mercredi 23 juillet 2014

URBANIA et l’ESS : cash-back !

La loi sur l’Economie Sociale et Solidaire a été adoptée par le Parlement le 21 juillet 2014. Si elle échappe à l’examen du Conseil constitutionnel, il s’agira d’un nouveau texte foisonnant (90 articles….) alourdissant notre déjà pléthorique arsenal législatif.

Les représentants de la coopération institutionnalisée se réjouissent pourtant du fait qu’ils vont avoir leur loi cadre (http://www.liberation.fr/terre/2014/07/23/scop-changer-d-echelle-pour-reussir-le-choc-cooperatif_1068940). Certes, la SCOP d’amorçage est, effectivement, une excellente idée en théorie (sous réserve du respect du droit européen de la concurrence). Elle permettra aux travailleurs de reprendre leur entreprise menacée de faillite sans avoir immédiatement les capitaux. Toutefois, on peut être plus circonspect quant aux groupes coopératifs dont l’ambition est de permettre d’avoir une taille critique plus forte pour gagner des parts de marché.

Ceux qui prétendent que l’ensemble des acteurs de la coopération se réjouissent quant à cette loi se trompent. Le LGOC a déjà injustement reçu des plaintes concernant l’habitat participatif reconnu par la loi ALUR. Dès lors, il tient à insister sur le fait qu’il n’a rien à voir avec ce nouveau texte.

Or, le LGOC a déjà bien plus fait pour la coopération dans le domaine immobilier que tous ceux qui ignorent même ce qu’est une union coopérative en copropriété… C’est bien la preuve du fait que tous les acteurs de la coopération n’approuvent pas la dérive commerciale d’une certaine économie sociale et solidaire.

En effet, quand on parle de constituer des groupes coopératifs, comment ne pas penser à l’affaire URBANIA, qui, en 2010, a failli mettre en grande difficulté les banques ainsi que des centaines de milliers de copropriétaires ?

On rappelle que tout a reposé sur le mécanisme des comptes reflets. Les syndics professionnels ont des comptes mandants où ils placent l’argent des copropriétés qu’ils gèrent. Du fait de l’article 6 de la loi 70-9 du 2 janvier 1970 modifiée, ils ne peuvent percevoir d’intérêts directement sur ces comptes mandants, car il s’agirait d’une rémunération et que toute rémunération doit figurer dans les contrats les liant à leurs clients.

Les syndics et les banques se sont donc entendus pour créer des comptes reflets, sur lesquels figurent des débits qui sont l’exact reflet des crédits des comptes mandants.

Une telle pratique relève des méthodes classiques de cash pooling qui paraissent parfaitement légales et ne sont pas dissimulées par les banques (http://www.cashmanagement.natixis.com/pluginfile.php/157/mod_resource/content/1/2011_08_25%20FAQ%20Cash%20pooling.pdf). Le détenteur du compte reflet dispose librement d’un crédit égal au débit lié au compte mandant mais doit, à des dates périodiques, veiller à ce que le compte reflet et le compte mandant soient équilibrés.

Les choses sont devenues un peu plus compliquées quand le groupe URBANIA a utilisé les fonds générés par ses comptes reflets pour, d’après l’Expansion, faire des placements afin de racheter le capital à des actionnaires et constituer un groupe mutualiste (http://lexpansion.lexpress.fr/entreprises/urbania-le-syndic-qui-a-mis-les-banques-dans-le-rouge_1368830.html). Ce que l’Expansion appelait un « ingénieux meccano financier » présentait des risques si les placements ne permettaient plus d’équilibrer les comptes mandants et les comptes reflets. C’est ce qui est arrivé en 2010 pour des montants importants.

Afin d’éviter un trop gros scandale, les banques ont veillé à aider le groupe URBANIA à traverser cette difficile épreuve, d’autant qu’URBANIA a perdu son dirigeant historique en avril 2011 (http://www.cbanque.com/actu/23406/deces-de-michel-k.-moubayed-fondateur-urbania).


Des groupes mutualistes, des banques mutualistes… Tout ceci relevait déjà de l’économie sociale et solidaire ! On comprend que les copropriétaires soient assez réservés sur cette économie-là ainsi que sur son caractère social ou sur la solidarité qu’elle implique.

On notera, d’ailleurs, que les comptes reflets ne sont toujours pas interdits. Certains articles circulant sur la toile sont un peu trop optimistes (http://www.leparticulier.fr/jcms/c_109637/les-banques-sont-priees-de-mettre-fin-aux-comptes-reflets-des-syndics).

Dans sa résolution 2011-R-01 du 26 janvier 2011, l’Autorité de Contrôle Prudentielle a juste interdit aux banques de laisser les syndics jouer à cash-cash avec l’argent des comptes reflets. Désormais, concernant les fonds des comptes reflets, les banques ont l’obligation de « ne pas accepter que ces fonds puissent être transférés vers d’autres établissements de crédit et de ne pas conclure de convention de fusion permettant de compenser les soldes créditeurs de ces comptes avec les soldes débiteurs d’autres comptes ».

Le mécanisme du compte reflet n’est, à l’inverse, certainement pas interdit, puisque l’on peut compenser le solde créditeur du compte mandant avec le solde débiteur du compte reflet qui y est associé. Seul le transfert des fonds et les conventions de fusion avec des comptes de tiers sont prohibés. Le syndic peut toujours disposer d’un compte reflet qui le rémunère. Sa seule obligation est de ne pas pouvoir jouer à cash-cash avec.

Les propos très violents tenus contre URBANIA par des banques ne doivent donc pas être les arbres qui cachent la forêt. Aucune condamnation pénale n’est intervenue dans cette affaire URBANIA et il y a fort à parier qu’aucune condamnation n’interviendra.

D’abord, en application de l’article 6 du Code de Procédure Pénale, l’action publique s’interrompt lors du décès de la personne mise en cause. Ensuite, rien d’illégal ne paraît avoir été commis dans l’affaire URBANIA, et c’est cela le plus grave, car on ne peut que s’interroger sur les motivations de nos législateurs.

Adopter de nouvelles lois de 90 articles ne sert à rien si les banques, qu’elles soient mutualistes ou non, peuvent toujours accorder des intérêts aux syndics basés sur des comptes reflets. En aucun cas cette pratique n’est explicitement interdite par l’Autorité de Contrôle Prudentiel. On notera que la note descriptive de NATIXIS sur la cash-pooling est postérieure à la recommandation de l’Autorité de Contrôle Prudentiel et ne paraît, d’ailleurs, pas lui être contraire. L’Autorité de Contrôle Prudentiel est libre de s’exprimer sur ce point.

Bien évidemment, la loi sur l’ESS qui vient d’être adoptée omet d’interdire le compte reflet aux banques coopératives ou mutualistes… Quant aux copropriétaires, si ces pratiques les désolent, ils n’ont plus qu’à passer en gestion non professionnelle, ou à aller voir l’excellent film (qui n’est en rien consacré aux pratiques bancaires) Cash-back (http://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=112209.html).

Notez qu'en 2012, URBANIA s'est "rapprochée" de CITYA.