L’échec
moral des « classes moyennes »
Une certaine France a
pris des habitudes durant les 30 glorieuses.
Elle veut aujourd’hui
consommer dans les mêmes conditions que par le passé et par n’importe quels moyens, y compris
dans le domaine immobilier.
Comme il lui est plus
difficile d’y parvenir, elle demande des solutions originales, telles que l’habitat
participatif. Ces mécanismes nouveaux et complexes réclament plus de travail
encore.
Selon les
consommateurs, les notaires, et surtout les diplômés notaires, devraient donc s’échiner
à œuvrer pour concrétiser ces possibilités, sans espoir d’être payés décemment,
bien entendu...
On sait l’argument
déplorable de ces consuméristes irresponsables quand on leur fait remarquer
leur dérive esclavagiste. Ces clients avides veulent exploiter des
collaborateurs d’avocats ou de notaires et prétextent du fait que ceux-ci
seront bien payés ultérieurement. Qu’en savent-ils dans une société d’uberisation ?
Tolèreraient-ils que
leurs propres enfants soient traités ainsi ?
La « classe moyenne » n’est donc pas un
groupe social mais une idéologie déplorable qui fracture la société, y compris
en séparant des personnes aux revenus similaires.
D’un côté, on a les « casses moyennes » qui exigent un
standard de vie, quitte à exploiter des travailleurs, de l’autre, on a des
citoyens avisés, conscients du travail collectif nécessaire pour obtenir une
prestation de qualité.
Consommation
contre coopération
Marie-Hélène BACQUÉ
et Stéphanie VERMEERSCH, dans Changer la
vie ? Les classes moyennes et l’héritage de mai 68, Les Editions de
l’Atelier / Editions Ouvrières, 176 p., 2007, ont bien décrit cette dérive.
Certains tenants de l’habitat
groupé et autogéré restent des militants admirables. Néanmoins, ils ont aussi
été rejoints par des individus souhaitant uniquement obtenir la propriété d’un
logement au meilleur coût pour eux-mêmes. Ces individus ne se dévouent pas bien
longtemps et n’hésitent pas à exploiter des prestataires si nécessaire,
abandonnant les militants d’un habitat plus écologique et citoyen.
Comme le disent
Mesdames BACQUÉ et VERMEERSCH : « L’étude de plusieurs opérations d’habitat autogéré
en accession montre cependant que ces règles tendent à disparaître au fil des
années, l’autogestion laissant place à la délégation de services au syndic et à
des prestataires privés » (p. 124).
Tout est dit !
On est loin du projet
coopératif. Celui-ci, dans le sillage de la loi du 10 septembre 1947, consiste
à construire un groupe produisant lui-même ce dont il a besoin…
Obéir
ou garantir
Deux conceptions du
droit sont donc possibles.
On peut penser le
droit comme un outil pour capter un avantage individuel sans se soucier du
reste de la société.
Dans cette acception,
il devient un produit de consommation. L’uberisation,
voire l’exploitation des salariés précaires, ne pose alors aucun problème. Pour
ceux qui réfléchissent ainsi, le droit est une violence sociale comme une
autre. Le tout est de rester du bon côté du manche. Tout est question d’obéissance
et le consommateur espère être parmi ceux qui seront obéis.
Autrement, on peut
concevoir le droit comme une façon d’organiser la société pour construire collectivement
des garanties pour tous.
Dans ce cas, l’exploitation
des autres est radicalement exclue, car il y a toujours un collectif derrière
ceux que l’on exploite, et déclarer la guerre à un collectif ne permet pas de
construire des garanties.
Le prix
à payer
Les diplômés notaires
ont des parents, des enfants, des enseignants ou des proches. C’est grâce à
tous ces gens qu’ils ont pu acquérir un savoir. Vouloir les exploiter, c’est
injurier tous ces gens qui les ont aidés et minimiser leur apport. Dans ce cas,
il ne faut pas s’étonner de récolter leur hostilité.
Les consommateurs,
qui se sont si mal comportés en pensant exploiter les diplômés notaires sans se
soucier des garanties à construire, découvriront donc rapidement qu’ils devront
apprendre à obéir à des gens pas toujours faciles à vivre.
Le monopole des
notaires installés, renforcé par les moyens décrits plus haut, n’annonce rien
de bon pour ceux qui voudront échapper à l’obligation de payer très cher pour
accéder à la connaissance juridique.
Un notaire qui
utilise les méthodes ci-dessus exposées n’a pas vraiment l’esprit à aider les
consommateurs ou à œuvrer pour leur pouvoir d’agir (appelé aussi empowerment). On appelle ainsi le
processus sociologique donnant aux citoyens plus d’influence sur les décisions
qui concernent leur propre vie.
A force d’uberiser,
on favorise les monopoles sur la qualité. L’accès au droit utile sera
uniquement réservé aux très riches et aux structures coopératives qui auront su
faire réfléchir en leur sein des personnes compétentes sans les exploiter.
Les
deux corps du droit
Une fois encore, il
ne convient pas d’être naïf.
Le monde n’est pas
séparé entre une sphère autoritaire liée à la jungle uberisée et une sphère
coopérative où tout serait idyllique.
Les deux façons de
faire du droit ont un lien, un peu comme le yin
et le yang, différents, voire
opposés, mais interconnectés.
Quand on ne veut pas
coopérer, on doit obéir, mais la meilleure façon d’être obéi, c’est d’apprendre
à coopérer…
Le droit idéal, qui
est celui qui organise une société meilleure, n’est donc pas séparé du droit
concret, qui consiste à obéir aux autorités existantes, même quand elles ont lourdement
failli (et le monde des notaires, avec le détournement de la loi MACRON, en
donne un bel exemple).
Tout notre travail
doit être de renforcer les structures qui portent le droit idéal pour influer
sur le droit concret.
C’est un peu la même
situation que dans l’ouvrage d’Ernst KANTOROWICZ intitulé Les deux corps du roi. (éd. originale 1957, Œuvres, Gallimard, Paris, 2000, 1369 p).
Les souverains
médiévaux avaient un corps physique, qui pouvait être trop jeune, trop vieux,
malade ou prisonnier. Parallèlement, ils avaient aussi un corps politique
symbolisant la Couronne, et qui ne pouvait pas mourir.
Les affres du corps
physique avaient néanmoins des conséquences sur le corps politique.