de mode car trop flous.
L’autogestion, c’est-à-dire la prise en
charge du pouvoir de décision par les participants d’un groupe, est une
excellente chose, mais, pour ne pas être un slogan vide, elle implique une rotation régulière de tous aux fonctions de
direction. Quand une structure se décompose en petits groupes qui sont le
vecteur de l’action concrète, cette rotation est parfaitement envisageable.
Pas d’autogestion si chaque membre du groupe ne prend pas
la direction des fonctions exécutives à tour de rôle. Ainsi, en cas de
rotation, le pouvoir d’initiative est réellement partagé.
Toutefois, il ne faut
jamais négliger le fait qu’un individu n’est pas seulement un acteur
associatif. Chacun est membre d’une famille, tout en étant aussi citoyen
électeur, particulier consommateur, et professionnel ayant suivi une certaine
formation.
Ceci crée une
pluralité de liens d’intérêts légitimes qui doivent être organisés.
En tant que militants
associatifs, les individus doivent pratiquer la rotation. En tant que consommateurs, ils doivent accepter la réciprocité et ne pas traiter les
autres comme ils n’aimeraient pas que l’on puisse les traiter eux-mêmes. En
tant que membres d’un lignage, ils doivent accepter que chacun opère la vérification des contraintes induites
par l’héritage dont ils bénéficient. En tant que citoyens d’une démocratie, ils
doivent accepter la valeur du pluralisme et l’importance d’une multitude de regards croisés sur les décisions
prises au nom de la collectivité. Le bien commun ne doit pas être l’otage de
groupes qui pratiquent la connivence. Enfin, les individus doivent pouvoir
s’insérer dans des corps intermédiaires qui les protègent, sans que ces
derniers ne se transforment en mafias corporatistes. La rotation, la
réciprocité, la vérification et les regards croisés permettent justement de
faire en sorte que l’intermédiation,
tout en étant très utile pour éviter le harcèlement des individus atomisés, ne
nuise pas à la vie civique et associative.
La faiblesse des
penseurs du courant autogestionnaire a été d’oublier la pluralité des aspects
de la vie de chacun.
La participation peut
donc être conçue comme une mobilisation effective s’opposant à la manipulation
au service des dirigeants, mais pour qu’elle existe, il faut que règne au
départ un esprit autogestionnaire et ensuite une volonté de coopération,
c’est-à-dire d’agir ensemble, et non de dominer, d’exploiter ou de tromper.
A force d’oublier la
diversité des intérêts, on risque de produire de l’élitisme (lorsque la fracture entre dirigeants et dirigés se crée),
de l’affairisme (lorsque les
conflits d’intérêts sont masqués), du consumérisme
(lorsque chaque individu veut jouir de biens et services en se moquant du sort
des producteurs), du corporatisme
(lorsque des compagnonnages professionnels se structurent pour assurer
l’impunité de leurs membres) et du népotisme
(lorsque chacun aide ses proches dans le cadre de la lutte des places).
Tout ceci a un sens
juridique. Les conflits d’intérêts
détruisent la garantie des droits de l’homme exigée par l’article 16 de la
Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. L’absence de rotation fait que
l’autorité collective n’est plus établie
pour l’avantage de tous, en contravention de l’article 12 de la même
Déclaration. Le népotisme implique que la dignité
humaine n’est plus vraiment égale aux yeux de ceux qui le pratiquent, en
rupture avec l’article 1er de cette Déclaration. Le corporatisme
crée une entrave à la liberté
d’entreprendre, en contravention de l’article 4 de la même Déclaration.
L’absence de réciprocité entraîne rapidement des ruptures d’égalité devant les charges publiques, en contravention
des articles 6 et 13 de la même Déclaration.
Toutes ces atteintes
juridiques sont sanctionnées par les juridictions, qui font ce qu’elles peuvent
lorsque les citoyens, dans leur immense majorité, s’ingénient à violer les
principes qui fondent notre société.
Une adaptation des
statuts du LGOC sera donc proposée le 31 juillet 2015 pour mettre en place de
principe de rotation au sein de comités coopératifs dans l’association. Les
comités coopératifs seront le vecteur unique d’action concrète de l’association.
Cette approche a déjà été préparée et amplement débattue en amont avec les
partenaires. Lorsqu’elle sera mise en place, cela prouvera que l’autogestion
authentique est possible. Ainsi, on pourra faire taire les affairistes qui
prétendent que la simple possibilité d’exprimer un vote est participative. Le
vote est toujours manipulé, notamment parce que le votant est soumis à des
pressions de la part des réseaux malveillants. Seule la détention par tous et à
tour de rôle du pouvoir exécutif et du pouvoir d’initiative émancipe vraiment.
Après, chacun fait de ce pouvoir ce qu’il veut…
Concernant l’habitat,
une véritable autogestion peut donc être mise en place et s’harmoniser avec la
vitalité des corps intermédiaires, avec le pluralisme démocratique, avec l’acceptation
par chacun de la trajectoire dans laquelle il s’insère et avec un comportement
authentiquement coopératif (impliquant la réciprocité).
Toutefois, lorsque
les pratiques sont bonapartistes, que l’insatisfaction grandit et que des
injustices sont commises, comme en copropriété, en aucun cas la coopération
puis l’autogestion ne vont émerger grâce à de petites touches de participation.
Comme l’a relevé Marie-Hélène BACQUÉ, c’est dans le sens contraire que les
choses s’opèrent. On part de l’autogestion pour aller vers l’individualisme (http://bit.ly/1F1lFiL). Quand on part d’une
situation malsaine ou des actes déplorables, on préfère logiquement se séparer
du groupe, ce qui est sage, car les auteurs de mauvais comportements ont tout
intérêt à dissimuler leurs fautes. Ce qui émerge d’une situation
dysfonctionnelle, c’est donc l’autotomie
(le phénomène du lézard qui abandonne sa queue, voir Marc GUILLAUME, « Autogestion, autonomie, autotomie », pp. 147 à 152 dans L’Autogestion,
disait-on ! PUF, Paris, Cahiers de l’IUED, Genève, 1988, 179 p.). Pour que le terreau soit propice à la
coopération, il faut donc qu’il y ait absence de conflits d’intérêts et de
tensions liées à des fautes antérieures. L’autogestion implique de savoir
partir de zéro. Le groupe doit être neuf, et le capital organisationnel positif qu’il représente est préservé grâce
à des mécanismes comme la rotation.