dimanche 13 novembre 2016

Le triomphe de Liliane CRÉTÉ



Les événements récents montrent l’influence délétère d’une très dangereuse approche ethnique des grands problèmes mondiaux, y compris de la part de personnes qui n’ont rien à y gagner.

Rien de plus douteux, par exemple, que de diviser le monde entre Blancs et non Blancs, surtout de la part des premiers. Quand on parle de responsabilité environnementale, la comparaison des civilisations n’est pas à l’avantage de certains. Comment convaincre l’Inde et la Chine de faire des efforts que les nations européennes, le Canada et les Etats-Unis, eux, n’ont pas souhaité accomplir ? En leur parlant de la supériorité de la civilisation occidentale ?

Le chauvinisme ethnique consiste exactement à faire cela, et la réponse risque d’être rocambolesque. L’Inde et la Chine pourraient aussi avoir une attitude arrogante, supérieure et méprisante à l’égard de l’Occident. Plus celui-ci est perçu comme insolent, individualiste, irresponsable, amoral et arriviste, plus cela encourage les critiques virulentes contre la décadence qu’il représenterait et la culpabilité qu’il porterait au plan de la pollution.

Ce discours est déjà classique en Orient. On peut penser qu’il va se renforcer au moment même où la capacité des populations de l’Asie à agir collectivement au sein de groupes très soudés constitue un atout majeur.

Dans une société de l’information, l’investissement dans la recherche est essentiel. Le sacrifice individuel que cela implique vis-à-vis du groupe, est considérable. Des sociétés individualistes où le clivage ethnique est perpétuellement ressassé ne peuvent susciter le même degré d’abnégation. C’est bien pour cela que la Chine et l’Inde sont des nations d’ingénieurs qui pourraient avoir progressivement bien plus d’ascendant dans la quête du savoir que les tenants les plus obtus de la supériorité occidentale.

Or, la Chine et l’Inde ne sont plus des nations colonisées et sans outils militaires ou économiques. Elles disposent de moyens de pression importants sur l’Occident et se feront un plaisir de les utiliser.

La situation des Etats occidentaux, et notamment du premier d’entre eux, ressemble donc à celle des protestants libéraux dans l’univers théologique.

Eux aussi ont choisi de se fonder sur des clivages ethniques pour faire valoir leurs positions, en voulant surfer sur la vague identitaire.

Eux aussi ont pris le risque du discrédit à cette occasion.

A ce sujet, il faut évoquer le très intéressant article de Liliane CRÉTÉ intitulé « Un air de ‘‘Déjà vu’’ », paru dans Evangile et liberté, octobre 2008, pp. 4 et 5.

Ce texte, pourtant publié dans un périodique consacré à la théologie, évoquait la victoire de Barack OBAMA face à Hillary CLINTON lors des primaires de 2008.

A chaque ligne, on sentait l’exaspération de l’auteure.

« Les jeux sont faits : Barack Obama a été choisi comme candidat démocrate aux élections présidentielles de 2008. Choix populaire ? Peut-être. Mais avec un sérieux coup de pouce du parti ».

La légitimité du processus des primaires de 2008 où Hillary CLINTON avait perdu était donc contestée, et au nom de quoi ? D’une question de couleur de peau…

« L’Amérique indubitablement voulait du changement. Ou bien une partie des démocrates préférait un Noir à une femme » (p. 4).

Plus loin, on lit :

« Hillary a eu progressivement contre elle la majorité des caciques du parti qui ont exercé une pression énorme pour lui faire abandonner la course au profit d’Obama le Noir » (p. 4).

OBAMA, pour Liliane CRÉTÉ était réduit au fait qu’il était un Noir… Pas un mot sur les débats très vifs lors des primaires de 2008 sur le rôle de Hillary CLINTON dans l’establishment ou sur son attitude très problématique en matière de libre échange ou de refus de l’interventionnisme économique… On notera que ce sont les questions clés qui ont fait gagner OBAMA dans le Michigan, en Pennsylvanie et dans le Wisconsin en 2008 et 2012, puis perdre Hillary CLINTON dans ces Etats en 2016…

Voilà où mène l’obsession de l’ethnie et de la couleur de peau : cela fait perdre de vue l’essentiel… OBAMA était plus acceptable pour une certaine Amérique que Hillary CLINTON, et cela pour des motifs économiques. Cette même Amérique a préféré voter TRUMP ou le laisser gagner…

Les relents des propos de Liliane CRÉTÉ étaient d’autant plus problématiques qu’elle est une spécialiste de l’histoire des anciens Etas confédérés, avec une empathie visible pour son objet d’étude.

Parlant des années qui ont suivi la Guerre de Sécession, elle explique que :

« Afin d’évincer de la politique toutes les personnalités du Sud, des lois iniques frappèrent d’incapacité les ex-Confédérés tandis que le droit de vote était accordé aux Noirs, presque tous illettrés » (p. 4).

Vous avez bien lu… Et il y a pire :

« Ce fut le temps du Ku Klux Klan et du Camélia Blanc dont la mission initiale fut d’assurer la protection des familles blanches contre tout acte de violence de la part des affranchis et d’empêcher ceux-ci de voter » (p. 4).




Or, pour Liliane CRÉTÉ :

« Le plus tragique dans l’histoire fut que ce vote accordé trop tôt aux affranchis, ainsi que le pouvoir énorme qui leur fut donné dans le Sud durant les années tragiques de la Reconstruction, provoquèrent la peur, la frustration et le ressentiment parmi les populations et les Noirs devinrent les boucs émissaires des malheurs du Sud » (p. 5).

La vision du monde de Liliane CRÉTÉ est donc très cohérente.

Le droit de vote a été accordé aux affranchis trop tôt. Le Ku Klux Klan n’a été fondé que pour protéger les pauvres familles blanches face aux affranchis accusés de violence et empêcher les dits affranchis, accusés d’inculture, de disposer de ce droit de vote. Liliane CRÉTÉ se garde bien d’évoquer le degré de culture et de violence (y compris entre eux) des petits fermiers sudistes… On rappelle que la Guerre de Sécession a été provoquée par des massacres d’abolitionnistes opérés par des Blancs…

Madame CRÉTÉ préfère regretter que les Noirs n’aient pas été privés du droit de vote, justifiant même l’attitude de ceux qui les ont éloignés par la violence des isoloirs et qui ne se sont pas arrêtés là. Ni les meurtres, ni l’exploitation ne sont évoqués dans l’article de Liliane CRÉTÉ, qui reproche surtout aux défenseurs des Noirs d’avoir empêché que le droit de vote n’ait pas été donné aux femmes :

« Les radicaux se montrèrent farouchement opposés au ‘‘suffrage universel’’ et refusèrent de signer la pétition qu’elles présentèrent au Congrès, affirmant que c’était ‘‘l’heure du nègre’’ et qu’elles ne devaient pas mêler leurs revendications à celles des affranchis ».

Quand elle évoque un « air de ‘‘déjà vu’’ », Liliane CRÉTÉ prétend donc qu’en 2008, c’est un peu à nouveau « ‘‘l’heure du nègre’’ ».

En 2016, elle devrait être contente. Avec Donald TRUMP, dont des membres du Ku Klux Klan et le parti nazi américain ont dit beaucoup de bien, « ‘‘l’heure du nègre’’ » est passée. Comme par hasard, celle du féminisme aussi…

Ceux qui exploitent les Noirs n’ont pas forcément de scrupules lorsqu’il s’agit d’exploiter les femmes. Liliane CRÉTÉ, qui a un certain âge, s’en moque peut-être. Ses disciples, qui mélangent féminisme et clivages de couleurs, auront tout loisir de réfléchir au monde qu’elles ont puissamment contribué à produire.

Les théologiens qui font paraître des articles du type de celui de Liliane CRÉTÉ, et qui veulent donc invoquer une supériorité culturelle des Blancs sur les Noirs, verront également en quoi leur attitude a pu ou non affecter l’image de l’Occident, y compris en Asie.

Certains tenants du protestantisme libéral estiment que l'individualiste qui critique les traditions au nom de ses désirs personnels a toujours raison, par rapport aux populations qui s'inscrivent dans des solidarités de groupes. Chacun ses choix. De là à mépriser ceux qui pensent autrement afin de les priver du droit à la parole, il y a de la marge...

La Chine et l’Inde n’accepteront pas de partager le sort qui fut celui des affranchis durant les années postérieures à la Guerre de Sécession.