Beaucoup vont s’interroger
sur son bilan.
Un gros tiers des
immeubles en copropriété connaissent à la fois des difficultés réelles et des
perspectives très sombres concernant la maîtrise de la consommation d’énergie.
Est-ce de la faute à la loi de 1965 ?
Certes, ce texte
porte une vision bonapartiste de la société (http://bit.ly/1zglr0V). En outre, il sera
très difficile, désormais, de surmonter les défis rencontrés par de nombreux
syndicats de copropriétaires (http://bit.ly/1688zQ2).
Les rédacteurs de la
loi de 1965 sont-ils coupables de cette situation ?
Pour répondre à une
telle interrogation, il faut voir ce qui différencie les syndicats de copropriétaires
en crise et ceux qui fonctionnent tout à fait correctement (avec un bâti sain,
des copropriétaires en mesure de payer des travaux importants à l’avenir, des
relations convenables entre syndic et copropriétaires ainsi qu’une absence d’arriérés
de charges).
La réponse est très
simple. A la mise en copropriété puis lors de toutes les ventes, les syndicats
de copropriétaires dysfonctionnels ont attiré
des personnes auxquelles il a fallu mentir.
Aucune personne
sensée n’achète avec la certitude que tout ira mal. Or, dans la plupart des
immeubles en difficulté, les crises futures étaient prévisibles dès le départ.
En outre, si la dérive a été progressive, elle est généralement due à des copropriétaires assez malhonnêtes pour
ne pas vendre alors que leurs impayés croissaient.
Ces deux phénomènes
très classiques ont des noms connus : la fraude et la filouterie.
La fraude est une notion vieille
comme le droit romain. Elle consiste en des manœuvres visant à tromper une personne
(voir Cours élémentaires de droit romain,
E. DIDIER-PAILHÉ, 3ème édition revue par Charles TARTARI, Larose et
Forcel, Paris, 1887, pp. 242 à 247, et notamment p. 243 sur l’animus furandi).
Quand on crée une
copropriété dont on sait qu’elle sera dysfonctionnelle, on commet une fraude.
La filouterie est le fait par une personne qui sait être
dans l'impossibilité absolue de payer ou qui est déterminée à ne pas payer, d’obtenir
un bien ou des services (article 313-5 du Code Pénal).
Quand on achète un bien en
copropriété et que l’on reste propriétaire en ne pouvant pas payer les charges
nécessaires, on commet une filouterie.
Tout le problème est
que la fraude et la filouterie ne sont pas toujours des infractions pénales.
La filouterie n’est
réprimée que lorsque l’on obtient ainsi des aliments, des boissons, du
carburant, un transport ou une chambre d’hôtel, et c’est tout.
La filouterie en matière financière ou
immobilière n’est pas un délit, que ce soit en France ou aux Etats-Unis, avec
les conséquences que l’on sait, notamment lors de la crise des subprimes.
Quant à la fraude,
elle constitue un des éléments constitutifs de l’escroquerie, mais, là encore,
le droit pénal est d’interprétation stricte et tout acte frauduleux n’est pas
forcément une escroquerie.
Selon l’article 313-1 du Code Pénal, « L'escroquerie est le fait, soit par l'usage
d'un faux nom ou d'une fausse qualité, soit par l'abus d'une qualité vraie,
soit par l'emploi de manœuvres frauduleuses, de tromper une personne physique
ou morale et de la déterminer ainsi, à son préjudice ou au préjudice d'un
tiers, à remettre des fonds, des valeurs ou un bien quelconque, à fournir un
service ou à consentir un acte opérant obligation ou décharge. »
On notera que cette
définition est quasiment illisible pour les simples citoyens… En outre, il faut
que la fraude vise une personne en particulier et non qu’elle soit
hypothétique. Celui qui crée une copropriété dysfonctionnelle (et se fait payer
pour cela) sait qu’il va nuire à quelqu’un mais ne sait pas encore à qui.
C’est une fraude, mais pas une escroquerie au
sens pénal.
Créer une copropriété
naturellement dysfonctionnelle, c’est mettre sur le marché ce que le magistrat Jean
de MAILLARD appelle un « rossignol », c’est-à-dire un bien à la valeur bien
moindre que celle à laquelle il sera vendu (Jean de MAILLARD, L’Arnaque. La
finance au-dessus des lois et des règles, Le Débat, Gallimard, Paris, 2010,
305 p.)
Comme le dit si bien
Jean de MAILLARD, « Les rossignols
constituent donc une menace constante sur l’économie de marché et c’est la
faute à la fraude. » (p. 209). En outre, « La fraude est un jeu d’équipe dans
lequel chacun joue pour soi » (p. 249).
Hélas, il est très
difficile de lutter contre ces fraudes aux rossignols qui ne constituent pas
des délits. C’est pour cela que Jean de MAILLARD parle d’une « une nouvelle
délinquance impossible à nommer » (p. 10) et qu’il évite de parler de
criminalité à son propos (p. 12).
Cette existence de
fautes privées qui ne sont pas des délits, même si elles sont particulièrement
dangereuses, était connue dès l’antiquité romaine, où l’on distinguait les
infractions (crimen) et les
manquements civils (delictum privatum)
dont la fraude faisait partie en tant qu’un des éléments constitutifs de la
soustraction subreptice de la chose d’autrui (le furtum) (voir E. DIDIER-PAILHÉ, pp. 242 et 243) (furtum qui se différencie
de la soustraction avec violence, la rapina).
Le législateur a
choisi de ne pas faire de la fraude une faute pénale. De la même manière, il a
choisi de restreindre le champ de la filouterie. Ce faisant, il a encouragé ces
comportements dans le monde immobilier et dans le monde financier. Comme ces
pratiques sont devenues massives, même le juge civil ne peut plus les
sanctionner, pour ne pas déséquilibrer la société.
Est-ce de la faute du
droit bancaire ou de la loi sur la copropriété ? Non. La loi de 1965 ne pouvait
rien changer à l’inadaptation générale de notre droit pénal.
S’il y a des syndicats de copropriétaires en
difficulté, c’est donc bien la faute à la filouterie et à la fraude, et non aux
rédacteurs de la loi de 1965.
L’Etat ne fait rien car il profite au
plan fiscal de ces fraudes et compte sur les victimes des filouteries pour
assumer des charges qui devraient lui revenir. Les leçons de morale de tous les institutionnels pleurnichards
qui déplorent les difficultés en copropriété ressemblent donc à des larmes de crocodiles.
Le verbiage de la loi
ALUR vise à rendre le droit illisible pour mieux camoufler les fraudes. Le
refus de rendre autonomes et participatives les Sociétés d’Attribution et d’Autopromotion révèle également
une volonté de contaminer l’habitat participatif avec la filouterie, en
imposant la présence d’individus ayant un sinistre passé au sein des groupes
qui se constituent. L’invention de structures complexes et nouvelles qui seront
adossées à des produits financiers douteux complète le tableau.
C’est ce que Jean de
MAILLARD appelle le triptyque de la
fraude, avec l’« existence
d’actifs qui ne peuvent être rentabilisés que par la transgression ou la
manipulation des lois du marché », l’« utilisation de
techniques de dissimulation comptables et d’habillages juridiques » et la « vertigineuse
floraison de produits financiers » (p. 136).
Ainsi, par la grâce
de la volonté des rentiers nichés au cœur de l’Etat, une nuée de rossignols
vole au-dessus de nos têtes.
Et comme le dit si
bien Jean de MAILLARD, dès qu’il y a des rossignols, que ce soit en copropriété
ou dans le monde financier, un seul slogan est adapté : « pas fraudeurs, s’abstenir ! » (p. 273) .