La loi sur l’Economie
Sociale et Solidaire a été adoptée par le Parlement le 21 juillet 2014. Si elle
échappe à l’examen du Conseil constitutionnel, il s’agira d’un nouveau texte
foisonnant (90 articles….) alourdissant notre déjà pléthorique arsenal
législatif.
Les représentants de la
coopération institutionnalisée se réjouissent pourtant du fait qu’ils vont
avoir leur loi cadre (http://www.liberation.fr/terre/2014/07/23/scop-changer-d-echelle-pour-reussir-le-choc-cooperatif_1068940).
Certes, la SCOP d’amorçage est,
effectivement, une excellente idée en théorie (sous réserve du respect du droit
européen de la concurrence). Elle permettra aux travailleurs de reprendre leur
entreprise menacée de faillite sans avoir immédiatement les capitaux.
Toutefois, on peut être plus circonspect quant aux groupes coopératifs dont l’ambition est de permettre d’avoir une
taille critique plus forte pour gagner des parts de marché.
Ceux qui prétendent
que l’ensemble des acteurs de la coopération se réjouissent quant à cette loi
se trompent. Le LGOC a déjà injustement reçu des plaintes concernant l’habitat
participatif reconnu par la loi ALUR. Dès lors, il tient à insister sur le fait
qu’il n’a rien à voir avec ce nouveau texte.
Or, le LGOC a déjà
bien plus fait pour la coopération dans le domaine immobilier que tous ceux qui
ignorent même ce qu’est une union coopérative en copropriété… C’est bien la
preuve du fait que tous les acteurs de la coopération n’approuvent pas la
dérive commerciale d’une certaine économie sociale et solidaire.
En effet, quand on
parle de constituer des groupes coopératifs, comment ne pas penser à l’affaire
URBANIA, qui, en 2010, a failli mettre en grande difficulté les banques ainsi
que des centaines de milliers de copropriétaires ?
On rappelle que tout
a reposé sur le mécanisme des comptes reflets.
Les syndics professionnels ont des comptes mandants où ils placent l’argent des
copropriétés qu’ils gèrent. Du fait de l’article 6 de la loi 70-9 du 2 janvier
1970 modifiée, ils ne peuvent percevoir d’intérêts directement sur ces comptes
mandants, car il s’agirait d’une rémunération et que toute rémunération doit
figurer dans les contrats les liant à leurs clients.
Les syndics et les
banques se sont donc entendus pour créer des comptes reflets, sur lesquels
figurent des débits qui sont l’exact reflet des crédits des comptes mandants.
Une telle pratique relève
des méthodes classiques de cash pooling
qui paraissent parfaitement légales et ne sont pas dissimulées par les banques (http://www.cashmanagement.natixis.com/pluginfile.php/157/mod_resource/content/1/2011_08_25%20FAQ%20Cash%20pooling.pdf).
Le détenteur du compte reflet dispose librement d’un crédit égal au débit lié au
compte mandant mais doit, à des dates périodiques, veiller à ce que le compte
reflet et le compte mandant soient équilibrés.
Les choses sont
devenues un peu plus compliquées quand le groupe URBANIA a utilisé les fonds générés
par ses comptes reflets pour, d’après l’Expansion,
faire des placements afin de racheter le capital à des actionnaires et
constituer un groupe mutualiste (http://lexpansion.lexpress.fr/entreprises/urbania-le-syndic-qui-a-mis-les-banques-dans-le-rouge_1368830.html).
Ce que l’Expansion appelait un « ingénieux meccano financier » présentait des risques si les
placements ne permettaient plus d’équilibrer les comptes mandants et les comptes
reflets. C’est ce qui est arrivé en 2010 pour des montants importants.
Afin d’éviter un trop
gros scandale, les banques ont veillé à aider le groupe URBANIA à traverser
cette difficile épreuve, d’autant qu’URBANIA a perdu son dirigeant historique en
avril 2011 (http://www.cbanque.com/actu/23406/deces-de-michel-k.-moubayed-fondateur-urbania).
La Banque Fédérale
Mutualiste, liée à la Société Générale (http://www.revue-banque.fr/banque-detail-assurance/article/bfm-un-modele-banque-mutualiste-sectorielle),
a notamment consenti un effort de plusieurs dizaines de millions d’euros (http://www.latribune.fr/entreprises-finance/banques-finance/industrie-financiere/20120808trib000713357/mais-qui-est-donc-la-banque-federale-mutualiste-.htm).
Des groupes
mutualistes, des banques mutualistes… Tout ceci relevait déjà de l’économie
sociale et solidaire ! On comprend que les copropriétaires soient assez
réservés sur cette économie-là ainsi que sur son caractère social ou sur la
solidarité qu’elle implique.
On notera, d’ailleurs,
que les comptes reflets ne sont toujours pas interdits. Certains articles
circulant sur la toile sont un peu trop optimistes (http://www.leparticulier.fr/jcms/c_109637/les-banques-sont-priees-de-mettre-fin-aux-comptes-reflets-des-syndics).
Dans sa résolution 2011-R-01 du 26 janvier
2011, l’Autorité de Contrôle Prudentielle a juste interdit aux banques de
laisser les syndics jouer à cash-cash avec l’argent des comptes reflets.
Désormais, concernant les fonds des comptes reflets, les banques ont l’obligation
de « ne pas accepter que ces fonds puissent
être transférés vers d’autres établissements de crédit et de ne pas conclure de
convention de fusion permettant de compenser les soldes créditeurs de ces
comptes avec les soldes débiteurs d’autres comptes ».
Le mécanisme du
compte reflet n’est, à l’inverse, certainement pas interdit, puisque l’on peut
compenser le solde créditeur du compte mandant avec le solde débiteur du compte
reflet qui y est associé. Seul le transfert des fonds et les conventions de
fusion avec des comptes de tiers sont prohibés. Le syndic peut toujours
disposer d’un compte reflet qui le rémunère. Sa seule obligation est de ne pas
pouvoir jouer à cash-cash avec.
Les propos très violents
tenus contre URBANIA par des banques ne doivent donc pas être les arbres qui
cachent la forêt. Aucune condamnation
pénale n’est intervenue dans cette affaire URBANIA et il y a fort à parier qu’aucune
condamnation n’interviendra.
D’abord, en
application de l’article 6 du Code de Procédure Pénale, l’action publique s’interrompt
lors du décès de la personne mise en cause. Ensuite, rien d’illégal ne paraît avoir été commis dans l’affaire URBANIA,
et c’est cela le plus grave, car on ne peut que s’interroger sur les
motivations de nos législateurs.
Adopter de nouvelles
lois de 90 articles ne sert à rien si les banques, qu’elles soient mutualistes
ou non, peuvent toujours accorder des intérêts aux syndics basés sur des
comptes reflets. En aucun cas cette pratique n’est explicitement interdite par
l’Autorité de Contrôle Prudentiel. On notera que la note descriptive de NATIXIS
sur la cash-pooling est postérieure à
la recommandation de l’Autorité de Contrôle Prudentiel et ne paraît, d’ailleurs,
pas lui être contraire. L’Autorité de Contrôle Prudentiel est libre de s’exprimer
sur ce point.
Bien évidemment, la
loi sur l’ESS qui vient d’être adoptée omet d’interdire le compte reflet aux
banques coopératives ou mutualistes… Quant aux copropriétaires, si ces
pratiques les désolent, ils n’ont plus qu’à passer en gestion non
professionnelle, ou à aller voir l’excellent film (qui n’est en rien consacré
aux pratiques bancaires) Cash-back (http://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=112209.html).