samedi 26 septembre 2020

Ensauvagement en copropriété

 

Certains s’étonnent des relations extrêmement tendues entre syndics et copropriétaires. Ainsi, des commentateurs déplorent les invectives qui sont échangées et les mettent sur le compte de « l’ensauvagement » de notre société. Quelques margoulins veulent même se faire payer en organisant des « médiations » entre des personnes qui ont d’excellentes raisons de se détester… Le but est de tordre le bras aux plus fragiles pour faire accepter des violations de la loi. Or, de nombreux copropriétaires ont été trompés à l’achat. De leur point de vue, le syndic n’est autre que le bras armé d’un ordre public punitif qui s’impose dans la tromperie et l’inefficacité. Tant que ces copropriétaires déçus auront raison sur ce point, les différends entre eux et les syndics se multiplieront.

 

Contraintes collectives cachées

 

Depuis 1789, les gouvernants français ont voulu inciter les citoyens à acquérir chacun des lopins de terre pour stabiliser les familles et susciter un attachement à un bien immobilier particulier. Cela permettait de combattre les idées révolutionnaires tout en développant un esprit individualiste. L’absence de corps intermédiaires puissants permettait à l’État d’être omnipotent.

 

Après le premier conflit mondial, il a été constaté que de nombreux immeubles possédés par des détenteurs uniques étaient mal entretenus. Des chambrettes dégradées y étaient louées à des familles ouvrières dans des conditions d’insalubrité répugnantes.

 

En 1938, le Parlement donc créé la notion de copropriété pour tenter de mobiliser l’épargne de plusieurs ménages pour l’entretien de bâtiments uniques. Ainsi est née la notion de lot de copropriété. Ce dernier est composé de manière indissociable de parties privatives et d’une quote-part de parties communes gérées collectivement. Des syndicats de copropriétaires devaient naître. L’organe décisionnel principal était l’assemblée générale des copropriétaires.

 

Comme on n’attire pas les mouches avec du vinaigre et que les Français étaient désormais culturellement attachés à une conception individualiste de la propriété, les notaires ont dissimulé la dimension collectiviste de la copropriété lors des achats de lots, avec la bénédiction des pouvoirs publics qui espéraient sans doute qu’une fois devenus copropriétaires, les Français allaient progressivement s’habituer à accepter des contraintes collectives.

 

Or, quand on donne tous les pouvoirs à des assemblées composées de spéculateurs individualistes, il ne faut pas s’attendre à ce qu’ils instaurent du collectivisme.

 

Les travaux lourds attendus par le gouvernement n’ont donc pas été entrepris.

 

Ordre public trompeur

 

Au lieu de comprendre que le projet même de la copropriété n’était peut-être pas adapté à la culture française, le gouvernement a persévéré dans l’erreur.

 

Par la loi du 10 juillet 1965, le pouvoir gaulliste a donc décidé d’imposer, en copropriété, des règles d’ordre public, c’est-à-dire qui s’appliquent même si les copropriétaires voudraient s’arranger autrement entre eux. Depuis, ces règles se sont considérablement alourdies, notamment vis-à-vis du syndic, la personne chargée d’exécuter les décisions de l’assemblée générale.

 

Le syndic a été accablé de missions diverses dont certaines relèvent uniquement du service de l’intérêt général (immatriculation, signalement, propositions diverses à faire obligatoirement à l’assemblée générale...).

 

On peut parler des douze travaux du syndic qui doit être archiviste (avec une profusion de paperasses), documentaliste (avec des éléments à fournir en permanence), gestionnaire des sinistres assurantiels, conseiller juridique des copropriétaires, animateur des assemblées générales (qui obéissent à des formalités multiples et tatillonnes), chargé de l’entretien des parties communes (alors que les vices de construction se multiplient), représentant légal (lors de procédures longues et compliquées), exécutant des décisions d’assemblées générales (alors que l’tat impose aux assemblées de se prononcer en permanence sur tout et rien), comptable (avec un schéma comptable bien plus complexe que celui des entreprises), dirigeant du personnel (et chacun connaît la complexité du droit du travail français), agent public (l’administration voulant que le syndic soit son relai bénévole dans l’immeuble), le tout en exerçant son mandat à titre strictement personnel (au moment où les fusions-absorptions se multiplient, ce qui peut entraîner la perte du mandat).

 

Ces missions et les différends qu’elles génèrent sont décrites dans un livre qui vient de paraître.

 

 


 

Livre disponible à la FNAC

 

Or, le syndic, quand il est rétribué, est payé par les copropriétaires. Quand le syndic n’est pas rétribué, c’est obligatoirement un des copropriétaires qui exerce cette mission.

 

Pourquoi les copropriétaires devraient-ils payer ou se dépenser pour accomplir des missions qui ne sont même pas directement à leur avantage ?

 

En effet, les assemblées générales de copropriétaires sont restées les principaux organes décisionnaires, avec notamment le pouvoir de nommer le syndic.

 

Avec un ordre public toujours plus lourd, cet état de fait ne pouvait que provoquer des catastrophes.

 

Un monde sans syndics

 

Comme les spéculateurs individualistes attirés par des publicités mensongères en copropriété ne sont pas abrutis, ils ont trouvé la parade face à un ordre public contraignant qui leur est généralement dissimulé à l’achat.

 

Puisque le syndic est le bras armé de l’ordre public, il suffit de ne pas en élire un pour être tranquille.

 

Ainsi, l’État a cru très fin d’imposer une immatriculation obligatoire à compter du 31 décembre 2018, à la charge du syndic, bien entendu…

 

Au 31 mars 2020, 111 064 syndicats de copropriétaires étaient dénués de syndics sur les 450 868 syndicats immatriculés. On peut évaluer à environ 236 000 le nombre de syndicats de copropriétaires même pas immatriculés du tout, et donc sans doute dénués de syndics officiels. Sur 687 000 syndicats de copropriétaires, il n’y a donc assurément ou probablement pas de syndic dans la moitié d’entre eux ; voir Th. POULICHOT, « Copropriété désorganisée : les chiffes », Informations Rapides de la Copropriété (IRC), n° 661, septembre 2020, p. 38…

 

De nombreux lots de copropriété sont vendus dans des immeubles dénués de syndic, ce qui posent des problèmes d’information des acquéreurs et présente de graves risques de conflits, voir Ch. COUTANT-LAPALUS, « Un monde sans syndic et la vente d’un lot », IRC n° 661, pp. 37 à 41.

 

 


 

Arrêter les tromperies

 

La première des choses à faire pour éviter les différends est de prévenir les acheteurs pour que plus jamais ils ne soient pris par surprise.

 

Un livret de suivi doit être établi dans tous les syndicats de copropriétaires, sans même qu’il soit besoin de faire intervenir la loi.

 

Pour chaque lot, les sinistres intervenus et les jugements rendus doivent être signalés. La liste des assemblées générales depuis la mise en copropriété doit être donnée, tout comme l’identité du président de séance et des éventuels scrutateurs. Le taux de participation pour l’élection du bureau doit être indiqué. Le nom des syndics et des conseillers syndicaux doit être fourni.

 

Ainsi, l’acheteur saura parfaitement si le syndicat de copropriétaires fonctionne normalement ou non. Les avantages du livret de suivi sont décrits dans le livre précité.

 

 


 


Reconstruire l’intermédiation

 

Pour les copropriétaires qui sont déjà piégés, inutile de leur donner des leçons ou de tenter de les arnaquer en leur proposant des médiations où le médiateur est ligué avec ceux qui les ont escroqués.

 

Le copropriétaire ne doit plus être vu comme un consommateur méprisé et manipulable à merci.

 

Toute la camarilla des technocrates insolents qui n’a jamais écrit une ligne dans une revue sérieuse sur la copropriété doit apprendre à se taire et à ne plus toiser avec arrogance de malheureux copropriétaires que les pouvoirs publics ont contribué à tromper.

 

Pour éviter les échanges explosifs et l’incrustation des haines, les copropriétaires doivent insister pour ne jamais être interpelés directement par les acteurs défaillants responsables des vices du système immobilier actuel.

 

Que chacun adhère à une association agréée et insiste pour la constitution de comités de pilotage permettant de vérifier que les syndics soient certifiés suite à l’accomplissement de tâches précises laissant des traces écrites. Là encore, ces mécanismes sont décrits dans l’ouvrage précité (Syndics. La Prévention des différends).