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samedi 16 décembre 2017

Se souvenir de Pauline Roland

Une commémoration importante

Tous les ans, le 16 décembre, sachons nous souvenir de Pauline ROLAND.



Cette institutrice féministe née en 1805 et morte le 16 décembre 1852 fut l’une des mères du mouvement coopératif français.

Elle a collaboré avec le socialiste fouriériste Pierre LEROUX à Boussac où il avait fondé un phalanstère dans la filiation de FOURIER.

Elle a aussi encouragé des travailleurs au chômage à créer leurs propres entreprises et à les gérer ensemble. Ainsi fut fondée l’Union des Associations de Travailleurs en 1848 qu’elle a dirigée. Cette structure était l’ancêtre de l’actuelle Confédération Générale des SCOP.

En 1851, Pauline ROLAND a été persécutée par l’ignoble tyrannie putschiste conduite par le méprisable Louis Napoléon BONAPARTE. Déportée en Algérie, elle n’a pu revenir qu’en 1852 gravement malade et est décédée à Lyon peu après son retour en France.

Pauline ROLAND a vécu en union libre, ce qui était perçu comme très audacieux à l’époque. Elle eut trois enfants et insista pour qu’ils portent son nom et soient élevés par elle. Elle a également recueilli la fille de Flora TRISTAN, Aline, qui allait devenir plus tard  la mère de Paul GAUGUIN.

En ces temps de querelles autour des APL, qu’aurait pensé Pauline ROLAND des technocrates qui conduisent une fronde contre le gouvernement élu et qui revendiquent le soutien des associations de locataires ?

L’histoire vue par une coopératrice

Pour comprendre les idées de Pauline ROLAND, il faut lire un ouvrage intéressant et disponible en ligne. C’est son Histoire de l’Angleterre depuis les temps les plus reculés jusqu’à nos jours (Desessart, Paris, 1838, volume 1, 300 p., signé sous l'orthographe Pauline ROLLAND avec deux L...)

Bien entendu, les connaissances historiques ont beaucoup évolué depuis 1838 sur l’antiquité et le Moyen âge anglais. Pauline ROLAND porte également beaucoup d’avis moraux sur les personnages historiques. Le livre est néanmoins surtout intéressant pour la vision du monde qu’il propose plus encore que pour les informations qu’il donne.

Pauline ROLAND présente ainsi le christianisme comme la religion des faibles et des opprimés par opposition au joug romain païen (p. 30).

Elle fustige la « lâcheté » d’Ethelred, le roi saxon qui n’a pas su résister à l’invasion danoise menée en 1013 par Sven, père de Canut le grand.

Pauline ROLAND contre les tyrans

Concernant Guillaume le Conquérant, qui envahit l’Angleterre à partir de 1066,  Pauline ROLAND ne mâche pas ses mots :

« Lorsque Guillaume fut véritablement roi d’Angleterre, l’oppression n’eut plus de bornes, et parce qu’il pouvait tout, il se crut tout permis » (p. 92).

Quand ce roi mourut, personne ne se soucia de ses funérailles dans un premier temps.

« Personne n’avait aimé Guillaume, et il fut abandonné de tous quand on n’attendit plus rien de lui » (p. 103).

En effet, « sa perfidie et sa cruauté n’avaient pas de bornes » (p. 104).

Guillaume le Conquérant n’est pas le seul souverain à être vilipendé par Pauline ROLAND.

Henri Ier Beauclerc, le fils cadet du Conquérant est fustigé ainsi : « Le roi haïssait ses sujets anglo-saxons qu’il accablait d’exactions » (p. 117).

L’héritière d’Henri Beauclerc, sa fille Mathilde, veuve du souverain du Saint-Empire romain germanique, et pour cela appelée l’emperesse, n’est pas traitée avec plus de ménagement par la féministe Pauline ROLAND qui lui reproche son refus de respecter les lois anglo-saxonnes aboutissant à sa fuite de Westminster en 1141 (p. 124).

On le devine, Pauline ROLAND n’aime pas les souverains autoritaires. Elle loue le fait que les rois saxons aient traditionnellement été élus en Angleterre et que ce qu’elle appelle le conseil national ait gardé une influence considérable pour régler les fréquentes querelles de succession parmi les successeurs de Guillaume le Conquérant (p. 126).

Du bon usage des mauvais rois pour la liberté

Pauline ROLAND apprécie aussi les efforts d’Henri II Plantagenet pour limiter les privilèges de l’Eglise qu’elle estime mauvais pour la bonne administration du pays (p. 136). C’est peut-être un anachronisme inspiré par l’anticléricalisme des milieux progressistes à son époque à elle…

Elle condamne les émeutes antisémites lors du sacre de Richard Cœur de Lion qu’elle décrit par le menu (pp. 149-152) en notant l’appât du gain de ceux qui les ont fomentées, au-delà des arguments qu’elle qualifie de « fanatiques ». Là encore, c’est parti d’un bon sentiment qui ne reflète peut-être pas les enjeux médiévaux.

Elle approuve la charte créant la commune de Londres accordée par Jean sans Terre qui voulait se créer des alliés.

Concernant ce souverain peu reluisant, elle remarque :

« Les brillantes qualités des princes sont rarement les auxiliaires de la liberté ; peu de chartes sont octroyées volontairement, et souvent le règne d’un imbécile tyran amène ce qu’on a vainement attendu de ceux que l’histoire appelle de grands rois » (p. 160).

Elle porte le même jugement sur son fils Henri III d’Angleterre dont le règne (1216-1272) est décrit comme une longue minorité où s’est exercée la domination de régents puis de favoris plus ou moins nuisibles :

« Les mécontentements que soulevaient tour à tour ces gouvernants aidèrent à la marche de la liberté, et on peut dire avec vérité que jamais roi si indigne n’eut un règne aussi fécond en heureux résultats » (p. 180).

C’est une référence implicite au roi Charles X dont la tentative d’absolutisme suranné a provoqué la révolution de 1830 en France…

Un passé relu avec des lunettes démocrates et humanistes

Le fait que Jean sans Terre ait été élu roi par le « conseil national » (p. 168) est aussi souligné. Son « libertinage », qualifié de « sans bornes » (p. 173) ont donc finalement des conséquences intéressantes.

Le 19 juin 1215, la Grande Charte (Magna Carta) est signée, contenant des « principes éternellement vrais ». Au final, la « lutte d’un grand peuple contre un misérable despote » a dès lors produit de bons fruits (p. 175).

On a ici la preuve que cette femme de gauche des années 1830 utilisait l’histoire d’Angleterre comme prétexte pour faire passer des idées contre la tyrannie monarchique avec des objectifs que les acteurs médiévaux dont elle loue les révoltes auraient trouvé sans doute surprenants.

Le Comte de Gloucester (1090-1147) allié de l’impératrice Mathilde ou le Comte de Leicester Simon de Monfort (mort en 1218) auraient été surpris de recevoir les éloges d’une féministe partisane de l’autogestion par les travailleurs des moyens de production… Soyons francs, ils auraient sans doute bien ri !

Les bornes et la servitude

On peut noter que Pauline ROLAND aime utiliser l’expression « pas de bornes ». En page 183, elle explique que la colère des barons médiévaux contre Henri III n’avait pas de bornes et que la prodigalité de ce roi n’avait pas de bornes non plus.

Cet appel à la modération et au contrôle de soi est aux sources de l’attitude du mouvement coopératif encore aujourd’hui.

Vouloir construire des limites pour poser des freins à la domination des uns sur les autres est également une préoccupation importante, d’où l’insistance de Pauline ROLAND sur les révoltes contre le servage de 1381 et son éloge du religieux « Jean BALL » (John BALL), « pauvre prêtre » trois fois emprisonné pour ses idées (p. 232).

Là encore, on peut ironiser sur l’apologie qu’elle fait de l’auteur d’une des phrases certes des plus révolutionnaires mais aussi des plus machistes de l’histoire médiévale (When Adam delved and Eve span, who was then the gentleman ?) (Quand Adam bêchait et Eve filait, qui était donc le gentilhomme ?).

Selon John BALL, les femmes étaient donc uniquement bonnes pour utiliser la quenouille… Ce qui avait un sens au Moyen âge où l’on disait d’un fief hérité par une femme qu’il partait en quenouille…

Si on veut faire un jeu de mots sur le nom de John BALL, on pouvait dire que son discours était parti en autre chose…

La société médiévale était inégalitaire et machiste, même quand elle s’opposait au despotisme monarchique ou seigneurial. C’est un point central que Pauline ROLAND a mal vu et qui explique les problèmes du mouvement coopératif aujourd’hui, puisqu’il a bâti de nouvelles hiérarchies élitistes camouflées derrière une démagogie prétendument hostile au servage.

La sympathie romantique

Pauline ROLAND fut une femme formidable mais elle est restée une dame de son temps, très marqué par la sensibilité romantique, ce qui n’est pas toujours désagréable. Elle n’aime pas trop les rois et les hauts aristocrates arrogants, mais dès qu’ils sont vaincus, elle sait les plaindre.

Edouard II est un « malheureux » quand il est assassiné par ses barons révoltés (p. 210).

La duchesse de Gloucester Eléonore COBHAM est une « malheureuse » quand elle doit faire amende honorable, accusée de sorcellerie (p. 267).

Pauline ROLAND a aussi toujours tendance à défendre les enfants, même quand ils sont rois.

Isabeau de Bavière, qui abandonne son fils Charles VII à la vindicte des Anglais, est qualifiée de « misérable Isabeau » et de « mère aussi dénaturée qu’indigne épouse » (pp. 257 et 258).

L’amour libre, d’accord, mais pas l’adultère… On peut approuver Pauline ROLAND tout en notant qu’il est difficile de juger les gens du Moyen âge avec notre morale des XIXe, XXe et XXIe siècles.

Elle qualifie aussi d’infamie la déposition du jeune roi Edouard V par son oncle Richard III avec l’assentiment d’un « parlement vénal » et du fait des agissements du « vil Buckingham », conseiller du nouveau roi (p. 294).

Pourtant, Pauline ROLAND explique à plusieurs reprises qu’elle préfère le gouvernement par les élus et qu’elle estime que le pouvoir royal, surtout quand il est placé dans les mains d’un enfant, mène à la catastrophe.

Néanmoins, une fois l’enfant destitué, elle plaint celui-ci en tant que jeune être humain digne de respect, d’amour, de protection et de mansuétude.

C’est charmant et il nous faut tenter de garder cette gentillesse.

La révolte du clergé privilégié des HLM

Qu’aurait pensé Pauline ROLAND de l’actuelle caste qui dirige les HLM ?

D’abord, elle l’aurait assimilée à un clergé.

Ensuite, elle en aurait sans doute dit beaucoup de mal. Elle aurait approuvé les questions légitimes de la CLCV qui a mis en cause la gouvernance des HLM et les rémunérations parfois mal contrôlées (https://www.cbanque.com/actu/48950/hlm-association-de-consommateurs-clcv-poursuit-son-operation-transparence).

Elle aurait approuvé la CLCV, qui a bien fait son travail et qui se réclame d’idées proches des siennes (en voulant encourager les citoyens à prendre leurs affaires en mains, ce qui devrait mener à l’autogestion dans les HLM).

Elle aurait, par contre, regretté que la CLCV abandonne aujourd’hui sa position vigilante pour donner sa caution à une opération de propagande menée par une élite autoproclamée avec l’argent des organismes HLM contre le gouvernement élu.

Pauline ROLAND n’aimait pas les clercs privilégiés. Autant elle se réjouissait de voir des tyrans féodaux maladroits faire monter par réaction les contrepouvoirs civils, autant elle approuvait les rois forts qui faisaient plier l’Eglise et ses prétentions.

Néanmoins, il ne faut pas désespérer, d’autant que la CLCV est très prudente, un peu comme gênée dans cette affaire. Qu’elle s’inspire donc de Pauline ROLAND qui n’a jamais été complaisante ou courtisane à l’égard des puissants et des gens établis.

Si les privilégiés prétendent réellement défendre les occupants des HLM, qu’ils leur laissent la place, comme en 1848 dans l’association dirigée par Pauline ROLAND où les ouvriers avaient pris le pouvoir. Alors seulement les récriminations contre le gouvernement qui prive de moyens les HLM pourront être entendues.


Quant à ceux qui prétendent que cet impossible, qu’ils vérifient ce qui s’est passé dans le mouvement coopératif où des SCOP sans élite prédatrice fonctionnent très bien (et en tout cas beaucoup mieux que des organismes mal gérés par des potentats). On rappelle qu’une société coopérative a fonctionné durant 7 siècles en France… Peu d’entreprises et aucun organisme HLM ne peuvent en dire autant.

lundi 24 juillet 2017

Les 150 ans de la loi du 24 juillet 1867


Le 24 juillet 1867, une loi du Second Empire a permis la création de sociétés à capital variable. Ce fut un facteur essentiel pour le développement des sociétés coopératives en France, malgré la nocivité du bonapartisme en général.



L’aboutissement d’une histoire mouvementée

Entre 1789 et 1791, l’Assemblée nationale constituante a souhaité détruire les corporations qui existaient en France depuis le Moyen âge.

Le but était de supprimer toute intermédiaire entre les individus et l’État, afin de renforcer le pouvoir politique et d’assurer une égalité entre tous les habitants face à lui. La volonté de supprimer par magie la féodalité et les privilèges expliquait cette attitude.

Les syndicats et les regroupements de travailleurs dans le but de gérer leurs propres entreprises ont donc été interdits. Ce fut l’abominable loi Le Chapelier du 14 juin 1791.

Cette situation était inique. Les sociétés commerciales n’étaient pas interdites. Elles permettaient aux capitalistes de se rassembler alors même que les travailleurs n’avaient pas la possibilité de le faire.

En 1839, dans son ouvrage l’Organisation du travail, Louis BLANC (1811-1882) a imaginé la création d’ateliers sociaux où il n’y aurait pas de patron et où les ouvriers géreraient ensemble l’entreprise où ils travaillent.

En 1848, des ateliers nationaux ont été mis en place avec le soutien de la puissance publique pour employer des chômeurs. Toutefois, les forces conservatrices leur ont reproché d’avoir été des foyers de contestation lors des émeutes de juin 1848 qui furent violemment réprimées.

Tous les promoteurs des associations ouvrières furent donc persécutés. Louis BLANC dut s’enfuir en Angleterre, tout comme Jeanne DEROIN (1805-1894) un peu plus tard.

Pauline ROLLAND (1805-1852), qui présida l’Union des associations de travailleurs en 1849 fut jetée en prison à plusieurs reprises avant d’être déportée en Algérie et de mourir sur le chemin du retour.

Une évolution du régime putschiste bonapartiste

Une fois qu’il eut été solidement installé au pouvoir après l’avoir usurpé le 2 décembre 1851, Badinguet (alias Napoléon III) a tenté de se réconcilier avec la population ouvrière, notamment parce qu’il n’avait pas une confiance absolue dans la bourgeoisie conservatrice, souvent orléaniste, et encore moins en l’ensemble des grands propriétaires fonciers, fréquemment légitimistes.

Par une loi du 25 mai 1864, le délit de coalition fut aboli. Les associations ouvrières furent envisageables. La grève était même possible à condition qu’il n’y ait aucune pression sur les travailleurs.

Le 24 juillet 1867, dans une loi relative aux sociétés commerciales, le gouvernement a introduit un article 48 qui permet aux sociétés d’avoir un capital variable.

En fait, il s’agit d’une clause pouvant être insérée dans les divers statuts des sociétés. Les sociétés à capital variable ne sont pas des sociétés spécifiques.

Elles ont l’avantage de permettre l’entrée au capital de travailleurs qui n’ont pas besoin d’acheter des parts à une valeur élevée. La création d’une nouvelle part qui peut être acquise à la valeur nominale suffit.

Ensuite, les travailleurs peuvent quitter la société sans avoir besoin de vendre leur part à un éventuel acquéreur. La société peut leur rembourser la valeur nominale de la part qu’ils détiennent et diminuer le capital en conséquence sans formalité.

L’intérêt du capital variable pour la coopération

Depuis l’ordonnance n° 2000-92 du 21 septembre 2000, cette possibilité d’avoir un capital variable est inscrite à l’article L 231-1 du Code de commerce.

Le fait d’avoir un capital variable permet à une société d’augmenter ou réduire sans capital en étant dispensée de formalités de dépôt et de publication (article L 231-3 du Code de commerce). Les actions ou parts sociales sont alors nominatives (articles L 231-4 du même code)

La société dont le capital variable doit l’indiquer dans tous les actes qu’elle produit (article L 231-2 du Code de commerce).

Cette possibilité est particulièrement utile pour les sociétés coopératives.

La loi n° 78-763 du 19 juillet 1978 sur les sociétés coopératives de production (SCOP) prévoit qu’elles ont un capital variable (article 3).

Les SCOP sont actuellement appelées plus généralement sociétés coopératives et participatives, même si l’ancienne dénomination n’est pas prohibée et est toujours mentionnée dans certains textes.

Malgré ses défauts et la déroute finale qu’il a provoquée en 1870, le Second Empire a donc initié un processus intéressant.

C’est une leçon instructive pour aujourd’hui.

Les individus méprisables, comme les consuméristes amoraux ou les bureaucrates irresponsables, peuvent, par égoïsme, lancer des démarches qui, finalement, se révéleront utiles. Pour cela, il faut qu’elles soient prises en mains par des personnes plus honnêtes, évidemment.

Ainsi, aucune coopérative n’a été créée par les affairistes nauséabonds qui pullulaient autour du pouvoir bonapartiste à la dérive…



Pour ceux que le droit des sociétés coopératives intéresse, il faut lire la revue en ligne Le Droit à la sauce piquante en s'abonnant librement ( (http://goo.gl/forms/GO1o5S4SPl).


lundi 22 septembre 2014

Les défricheurs d’Eric DUPIN

Un livre remarquable vient de paraître il y a dix jours, dans cette rentrée décidément chargée.

Le journaliste indépendant Eric DUPIN (ayant travaillé pour l’Evènement du Jeudi, Marianne, Rue 89, le Figaro et Le Monde Diplomatique) a signé Les Défricheurs, voyage dans la France qui innove vraiment, La Découverte, Cahiers libres, 278 p., 2014, Paris




L’introduction est disponible en ligne (http://ericdupin.blogs.com/ld/).

Cet ouvrage a reçu l’approbation d’un militant d’EELV sur le site de ce parti (http://eelv.fr/2014/09/11/bifurquer-defricher-et-apres/).

On notera qu’Eric DUPIN a été un proche du CERES (animé par des alliés de Jean-Pierre CHEVÈNEMENT) alors que Christophe GUILLUY est aujourd’hui un compagnon de route de l’ancien maire de Belfort. Pourtant, Eric DUPIN ne partage pas les mêmes positions que Christophe GUILLUY.

Eric DUPIN s’intéresse aux 17 % de Français (selon un sondage, voir Les Défricheurs p. 9) « privilégiant la coopération sur la compétition, l’être sur le paraître, la connaissance de soi sur la domination des autres ».

Eric DUPIN appelle ces Français les « créatifs culturels » selon une expression d’Yves MICHEL, maire divers-gauche d’Eourres dans les Hautes-Alpes (Les Défricheurs, p. 262).

Pourtant, c’est bel et bien un livre sur les coopérateurs en tant qu’ils souhaitent construire une société alternative dont il s’agit.

Le souhait de ces innovateurs contemporains est conforme aux projets de John BELLERS au XVIIe siècle et Robert OWEN au XIXe siècle, que, certes, Eric DUPIN ne cite pas, car il se consacre uniquement aux acteurs de notre temps.

L’ouvrage est une succession de portraits et rend compte de nombreux entretiens. L’axe choisi est résolument journalistique et n’inclut ni une analyse historique référencée, ni une étude juridique étayée des concepts maniés. L’abondante littérature sociologique disponible n’est pas évoquée.

Qu’importe car le propos est toujours intéressant et la réflexion pleine de bon sens. Chacun sera libre d’approfondir le sujet ultérieurement.

D’abord, Eric DUPIN rompt avec le pessimisme ambiant en montrant le dynamisme et la diversité de cette France qui veut construire une alternative à l’hyper-individualisme, au présentéisme et au relativisme (Les Défricheurs, p. 223).

Avec raison, Eric DUPIN montre le poids des penseurs de la décroissance, (Les Défricheurs, pp. 225 à 233), d’EELV (Les Défricheurs, pp. 41, 43, 59, 240 notamment), des anciens du PSU (Les Défricheurs, pp. 55 et 155 notamment) et de la mouvance anarchiste (Les Défricheurs, p. 79) dans ces approches mais montre aussi qu’elles concernent des entrepreneurs bon teint qui sont heureux de se libérer de la pression des actionnaires (Les Défricheurs, p. 201).

On notera le succès de l’entreprise ACOME, 1400 salariés, qui existe sous la forme coopérative depuis 82 ans et de SOPELEC, 2300 salariés, fondée il y a 41 ans, même si cette dernière s’inscrit désormais dans une stratégie de groupe pas forcément intégralement coopérative (Les Défricheurs, p. 187).

Eric DUPIN a le mérite de montrer que le modèle de vie coopératif, et c’est le cœur du sujet, ne relève pas seulement du rêve mais peut fonctionner au plan économique.

Eric DUPIN est enthousiaste, notamment concernant l’habitat participatif qu’il estime peu développé par rapport à la Suisse et l’Europe du nord (Les Défricheurs, p. 156). On note, avec plaisir, les propos de Pierre-Yves JAN (PARASOL à Rennes, http://www.hg-rennes.org/) qui insiste sur le fait que l’on ne peut réussir seul dans ces démarches et sur l’importance qu’il y a à croiser les regards. C’est le principe du regard croisé sur lequel insiste le présent blog depuis sa création concernant l’identité coopérative.

Enfin, l’auteur a la sagesse de montrer le talon d’Achille de ces dynamiques, à savoir une tendance à l’élitisme (Les Défricheurs, pp. 59, 177 et 267), la tentation du repli par rapport à une société perçue comme hostile (Les Défricheurs, p. 269) et l’invisibilité qui en découle (Les Défricheurs, p. 13).

La vision un peu catastrophiste qu'ont ces coopérateurs alternatifs sur la société leur donne parfois une image sectaire (Les Défricheurs, p. 32). A ce propos, Eric DUPIN a raison de dire qu’il n’est pas sain de compter sur l’effondrement de notre univers contemporain car un désastre social a souvent des effets régressifs et favorise l’avènement d’un pouvoir autoritaire (Les Défricheurs, p. 271).

En conclusion, sans verser dans l’idéalisme niais (Les Défricheurs, p. 158), l’ouvrage souligne le caractère insuffisant des appels au progrès fondés sur la promesse de croissance et le rêve d’une société idéale (Les Défricheurs, p. 273).

La seule petite réserve que l’on peut avoir concerne la reprise de propos parfois assez piquants des membres de la mouvance alternative les uns contre les autres. Les journalistes sont toujours friands de ce genre d’échanges. On espère que ces phrases seront bien assumées par ceux auxquelles elles sont attribuées.

Néanmoins, là n’est pas l’essentiel. Eric DUPIN nous dresse un portrait stimulant d’une France qui souhaite innover tout en restant réaliste, notamment concernant la crise de la participation dans les sociétés coopératives (Les Défricheurs, p. 187). Merci à lui pour ce bel effort.

A nous tous de relever le défi, et de conduire la France périphérique, qui se sent marginalisée par le système, à comprendre qu’elle dispose d’une véritable alternative !

Le chemin sera difficile, car les bénéficiaires du système actuel ne se laisseront pas faire. L’habitat alternatif, ainsi, rencontre des résistances car il bouscule les intérêts bien compris et les habitudes établies. Comme le dit Eric DUPIN, « cette société doit être bien fragile pour se sentir menacée par quelques milliers de yourtes » (Les Défricheurs, p. 36).