dimanche 13 octobre 2013

GODIN et le mirage de la caravane

Le présent blog a fait l’éloge de Jean-Baptiste GODIN et de son Familistère (http://cooperationencopropriete.blogspot.fr/2013/10/jean-baptiste-godin-merci-patron.html).



Jean-Baptiste GODIN

A la différence des utopistes de la coopération qui ont tous échoué, GODIN a insisté sur trois points indispensables en vue de réussir :

1/ La nécessité de moyens économiques pour mettre en place une démarche coopérative (d’où la nécessité de pouvoir attirer les capitaux et de les rémunérer)

2/ Le fait que l’émancipation des travailleurs passe par des résultats, ce qui implique une performance et une mission à accomplir et non des créances à réclamer à la société

3/ L’importance du processus éducatif dans lequel doivent être insérés les participants avant d’accéder au statut de coopérateurs authentiques

GODIN admettait l’idée selon laquelle la coopération excluait le rapport de domination, ce qui impliquait l’égalité entre ceux qui coopèrent. Toutefois, il n’envisageait pas d’accorder le statut de coopérateur à ceux qui n’étaient pas en mesure de coopérer.

Par bien des aspects, GODIN a eu une influence bien plus grande sur le mouvement des SCOP d’aujourd’hui que les autres penseurs plus idéologiques d’inspiration chrétienne ou marxiste, qui excluaient de manière bien naïve toute rémunération du capital et exigeaient l’égalité de tous dans la prise de décision, ce qui mène au chaos.

Les sociétés coopératives ouvrières de production régies par les lois 47-1775 du 10 septembre 1947 et 78-763 du 19 juillet 1978 permettent justement de rémunérer les apporteurs de capitaux tout en concentrant le pouvoir à égalité entre les mains des coopérateurs, puisque les associés travaillant dans l’entreprise votant seuls aux assemblées générales selon le principe « un homme, une voix ». Des salariés non coopérateurs intéressés aux résultats peuvent également exister. Un processus éducatif est donc permis. Surtout, dans toutes les SCOP, une réserve impartageable doit être constituée. Cela renforce l’éthique de mission, l’idée selon laquelle il faut servir l’entreprise et non les individus.

Ainsi, réalisme économique, souci de la performance et volonté éducative sont combinés tant chez GODIN que dans les SCOP bien structurées, le tout au service d’une émancipation réelle, puisque l’égalité entre coopérateurs évite qu’une élite exploiteuse ne se constitue.

Le LGOC, auteur de ce blog, insiste sur la réciprocité des apports entre coopérateurs pour garantir l’égalité, sur l’importance de la vérification des actions pour empêcher l’omerta, et sur la nécessité d’un regard croisé pour éviter les connivences favorisant l’opacité. La rotation des fonctions est également prônée ici pour éviter la séparation entre dirigeants et dirigés et pour former l’ensemble des participants aux responsabilités au sein des démarches coopératives.

Tout ceci est parfaitement dans l’esprit de GODIN qui souhaitait un processus éducatif au service d’une émancipation concrète. Néanmoins, et à l’image des partis communistes qui ont pu trahir l’idéal communiste, certains apparatchiks de la coopération combattent ces principes au nom d’une interprétation dogmatique des principes de l’Alliance Coopérative Internationale.

Sans Jean-François DRAPERI, GODIN serait encore plus tombé dans l’oubli. Sans la Confédération Générale des SCOP, les avantages fiscaux de ces sociétés auraient été détruits par l’Etat. Le monde de sensibilité participative a besoin des institutionnels de la coopération

Toutefois, le monde de sensibilité participative a également besoin qu’il y ait une forte aspiration à l’autogestion dans la société, y compris chez des personnes peu formées.

Enfin, pour monter des démarches coopératives crédibles, une énergie civique énorme est nécessaire. Certains doivent s’investir non par égoïsme et dans l’espoir d’une rémunération individuelle mais plutôt dans une logique de mission pour améliorer la société.

Patrimoine institutionnel, aspiration à l’autogestion et logique de mission sont donc complémentaires.

Hélas, chaque courant de l’univers participatif tente, de manière illégitime, à exercer l’hégémonie sur les autres.

Les habitants peu expérimentés aspirant à l’autogestion veulent surtout consommer au meilleur prix possible et non partager les efforts. C’est pourquoi ils souhaitent souvent abuser des efforts des citoyens motivés.

Les détenteurs de positions institutionnelles au sein du mouvement coopératif peuvent être tentés par l’esprit de rente. Au lieu de transmettre la mémoire de la riche histoire coopérative, ces institutionnels de la coopération risquent de se replier sur eux-mêmes et de vouloir consolider leurs privilèges en exploitant les citoyens les plus actifs trompés par des illusions.

Jean-François DRAPERI, malgré l’intérêt majeur de ses travaux, explique, ainsi, en s’inspirant d’Henri DESROCHE, que « la caravane doit croire en son mirage pour se mettre en branle. Si la sociologie de l’espérance est aussi une sociologie de l’échec, cet échec vaut mieux que l’absence d’espérance. » (DRAPERI, Godin, p. 90)

Cette défense de l’utopisme et des grands principes qui ne peuvent être concrétisés est catastrophique à une époque où tant de Français qui se sont investis sur des causes importantes, sont désabusés et ont le sentiment d’avoir été grugés.

Lorsque l’on propose à quelqu’un de s’investir dans une approche spécifique, il n’en fera rien si la démarche ne paraît pas crédible. D’ailleurs, mieux vaut qu’il soit passif plutôt qu’il ait de la rancœur après avoir été manipulé.

GODIN, dont l’œuvre concrète est tout sauf l’apologie de tromperies ou d’utopies fumeuses, ne doit pas être pris pour un apôtre des illusions destinées à camoufler les injustices.

samedi 12 octobre 2013

Jean-Baptiste GODIN : Merci patron ?

Outre son excellent livre sur la République coopérative (http://cooperationencopropriete.blogspot.fr/2013/09/la-republique-cooperative-de-j-f-draperi.html), on doit à Jean-François DRAPERI une remarquable biographie de Jean-Baptiste André GODIN (1817-1888) (Jean-François DRAPERI, Godin, inventeur de l’économie sociale ; Mutualiser, coopérer, s’associer, Editions REPAS, 2008, Valence, Drôme, 192 p.).



Jean-Baptiste GODIN

Fils d’un serrurier, serrurier lui-même, GODIN a eu l’idée de remplacer la tôle par de la fonte dans les poêles de chauffage. Grâce à ce succès industriel, acquis entre 1840 et 1848, cet entrepreneur a eu les moyens de soutenir des démarches visant à libérer les ouvriers de la jungle capitaliste sans pour autant basculer dans une révolution violente collectiviste.

Dans un premier temps, GODIN a soutenu des phalanstères. Ces groupements prônés par Charles FOURIER (1773-1837) visaient à atteindre l’harmonie entre les hommes par l’agencement de leurs passions. La passion cabaliste (l’émulation entre groupes), la passion papillonne (le goût de chacun pour voltiger d’activité en activité) et la passion composite (le fait d’exceller dans sa fonction), une fois habilement combinées, étaient censées permettre à des communautés de bâtir un meilleur cadre de travail et d’habitat.

Dans les faits, les phalanstères ont été des échecs partout et GODIN y laissa le tiers de sa fortune. Fort de cette expérience, à partir des années 1850, il a entrepris la création du Familistère de Guise (qu'il désignait comme Palais Social pour ce qui était des locaux) où devait être centrée l’activité de sa propre entreprise.

Cet ensemble architectural visait à fournir un logement décent aux travailleurs et à leurs familles tout en leur assurant une éducation, des loisirs, une participation aux bénéfices sous forme d’épargne, une mutuelle et un accès à la protection de leur santé. A terme, GODIN a organisé le transfert aux travailleurs la gestion de l’entreprise.

En 1880, le Familistère comprenait 1770 habitants et l’association destinée à le gérer fut créée (DRAPERI, Godin, p. 19). GODIN l’a dirigée de 1880 à 1888, laissant la place à son épouse, Marie GODIN née MORET, qui a assuré l’intérim à son décès, avant que ne lui succèdent François DEQUENNE (de 1888 à 1897), Louis Victor COLIN (de 1897 à 1932), René RABAUX ( de 1933 à 1954) et Raymond ANSTELL (de 1954 à1968).

Ce n’est qu’en 1968 que l’entreprise a été cédée aux établissements Le Creuset, les logements du Familistère étant vendus aux divers membres de l’association (DRAPERI, Godin, p. 60). L’expérience a donc survécu 80 ans à la mort de GODIN.

Une telle réussite est tout bonnement exceptionnelle. Alors même que l’on souhaite encourager la reprise des entreprises par leurs salariés sous la forme de Sociétés Coopératives Ouvrières de Production (SCOP) (http://cooperationencopropriete.blogspot.fr/2013/08/quand-la-cooperation-est-la-mode.html), GODIN est un précurseur et un modèle pour tous ceux que la notion de coopération intéresse.

Le personnage était particulièrement sympathique. Député républicain en 1848 puis en 1870, il a néanmoins refusé de s’agripper à un mandat pour faire carrière, préférant se consacrer à son œuvre. Grâce à lui, des logements de qualité exceptionnelle pour l’époque ainsi que des services de santé performants et une école particulièrement réputée ont été mis à disposition d’ouvriers et de leurs familles durant un siècle. Rien qu’en cela, son succès fut incontestable par rapport aux résultats catastrophiques de toutes les expériences utopiques inspirées par FOURIER ou Robert OWEN. Et que dire des massacres inspirés par le marxisme...

Toutefois, ce fut le succès d’un homme plus que d’une théorie. Comme l’a remarqué Charles GIDE, les ouvriers de GODIN ont eu bien de la chance de tomber sur un patron comme celui-là (DRAPERI, Godin, p. 108). En outre, GODIN a longuement préparé sa succession, d’où la pérennité de l’entreprise après son décès, d’ailleurs. Jamais il n’a accepté sans aménagement le principe « un homme, une voix ».

Au Familistère se côtoyaient des auxiliaires (notamment des salariés temporaires ne résidant pas au Familistère) qui avaient juste droit à la protection de la mutuelle de santé, les participants (700 en 1883), qui avaient droit à une part des dividendes sous forme d’épargne (15 % de leur salaire environ), les sociétaires (100 en 1883) qui avaient une part des dividendes plus forte (23 % de leur salaire) et les associés (70 en 1883) ayant droit à une part des dividendes représentant 30 % de leur salaire. Seuls les associés votaient aux assemblées générales. Le Familistère était régi par un conseil de gérance dont la grande majorité étaient des membres de droit (directeurs, chefs de service). C’est ce conseil qui désignait l’administrateur gérant, leader successeur de GODIN.

GODIN a donc mis en place une « élite non bourgeoise à la fois critiquée et jalousée » (DRAPERI, Godin, p. 67).

Charles FOURIER réprouvait l’égalité et la fraternité (DRAPERI, Godin, p. 71) et souhaitait promouvoir la liberté en comptant sur les passions des hommes qui s’équilibreraient pour permettre l’accès de tous au confort. « Godin ne remet pas en question l’accès au confort sans contrepartie que recommande Fourier. Il affirme néanmoins que cet accès, condition de la participation, nécessite la capacité de s’inscrire dans un processus éducatif » (DRAPERI, Godin, p. 93).

Ce qui a permis à l’expérience de GODIN de résister à l’épreuve du temps fut justement cette approche intelligente de la démocratie, qu’il n’a jamais confondue avec la coprocratie (soit le gouvernement d’une majorité imbécile).

« Godin croit que la démocratie ne peut fonctionner que si elle est conquise et fortement institutionnalisée. La perspective éducative est plus importante pour lui que la perspective organisationnelle. Ce n’est pas la démocratie qu’il faut établir, c’est l’éducation des hommes qu’il faut promouvoir. Il n’y a donc pas de modèle organisationnel fétiche. La coopération est préférée comme outil organisationnel. On note que cette hiérarchie définit un cursus coopératif dans lequel on avance : auxiliaire, participant, sociétaire, associé, membre d’un conseil, administrateur gérant, intéressé ; avec la possibilité d’arrêter à chaque niveau selon sa volonté et son investissement. Cette structuration permet donc également d’intégrer chacun, y compris ceux qui ne souhaitent pas s’investir. Mais pour ceux qui le souhaitent, l’entreprise ne peut réussir que si les associés sont en capacité d’exercer leur pouvoir et la prise de risque » (DRAPERI, Godin, pp. 52-53).

Avec le temps, les statuts du Familistère ont évolué. La tentation étant trop forte, les administrateurs gérants ont voulu augmenter leurs revenus sans que cela soit lié à leur compétence ou à leurs performances, renvoyant en 1954 un administrateur gérant bien plus dans la ligne de GODIN. Le poids des rentiers et des gens d'appareil a pesé sur la productivité au moment même où la concurrence internationale augmentait, ce qui a entraîné la vente de l’entreprise.

On a ici le même problème qu’en copropriété lorsqu’une minorité dépourvue du sens de sa mission contrôle les assemblées générales et le conseil syndical puis en profite pour percevoir des privilèges au lieu de remplir sa fonction, c’est-à-dire le bon entretien des parties communes.

Néanmoins, durant des décennies, le Familistère a su éviter cette dérive et, même à la fin de son histoire en tant qu’entreprise, des travailleurs sont restés attachés à l’idéal du processus éducatif prôné par GODIN.

Les écrits théoriques de GODIN n’ont pas eu la cohérence de ceux de son contemporain, Charles SECRETAN (1815-1895), attaché au pluralisme et à l’inspiration kantienne comme lui. Toutefois, alors que le second était professeur de philosophie, le premier fut un autodidacte talentueux qui a mis en pratique les grands principes que l’autre ne faisait qu’énoncer brillamment.

Le bilan de GODIN est donc fabuleusement positif et il est regrettable qu’il soit tant ignoré aujourd’hui. Une fois de plus, il faut remercier Jean-François DRAPERI pour cet ouvrage et souligner l'importance des tenants institutionnels du mouvement coopératif. C'est leur devoir de préserver cette riche histoire pour que la base autogestionnaire et les citoyens engagés dans une logique de mission puissent bénéficier de ces exemples.

vendredi 4 octobre 2013

Comptes séparés et comptes reflets

L’affaire URBANIA a permis de voir la nocivité des comptes reflets. Cet argent fictif est mis à disposition des syndics professionnels par les banques où sont domiciliés les comptes uniques alimentés par les fonds des copropriétés.

Comme le remarque la Revue de l’ARC et de l’UNARC (4ème trimestre 2013, n° 102, p. 32), il peut y avoir des comptes reflets même avec des comptés séparés.

Des banques peuvent être tentées de proposer à un syndic professionnel de l’argent fictif portant intérêts en échange de la domiciliation chez elles de tous les comptes séparés des immeubles de son portefeuille.

Ces pratiques sont très douteuses au plan des règles encadrant la rémunération des syndics, dangereuses pour l’intérêt national au niveau financier et contestables en ce qui concerne le droit de la concurrence.

L’UNARC propose d’imposer aux syndics professionnels d’ouvrir des livrets d’épargne et d’y déposer tous les soldes des comptes d’attente et autres avances de trésorerie ainsi que l’excédent de trésorerie dès qu’il dépasse un certain niveau.

Ainsi, l’argent des copropriétés étant rémunéré, l’intérêt pour les banques d’ouvrir un compte reflet pour offrir les intérêts au syndic sera plus faible.

Toutefois, comme le disait un sketch sur la crise de l’immobilier, c’est bien mais pas suffisant (http://www.dailymotion.com/video/xdvf5_l-immobilier-a-paris-excellent_fun).

Le syndic professionnel ne doit plus avoir la maîtrise de l’endroit où se situera le compte. Ainsi, la tentation de le rémunérer disparaîtra.

Monsieur Christophe BORGEL (député PS de Haute-Garonne), demande à Mme DUFLOT d’autoriser par décret les syndics à percevoir une rémunération supplémentaire si les comptes séparés ne sont pas placés dans l’établissement de leur choix. Si jamais ce parlementaire était suivi, les copropriétés seront donc incitées à laisser le syndic concentrer les comptes séparés dans une seule banque.



Monsieur le député Christophe BORGEL

Non seulement l’Union Européenne pourrait trouver à y redire (puisque cela reviendra à favoriser des ententes anticoncurrentielles), mais en plus, on peut être assuré de l’existence de comptes reflets pour remercier les syndics.

Monsieur BORGEL s’en expliquera sans doute au sein du salon ‘‘indépendant’’ de la Copropriété de l’ARC et de l’UNARC (http://www.salon-copropriete-arc.fr/) le 16 octobre 2013.

Néanmoins, il est vrai que la concentration de tous les comptes des copropriétés gérées par un syndic dans le même établissement faciliterait le travail de celui-ci et de son garant financier. Dès lors, il est impératif d’imposer l’ouverture de comptes d’épargne pour les copropriétés en veillant à ce que la rémunération offerte et les contrôles impliqués dissuadent les banques d’offrir des récompenses au syndics.

La Commission européenne devra ensuite vérifier si le mécanisme est crédible et fournit des garanties objectives pour éviter les comptes reflets.

On notera que si, comme dans l’affaire URBANIA, des comptes reflets sont utilisés de manière imprudente, le système bancaire français pourrait s’effondrer, et il serait un peu rapide de dire, dans ce cas : « l’Allemagne paiera ! » Cette affaire concerne nos voisins européens aussi !