L’intérêt du débat
sur l’action collective en copropriété réside dans la forte présence du
nihilisme institutionnel dans ce secteur.
De nombreux acteurs
adorent donner des leçons qu’ils sont les premiers à violer. Toutefois, ils ne
voient pas en quoi cela fait d’eux des nihilistes. Dès lors, il est temps de
les inciter à regarder leurs actes en face.
Chacun croit en un
bien et en un mal. Ce n’est pas une question de morale. Le bien peut n’être que
l’accomplissement de son propre plaisir, par exemple. Dès lors, chacun se doit,
par cohérence, d’inciter au bien et de
punir le mal, non par gentillesse mais pour que la société soit mise sur de
bons rails par rapport à ce qui est souhaité. Quand on en est incapable et que
l’on laisse récompenser le mal et punir
le bien selon ses propres critères, on se moque de la direction que prendra
le monde. Tel est le nihilisme.
Le projet institutionnel consiste
justement à construire de manière
pérenne l’activité collective pour l’orienter vers ce que l’on estime être
le bien. A l’inverse, se moquer de la victoire du bien ou du mal revient à être
un nihiliste institutionnel.
André TURMEL, dans un
article déjà ancien et cité ici (http://bit.ly/1E2qZla), nous aide à y voir
plus clair, en différenciant clairement institution, organisation et
établissement.
Les discours sur les
institutions sont souvent confus et flous. Dans la pratique, beaucoup bavassent
concernant la solidarité mais continuent à harceler des individus de manière
illégitime en décourageant ainsi toute attitude solidaire.
Pour éviter ce
travers, il faut bien comprendre que l’institution
constitue un processus, un aménagement des relations autour d’une
activité sociale pérenne. L’Enseignement scolaire, la Justice, la Défense
Nationale, l’Université, l’Hôpital public, le Service Postal sont des
institutions.
Défendre le
territoire, ce n’est pas seulement un projet ou un rêve. C’est un processus qui
doit permettre l’adaptation à la réalité pour obtenir des résultats. C’est donc
une direction précise de l’activité.
Pour que ces
institutions aient une réalité concrète, il faut qu’elles réalisent leurs
objectifs dans des établissements,
c’est-à-dire des espaces géographiques
et physiques dans lesquels l’institution se matérialise empiriquement.
Sans juges, pas de
Justice. Sans boîtes aux lettres ni facteurs, pas de Service Postal. Sans
écoles primaires ni collèges, par d’Enseignement scolaire.
Enfin, si les
facteurs, les enseignants, les magistrats, les greffiers ne sont ni payés, ni
contrôlés, ni même appelés à agir dans un certain sens, on s’en remet au hasard
et au bénévolat spontané.
Toute institution,
pour avoir une vie concrète, suppose une organisation,
c’est-à-dire une « hiérarchie
de pouvoir, une structure formelle et informelle d'autorité, une division du
travail, un contrôle des tâches, des contraintes budgétaires, etc. », comme le rappelle André TURMEL.
Organisation,
institution et établissements sont donc complémentaires mais pas
interchangeables.
Ce n’est pas parce
qu’il existe des établissements scolaires que l’Enseignement scolaire, en tant
que processus institutionnel, fonctionnera convenablement. Ce n’est pas parce
que des personnes sont payées pour enseigner qu’elles parviendront à faire
maîtriser des savoirs élémentaires aux élèves, malgré une bonne organisation
des services de paye.
Une institution a
besoin d’une organisation et d’établissements pour exister. A leur tour, ces
établissements et cette organisation détermineront dans quel sens évolue le processus
institutionnel.
De la même manière,
les établissements doivent leur création au processus institutionnel et leurs
modalités de fonctionnement à l’organisation.
Enfin, l’organisation
résulte à la fois de l’effort institutionnel et des pratiques mises en place
dans les établissements.
André TURMEL parle
donc du « triptyque » ou de la « triade »
formée par l’institution, l’organisation et les établissements. Chaque élément
ne peut être conçu sans les deux autres qui permettent de le définir.
Cela permet de rompre
avec une vision niaise ou irréaliste de l’institution, qui ne doit pas être
conçue comme un simple verbiage. Le
processus institutionnel est une trajectoire qui s’inscrit dans les faits.
La direction dans laquelle s’inscrit une institution résulte de l’organisation
de l’activité dans les établissements, et non d’un simple songe.
C’est exactement pour
cela qu’une certaine confusion règne entre groupement, organisation,
établissements et institution dans la tête de ceux qui sont recroquevillés sur
leurs statuts et qui refusent de regarder vers quoi leur activité concrète mène
la société. Ce nihilisme institutionnel,
qui résulte donc d’un arrivisme statutaire, consiste en un refus de savoir où l’on va au plan collectif. C’est un obscurantisme.
Placer l’institution dans
les préoccupations liées à l’action collective implique donc un rapport au
savoir. Instituer, c’est savoir où l’on se dirige, et éventuellement corriger
le tir. Organiser, c’est pérenniser l’activité. Etablir des structures
concrètes, c’est consommer des ressources dans le but d’instituer et d’organiser.
En aucun cas, il ne s’agit
ici de stigmatiser la consommation de ressources, puisque la genèse d’établissements
est indispensable pour concrétiser un processus institutionnel. De la même
manière, il ne s’agit pas ici de diaboliser l’organisation, qui serait censée
être triviale, par rapport à l’institution, qui relèverait des buts nobles.
Sans organisation, par d’institution non plus.
Ce caractère
indispensable de chaque élément de la triade, dont aucun ne doit être méprisé,
fait penser à la triade hindouiste, la trimūrti, composée de Brahmā, le
constructeur de la création, Viṣṇu, le préservateur de la création, et Śiva, qui
consomme des ressources pour générer la création, et qui est donc à la fois le destructeur
et celui qui symbolise la fertilité.
Brahmā incarne bien
le processus d’institutionnalisation en ce qu’il fixe une direction grâce au
savoir. Viṣṇu incarne le processus d’organisation, en ce qu’il pérennise l’activité.
Śiva incarne bien le processus d’établissement, en ce qu’il consomme des
ressources pour créer un lieu physique de l’activité.
En aucun cas il ne s’agit
de hiérarchiser Brahmā, Viṣṇu et Śiva de manière simpliste et univoque en
prétendant que le constructeur de la direction de l’activité serait supérieur à
l’organisateur et plus encore au consommateur de ressources. Les trois sont
indispensables. Cela ne signifie pas que le fait d’oublier l’un au profit des
deux autres soit parfaitement prudent ou logique.
L’emploi par André
TURMEL de la notion de triade montre qu’il avait peut-être ce contexte
religieux en tête.
La métaphore est d’autant
plus éclairante qu’il y a un rapport entre les grands dieux hindouistes et le
sacrifice (voir Madeleine BIARDEAU, L’Hindouisme. Anthropologie d’une
civilisation, Champs, Flammarion, Paris, 1995, 313 p., et notamment pp.
123, 159 et 161).
Or, cette
problématique du sacrifice est au cœur de l’activité collective aussi, puisqu’il
est demandé aux participants de sacrifier leur temps et leurs intérêts
immédiats au nom d’une direction précise de l’activité sociale.
Madeleine BIARDEAU
montre à quel point le sacrifice, en ce qu’il implique une consommation, est à
la fois indispensable et dangereux. Śiva
le bienveillant est également Rudra le terrible (pp. 158-159).
Celui qui consomme par
habitude et dans l’indifférence risque vite de s’opposer à celui qui se
sacrifie pour qu’une direction précise soit prise par la société. L’affrontement
risque très rapidement de rendre ces adversaires difficilement conciliables. C’est
la fracture sacrificielle repérée à
de nombreuses fois ici.
On notera que d’autres
auteurs ont une vision plus hétérodoxe de la trimūrti, qu’ils rapprochent de la
Trinité chrétienne (Alain DANIÉLOU, Mythes et dieux de l’Inde. Le polythéisme
hindou, Champs, Flammarion, Paris, 1997, édition originale en 1992, 643 p.,
et notamment p. 53) ce qui est sans doute audacieux et pas forcément
convaincant, notamment au plan de la théologie occidentale…
Confondre Śiva avec
le père, Viṣṇu avec le Fils, et Brahmā avec le Saint Esprit paraît hautement
problématique, puisque les trois dieux hindouistes sont des divinités
distinctes alors que les hypostases, dans la Trinité, participent d’un Dieu
unique.
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