Un livre remarquable
vient de paraître il y a dix jours, dans cette rentrée décidément chargée.
Le journaliste
indépendant Eric DUPIN (ayant
travaillé pour l’Evènement du Jeudi, Marianne, Rue 89, le Figaro et Le Monde Diplomatique) a signé Les Défricheurs,
voyage dans la France qui innove vraiment, La Découverte, Cahiers libres,
278 p., 2014, Paris
Cet ouvrage a reçu
l’approbation d’un militant d’EELV sur le site de ce parti (http://eelv.fr/2014/09/11/bifurquer-defricher-et-apres/).
On notera qu’Eric
DUPIN a été un proche du CERES (animé par des alliés de Jean-Pierre
CHEVÈNEMENT) alors que Christophe GUILLUY est aujourd’hui un compagnon de route
de l’ancien maire de Belfort. Pourtant, Eric DUPIN ne partage pas les mêmes
positions que Christophe GUILLUY.
Eric DUPIN s’intéresse
aux 17 % de Français (selon un
sondage, voir Les Défricheurs p. 9) « privilégiant la
coopération sur la compétition, l’être sur le paraître, la connaissance de soi
sur la domination des autres ».
Eric DUPIN appelle
ces Français les « créatifs culturels » selon une expression d’Yves MICHEL, maire
divers-gauche d’Eourres dans les Hautes-Alpes (Les Défricheurs, p. 262).
Pourtant, c’est bel et bien un livre sur les coopérateurs
en tant qu’ils souhaitent construire une société alternative dont il s’agit.
Le souhait de ces
innovateurs contemporains est conforme aux projets de John BELLERS au XVIIe
siècle et Robert OWEN au XIXe siècle, que, certes, Eric DUPIN ne cite pas, car
il se consacre uniquement aux acteurs de notre temps.
L’ouvrage est une succession de portraits et rend compte
de nombreux entretiens. L’axe choisi est résolument journalistique et n’inclut
ni une analyse historique référencée, ni une étude juridique étayée des
concepts maniés. L’abondante littérature sociologique disponible n’est pas
évoquée.
Qu’importe car le propos
est toujours intéressant et la réflexion pleine de bon sens. Chacun sera libre
d’approfondir le sujet ultérieurement.
D’abord, Eric DUPIN rompt avec le pessimisme ambiant en
montrant le dynamisme et la diversité de cette France qui veut construire une
alternative à l’hyper-individualisme, au présentéisme et au relativisme (Les Défricheurs, p. 223).
Avec raison, Eric
DUPIN montre le poids des penseurs de la décroissance, (Les Défricheurs, pp. 225 à 233), d’EELV (Les Défricheurs, pp. 41, 43, 59, 240 notamment), des anciens du PSU
(Les Défricheurs, pp. 55 et 155
notamment) et de la mouvance anarchiste (Les
Défricheurs, p. 79) dans ces approches mais montre aussi qu’elles
concernent des entrepreneurs bon teint qui sont heureux de se libérer de la
pression des actionnaires (Les
Défricheurs, p. 201).
On notera le succès
de l’entreprise ACOME, 1400 salariés, qui existe sous la forme coopérative
depuis 82 ans et de SOPELEC, 2300 salariés, fondée il y a 41 ans, même si cette
dernière s’inscrit désormais dans une stratégie de groupe pas forcément
intégralement coopérative (Les
Défricheurs, p. 187).
Eric DUPIN a le mérite de montrer que le modèle de vie
coopératif, et c’est le cœur du sujet, ne relève pas seulement du rêve mais
peut fonctionner au plan économique.
Eric DUPIN est enthousiaste,
notamment concernant l’habitat
participatif qu’il estime peu développé par rapport à la Suisse et l’Europe
du nord (Les Défricheurs, p. 156). On
note, avec plaisir, les propos de Pierre-Yves JAN (PARASOL à Rennes, http://www.hg-rennes.org/) qui insiste sur
le fait que l’on ne peut réussir seul dans ces démarches et sur l’importance qu’il
y a à croiser les regards. C’est le principe du regard croisé sur lequel insiste le présent blog depuis sa création
concernant l’identité coopérative.
Enfin, l’auteur a la
sagesse de montrer le talon d’Achille de ces dynamiques, à savoir une tendance
à l’élitisme (Les Défricheurs, pp. 59,
177 et 267), la tentation du repli par rapport à une société perçue comme
hostile (Les Défricheurs, p. 269) et
l’invisibilité qui en découle (Les
Défricheurs, p. 13).
La vision un peu
catastrophiste qu'ont ces coopérateurs alternatifs
sur la société leur donne parfois une image sectaire (Les
Défricheurs, p. 32). A ce propos, Eric DUPIN a raison de dire qu’il n’est
pas sain de compter sur l’effondrement de notre univers contemporain car un désastre social a
souvent des effets régressifs et favorise l’avènement d’un pouvoir autoritaire (Les Défricheurs, p. 271).
En conclusion, sans
verser dans l’idéalisme niais (Les
Défricheurs, p. 158), l’ouvrage souligne le caractère insuffisant des
appels au progrès fondés sur la promesse de croissance et le rêve d’une société
idéale (Les Défricheurs, p. 273).
La seule petite
réserve que l’on peut avoir concerne la reprise de propos parfois assez piquants
des membres de la mouvance alternative les uns contre les autres. Les
journalistes sont toujours friands de ce genre d’échanges. On espère que ces
phrases seront bien assumées par ceux auxquelles elles sont attribuées.
Néanmoins, là n’est
pas l’essentiel. Eric DUPIN nous dresse un portrait stimulant d’une France qui
souhaite innover tout en restant réaliste, notamment concernant la crise de la
participation dans les sociétés coopératives (Les Défricheurs, p. 187). Merci à lui pour ce bel effort.
A nous tous de relever le défi, et de conduire la France périphérique,
qui se sent marginalisée par le système, à comprendre qu’elle dispose d’une
véritable alternative !
Le chemin
sera difficile, car les bénéficiaires du système actuel ne se laisseront pas
faire. L’habitat alternatif, ainsi,
rencontre des résistances car il bouscule les intérêts bien compris et les habitudes
établies. Comme le dit Eric DUPIN, « cette société doit être
bien fragile pour se sentir menacée par quelques milliers de yourtes » (Les Défricheurs, p. 36).