Dans le cadre du mois
de l’Economie Sociale et Solidaire, Jean-Joseph BOILLOT, agrégé de sciences
sociales, qui vit une grande partie de l’année en Inde, a présenté son concept
de Chindiafrique à Rennes (18 h 30,
Espace Ouest-France).
Chacun est invité à
lire le livre qu’il a écrit avec Stanislas DEMBINSKI, (Jean-Joseph BOILLOT,
Stanislas DEMBINSKI, Chindiafrique, la
Chine, l’Inde et l’Afrique feront le monde de demain, Odile Jacob, Paris,
2014, édition originale en 2013, 422 p.)
Lors de la soirée,
Jean-Joseph BOILLOT a surtout tenté, dans un langage clair, passionné et
pittoresque, d’expliquer pourquoi l’Inde le fascine.
Le principe sur
lequel il a insisté est celui de l’équité, en donnant l’exemple des Occidentaux
qui appellent les autres à faire des efforts pour maîtriser les émissions de
gaz à effet de serre alors qu’ils sont responsables de 90 % des stocks déjà
émis.
De ce point de vue,
la force de l’Inde pour faire vivre cet impératif est sa formidable diversité
et sa capacité à faire vivre le pluralisme politique tout en organisant des
scrutins avec 850 millions d’électeurs. Les Indiens valorisent la
complémentarité plutôt que l’uniformité. Beaucoup, parmi eux, aiment à
souligner l’ambivalence des choses au lieu de croire en la prééminence d’une
valeur unique. C’est l’« Argumentative India », comme l’appelle
Amartya SEN. On notera que l’objectivité positionnelle défendue par ce dernier
(http://red.pucp.edu.pe/ridei/wp-content/uploads/biblioteca/84.pdf)
a inspiré le titre de l’association qui édite ce blog (Lien des Garanties
Objectives dans la Cité).
Ce qui est Jean-Joseph
BOILLOT trouve plaisant en Inde est le fait que le progrès n’y est pas
forcément conçu seulement comme l’accroissement des biens matériels.
GANDHI insistait sur
le sens de la vie (la jouissance à
tout prix n’étant rien face à l’impératif d’éviter des sanctions dans la cadre
du cycle des renaissances), sur l’importance de la frugalité (en se basant sur le fait que la terre peut nourrir tout
le monde, sauf la cupidité) et sur la non-violence
(la fréquence des tensions liées à un urbanisme dense nécessitant un antidote
pour permettre la survie de la société).
Loin de constituer
des handicaps, ces valeurs peuvent devenir des atouts face aux défis
contemporains. Même le système des castes peut faciliter la mobilisation des investissements car
une caste constitue un groupe de solidarité dont les membres savent qu’ils ne risquent pas d’être trahis. Dans le
présent blog, on insiste souvent sur l’importance de la fiabilité pour susciter
l’engagement…
Ensuite, la spécialisation permet la transmission de savoirs sur plusieurs
générations, savoirs qui ne s’enseignent pas facilement à l’école.
Enfin, dans le cadre
des activités où des ressortissants de castes diverses sont contraints de
travailler ensemble, ceux qui sont issus des castes moins renommées mettront un
point d’honneur à être aussi compétents que les autres, voire plus. En outre,
les castes impliquent une volonté d’ascension sociale collective.
On notera que les
castes (jatis) (des groupes
spécialisés relativement localisés au nombre de 6000 en Inde) ne sont pas les varnas. Ces dernières constituent de
grandes catégories fonctionnelles divisant de la population à savoir les
brahmanes, prêtres et détenteurs de la connaissance sacrée ayant servi de base
aux élites (NEHRU ayant relevé de cette catégorie), les kshatriyas, guerriers (comme Jerry RAO, un des Maharadjas du
Software, voir Chindiafrique, p. 181),
les vaishyas, négociants et
intellectuels (GHANDI ayant relevé de cette catégorie) et les shudras, à l’origine serviteurs, souvent
paysans mais parfois fortunés et dominant alors localement la société,
notamment dans le Penjab.
Jean-Joseph BOILLOT
nous permet de sortir d’une vision simpliste de l’Inde. Concernant la Chine qu’il
connaît bien aussi, il est plus soucieux de l’absence de spiritualité. La focalisation
sur l’obtention de richesses dans le cadre d’un monde pratiquant moins les
contre-pouvoirs serait plus problématique. Toutefois, Jean-Joseph BOILLOT est
trop érudit pour ignorer la richesse des traditions chinoises et y fait d’ailleurs
référence dans son livre (Chindiafrique, pages 377 à 379).
Ces traditions ont pu
être réinterprétées dans une optique bien plus respectueuse du sens de la vie,
notamment sous l’influence du Bouddhisme.
Ainsi, le sens de l’humain
que l’on retrouve dans les Entretiens
de Confucius peut être compris comme le principe d’équité reposant sur le fait
que tous les hommes sont interconnectés et solidaires de ce fait.
De la même manière, un
souci d’harmonie et de complémentarité primant sur le simplisme et l’univocité
peuvent se retrouver dans le wuxing (五行) (théorie des 5
phases) qui existe en Chine au moins depuis le IIIe siècle avant
J.C., avec l’école de ZOU Yan (http://www.gera.fr/Downloads/Formation_Medicale/PENSEE-CIVILISATION-CHINOISE-ET-MTC/barrey-49006.pdf
).
En effet, la théorie
des 5 phases repose sur l’idée que le monde est constitué de terre, de feu, de
bois, d’eau et de métal. Or, aucun de ces éléments ne domine tous les autres.
Le métal coupe le bois. Le feu fait fondre le métal. L’eau éteint le feu. La
terre absorbe l’eau. Le bois se nourrit de la terre.
Cela constitue un
cycle de cinq phases et non une hiérarchie linéaire.
Progressivement,
chaque élément a été assimilé à des couleurs (or pour la terre, rouge pour le
feu, bleu-vert pour le bois, noir pour l’eau et blanc pour le métal) ou à des
vertus confucianistes (la fidélité, 信, pour la terre, le respect des rites sociaux, 禮, pour le feu, l’esprit
d’humanité, 仁, pour le bois, la
sagesse, 智, pour l’eau et l’esprit
de justice, 義, pour le métal).
Aucune de ces vertus
ne domine totalement les autres. Chacune est utile et permet de compléter les
autres. Dans le même temps, chacun a plus d’aptitude à une vertu particulière.
On a donc besoin d’autrui pour que les vertus pour lesquelles on est moins doué
soient également présentes en société. Cela crée un lien. Cela valorise le
pluralisme et encourage les contre-pouvoirs. Cela donne également un sens à la
vie. Seul l’équilibre des vertus permet de garantir le progrès. C’est donc un
objectif pour lequel on peut sacrifier ses pulsions.
Telle est la
symbolique à laquelle fait référence le signet du LGOC.
Même si la
combinaison du wuxing et du
confucianisme est ancienne et plutôt chinoise, l’interprétation qui en est
donnée ici est liée à des auteurs japonais postérieurs à 1600 et donc
influencés par le bouddhisme qui est originaire d’Inde. Ainsi, ni la Chine, ni
le Japon ne sont donc totalement étrangers aux grandes dynamiques de la
civilisation indienne. Or, Chine, Inde et Japon constituent une part déjà
importante du PIB mondial. Le poids de la Chine et de l’Inde dans l’économie de
notre planète va croître fortement d’ici 2030. L’Occident ne doit pas rester en
marge de ce mouvement.
Transcrire en des
termes relevant des civilisations indiennes ou chinoises une dynamique née en
Occident permet de valoriser celle-ci tout en donnant l’espérance de pouvoir
les transmettre plus facilement dans les espaces où se trouveront nombre des
décideurs de demain.
Cela nous permet
aussi d’éviter l’arrogance des petites sectes élitistes occidentales dont le
slogan préféré est « t’es nul ! » alors qu’elles
refusent toute évaluation des logiques qu’elles proposent. Jean-Joseph BOILLOT
a d’ailleurs rappelé son étonnement et sa lassitude face à ce fameux « t’es nul ! »
si souvent employé en France.