mardi 14 octobre 2014

Gemeinschaft und Gesellschaft par Ferdinand TÖNNIES

Gemeinschaft und Gesellschaft de Ferdinand TÖNNIES est un ouvrage majeur paru en 1887 qui a marqué la sociologie naissante (Community and Civil Society, 2001, Cambridge University Press, Cambridge, Royaume Uni, édité par Jose HARRIS et traduit par Marguaret HOLLIS, 266 p.).




L’argument principal de Ferdinand TÖNNIES, un auteur allemand, fut la promotion des groupes communautaires traditionnels. Dans le cadre de ces derniers, selon ce sociologue, l’union des volontés était perçue comme naturelle par les membres (voir p. 186). Une organisation basée sur ce principe était appelée par TÖNNIES : Gemeinschaft. Elle était vue comme découlant d’un état naturel ou originel de la vie commune (p. 22). Ce qui marquait ce mode d’action collective était donc le fait que chacun jugeait que ce qu’il avait à y faire relevait de l’évidence. Tout membre y considérait instinctivement que ses propres intérêts étaient en parfaite harmonie avec ceux du groupe.

A l’opposé, les groupes artificiels (p. 179) où les membres étaient contraints par la volonté arbitraire d’un pouvoir unificateur (p. 186) relevaient d’une organisation dénommée par TÖNNIES : Gesellschaft. On notera que ce terme allemand définit aujourd’hui une société en général. Dans le mode de fonctionnement décrit à ce titre par TÖNNIES, les échanges avec les autres étaient basés sur le contrat (p. 58). Toutefois, du fait d’une défiance que chacun éprouve à l’égard de l’autre, on essayait de tromper son prochain et l’on redoutait d’être trompé par lui (p. 52). Le monde de la Gesellschaft était celui des marchands et des usuriers (p. 70).

La propriété privée absolue (et indifférente aux autres) relève de ce dernier système (p. 221) tout comme la consommation guidée par le plaisir (p. 256) et le dirigisme étatique visant à protéger par la force des contrats dont la conclusion repose sur la tromperie ou la contrainte économique (p. 247).

TÖNNIES considérait clairement que la Gemeinschaft correspondait à un idéal qu’il fallait retrouver, alors que la Gesellschaft conduisait au désastre (p. 256). Toute l’histoire du monde pouvait se résumer à l’opposition entre ces deux tendances selon TÖNNIES (pp. 260-261).

Toutefois, TÖNNIES n’était pas naïf et n’oubliait pas que la volonté calculatrice n’est pas forcément étrangère à la volonté perçue comme naturelle (p. 116). Ce qui relève de l’évidence pour un agent social peut aussi correspondre à ce qu’il estime être son intérêt bien compris. C’est d’ailleurs à ce moment-là que la force du modèle de la Gemeinschaft se manifeste le plus.

Max WEBER ne dit pas autre chose, dans le célèbre ouvrage paru en 1921 intitulé Wirtschaft und Gesellschaft (Economie et Société, 1/ Les catégories de la sociologie, édition originale Plon 1971, Pocket 1995, Paris, 411 p., et 2/ L’organisation et les puissances de la société dans leur rapport avec l’économie, édition originale Plon 1971, Pocket 1995, 425 p.)

Dans l’idéal, la Vergemeinschaftung, la constitution de communautés où les volontés des membres sont parfaitement harmonisées, est l’antithèse absolue de la lutte entre agents sociaux. Dans les faits, essayer de construire un groupe relevant de la Gemeinschaft peut-être le meilleur moyen de lutter pour imposer sa propre volonté aux autres agents sans qu’ils ne s’en rendent compte, et en permettant ainsi qu’ils y adhèrent spontanément. C’est donc une forme de lutte « moins brutale » (p. 80).

L’opposition entre copropriété et habitat participatif recouvre exactement ces débats.

La copropriété est la manifestation la plus flamboyante de la Gesellschaft, selon TÖNNIES. Elle a été fondée en 1965 sur l’idée d’attirer dans des structures collectives les ménages en leur promettant la propriété individuelle des appartements, sans trop insister sur le poids de l’organisation collective (voir Droits et construction sociale, n° 41, 09 juin 2014, pp. 6 à 9). On repère bien là l’intention de lier les autres dans un contrat où ils seront subrepticement contraints d’accepter un cadre dont ils découvriront la lourdeur ultérieurement, d’autant que ce cadre évolue négativement.

Ce type de déception génère naturellement de la défiance et une crispation des relations entre membres du groupe, d’où la nécessité pour l’Etat d’intervenir toujours plus pour aggraver de manière imprévisible le poids du statut de la copropriété. Ainsi s’explique l’accentuation du pouvoir de contrainte des majorités. De la même manière, c’est cela qui motive la mutation incessante des normes (voir l’excellente analyse de Christian ATIAS, « Il est confirmé que les politiques du logement et de l’urbanisme inspirent la conception de la copropriété », Informations Rapides de la Copropriété, n° 602, octobre 2014, pp. 6 et 7)

L’habitat participatif, à l’opposé, constituerait, selon ses partisans, et notamment Cécile DUFLOT, un habitat choisi, par opposition à un habitat subi (http://www.dailymotion.com/video/xvbfkf_rencontres-nationales-de-l-habitat-participatif-message-de-cecile-duflot_news).

C’est donc clairement l’idée d’une forme de Vergemeinschaftung qui est sous-jacente au processus de l’habitat participatif. Le législateur de la loi ALUR a rêvé de constituer des groupes où la dimension collective soit vécue instinctivement comme positive.

Toutefois, en refusant de se positionner tant par rapport aux écrits de TÖNNIES que par rapport à ceux de Max WEBER, le législateur a pris un risque. Alors que les parlementaires rêvaient de reprendre par ce biais le contrôle d’une population qui lui échappe, il se retrouve à prôner une démarche qui constitue une remise en cause cinglante du système existant.

Un groupe relevant du concept de Gemeinschaft ne tombe pas du ciel. Certes, il conduit les participants à faire des sacrifices, même quand ils ne les avaient pas anticipés. Toutefois, jouer avec ce concept revient à prôner la constitution de communautés identitaires où, certes, les membres sont prêts à sacrifier leurs intérêts immédiats, mais où ils aspirent avant tout à la continuité du groupe reposant sur une identité collective, une culture commune.

La survie du groupe a une valeur en elle-même et c’est cela qui motive l’investissement, mais ce n’est certainement pas une bonne nouvelle pour le pouvoir politique qui doit, lui aussi, se soumettre à l’identité culturelle concernée s’il ne souhaite pas perdre toute légitimité. Une telle approche est à l’opposé tant du consumérisme que des conceptions classiques de l’interventionnisme étatique, de l’égalité républicaine et du refus des discriminations. Parler de Gemeinschaft implique toujours une discrimination radicale entre ceux qui acceptent la discipline sacrificielle pour maintenir un mode de fonctionnement collectif sain et ceux qui relèvent de la société trompeuse, consumériste et despotique.

Le législateur de la loi ALUR aurait mieux fait de se poser ces questions en amont. Toutefois, cela impliquait d’accorder du crédit à des auteurs ayant beaucoup travaillé, et de manière sérieuse, sur ces sujets. On pense, notamment, au groupe de recherche ALTERPROP (http://alter-prop.crevilles-dev.org/), au groupe E2=HP2 (http://eco-sol-brest.net/Le-financement-de-l-habitat.html) Dans une perspective de lutte des places, ceux qui se situent dans une dynamique d’appareil ont convaincu les parlementaires de pratiquer plutôt une forme d’autisme.

Certes, on a prétendu consulter les chercheurs sérieux et les militants qui souhaitent réellement construire la concorde sociale. Pour autant, on ne les a pas vraiment écoutés. Le refus de faire le bilan des expériences passées dans l’étude d’impact de la loi ALUR est caractéristique de cette stratégie, alors même que les militants sincères de l’habitat participatif sont prêts à un débat public sur ce point et qu’ils font beaucoup d’efforts pour rester déférents et positifs (http://habitatparticipatif-paca.net/index.php/2-non-categorise/47-compte-rendu-des-journees-nationales-de-l-habitat-participatif-21-juin-2014).

En fait, les prisonniers des dynamiques d’appareil veulent se constituer un statut à tout prix pour en jouir sans entraves sans se soucier du reste du monde, exactement dans la perspective de ce que dénonçait TÖNNIES. Ces promoteurs de modèles statutaires rigides souhaitent y attirer la population afin de l’y piéger. Ensuite, les cadres statutaires pourront évoluer négativement sous la direction d’autorités pas forcément bienveillantes. Une fois de plus, les populations seront déçues. Une fois de plus, les impératifs liés aux réalités seront ignorés.

Voilà pourquoi les statuts sont des pièges. D’abord, ils nuisent à ceux qui doivent en assumer le coût. Ensuite, ils condamnent à l’inadaptation ceux qui s’emprisonnant dans l’esprit de rente.

Souhaitons que les militants sincères de l’habitat participatif puissent échapper à ce piège-là. Souhaitons surtout que, si des dynamiques d’appareil continuent à être à l’œuvre, elles n’entraînent pas dans leur discrédit les défenseurs sincères des alternatives novatrices.

Enfin, beaucoup souhaiteraient une conception œcuménique, voire bon enfant, de la dynamique de l’habitat participatif, en mettant la poussière sous le tapi. Cela peut se comprendre dans une perspective d’acquisition de la notoriété à tout prix. Qu’ils sachent, néanmoins, qu’ils finiront toujours par éternuer. En effet, la population visée, c’est-à-dire les déçus du système actuel, constitue justement le groupe des personnes les plus promptes à soulever les tapis pour voir ce qu’il y a dessous.


Donner une image lisse à n’importe quel prix ne conduit nulle part lorsque ladite image est problématique. Dès maintenant, des adversaires de la dynamique de l’habitat participatif posent de dures questions sur la tendance au sectarisme et à l’élitisme. Un jour ou l’autre, il faudra bien y répondre.