samedi 20 septembre 2014

La France périphérique de Christophe GUILLUY

Ainsi, le 17 septembre 2014 est sorti le dernier ouvrage de Christophe GUILLUY intitulé La France périphérique, comment on a sacrifié les classes populaires (Flammarion, Paris, 185 p.).




Le livre semble se vendre comme des petits pains. Tant mieux pour l’auteur ! Que ses fans se rassurent : il est droit dans ses bottes ! La thèse des Fractures françaises est préservée dans ses grandes lignes, d’autant que Christophe GUILLUY l’expose dans les médias inlassablement depuis 4 ans (www.esprit.presse.fr/archive/review/rt_download.php?code=37407) et a même récemment été reçu à l’Elysée (http://www.courrierdesmaires.fr/26624/christophe-guilluy-geographe-la-france-peripherique-60-de-la-population-est-invisible-aux-yeux-des-elites/).

Les accusations de simplisme (http://www.laviedesidees.fr/Le-periurbain-France-du-repli.html) ne lui font ni chaud ni froid et ses provocations continuent, notamment concernant son appel quasiment explicite à une alliance entre le parti socialiste et le Front National (http://elections.lefigaro.fr/presidentielle-2012/2012/04/25/01039-20120425ARTFIG00592-christophe-guilluyle-second-tour-reste-ouvert.php).

L’idée que les classes populaires issue de la majorité invisible fragilisée sont poussées à la périphérie des métropoles, sont coincées par le retournement du marché foncier et ainsi jetées dans les bras du Front National est ressassée par l’auteur (http://www.lejdd.fr/Politique/Le-geographe-Christophe-Guilluy-Le-FN-a-une-marge-de-progression-immense-dans-l-ouest-de-la-France-635740), tout comme l’idée que la notion de classe moyenne est un mythe inventé par l’élite pour stigmatiser comme une bande de privilégiés égoïstes la France périphérique et maintenir celle-ci dans la précarité et la violence sociale.

Néanmoins, le succès de cet ouvrage est mérité.

D’abord, il est en phase avec les avis de certains penseurs qui ne sont manifestement pas du même bord politique, comme Camille PEUGNY (http://www.inegalites.fr/spip.php?article1755) qu’aime citer Cécile DUFLOT (voir la contribution de cette dernière sur la France de 2025) (http://www.lefigaro.fr/politique/2013/08/16/01002-20130816ARTFIG00430-la-france-de-2025-les-copies-des-ministres-corrigees-par-un-expert.php). Laurent JOFFRIN approuve également le coup de pied dans la fourmilière que donne Christophe GUILLUY (http://www.liberation.fr/livres/2014/09/12/le-crime-des-bobos_1099285).

Ensuite, l’auteur souligne avec raison l’impossibilité de demander à des acteurs un investissement dans l’action collective si c’est pour qu'ils se fassent exploiter par des consuméristes et des individualistes qui ne jouent jamais le jeu.

Les citoyens auxquels on demande ainsi de se sacrifier, avant de les punir au plan économique pour avoir fait ce sacrifice, sont placés dans une injonction paradoxale (voir Droits et construction sociale n° 13, 28 août 2012, pp. 12-13) et réagissent logiquement par la fuite.

De surcroît, nul ne se sacrifie sans que la dynamique impliquée par cet effort soit profitable au moins à la collectivité. Récompenser le mal n’est certainement pas favorable au bien commun. Les Fractures françaises et La France périphérique décrivent en fait, et avec raison, là encore, une fracture sacrificielle.

Les copropriétés où les majorités des assemblées générales et les occupants se comportent mal évincent ceux qui auraient pu s’investir dans une action collective. Ceux qui auraient le malheur de ne pas partir continueraient à subir une pression économique, sociale et fiscale violente tout en vivant dans un environnement qui les rendrait incapables de répondre à ces pressions. La mutualisation qui protège les fautifs n’est moralement pas défendable.

Ensuite, les pouvoirs publics se plaignent de la montée du modèle pavillonnaire, de l’impopularité de la classe politique et du fait que ces copropriétés deviennent ingérables. A qui la faute ? On peut repérer la même logique par rapport à l’insécurité ou à la carte scolaire. Ceux auxquels on demande d’être performants constamment et de se former ne peuvent rester dans des lieux où leur vie devient infernale et où ils sont empêchés de s’instruire du fait de la violence.

Le diagnostic de Christophe GUILLUY est donc correct, malgré son caractère iconoclaste, d’où son succès, notamment dans les cercles des Français marginalisés par les élites.

Tout le problème réside dans la solution qu’il propose, à savoir la victimisation consumériste de la France périphérique et l’attente du sauveur.

En effet, dans La France périphérique, sa thèse reste la même que dans les Fractures françaises, à savoir la récrimination contre les bénéficiaires de la mondialisation qui laissent de côté les malheureux membres de la majorité invisible. La notion de classe moyenne a volé en éclats et ne sert qu’à justifier la stigmatisation de la France périphérique. Cette fois-ci, l’accent est mis sur les conséquences politiques de cette fracture avec des explications du vote (La France périphérique, pp. 63-67) et des prophéties sur l’avenir des partis (La France périphérique, pp. 83-87). Les méchantes élites ne cessent de vouloir museler le peuple, à l’image de Viviane REDING qui veut refuser le droit aux électeurs britanniques de se prononcer sur leur sortie de l’Union européenne (La France périphérique, p. 92).

L’auteur persiste dans sa vision colorée de la France (en Noirs et Blancs pour être ‘‘clair’’, si l’on peut dire). A cette occasion, il crée la distinction entre la gauche d’en haut, sociétale et blanche, et la gauche d’en bas, dans les DOM TOM ainsi que parmi les Musulmans, tous peu favorables au mariage pour tous (La France périphérique, p. 104).

Les Bonnets rouges sont mobilisés pour illustrer la France périphérique prétendument marginalisée (p. 53) (alors qu’il y a parmi eux des chefs d’entreprises dont les sociétés sont intégrées à l’économie monde, d’où les coûts de transport contre lesquels ils protestent, d’ailleurs…).

Sinon, l’auteur se répète un peu par rapport aux Fractures françaises. Ainsi, il cite à nouveau, de manière toujours aussi allusive, PUTNAM, (La France périphérique, p. 169) en ne faisant référence qu’à un article de Jean-Louis THIEBAULT de 2003 paru à la Revue Internationale de Politique Comparée (2003/3, vol. 10, « Les travaux de Robert D. Putnam sur la confiance, le capital social, l’engagement civique et la politique comparée », pp. 341 à 355).

Alors que ce dernier article est excellent et nuancé, Christophe GUILLUY continue à avoir de PUTNAM (dont on se demande s’il l’a lu dans le texte) une vision plus que sommaire. Les personnes qui vivraient dans des quartiers où les populations sont diverses s’engageraient moins.

Comme le dit THIEBAULT dans son article, PUTNAM n’a jamais considéré le déficit d’engagement comme une fatalité, puisqu’il s’intéresse à la façon dont on peut reconstruire des liens civiques aux Etats-Unis (article, p. 351). De plus, lorsqu’il constate un affaiblissement de la capacité à l’engagement collectif, il la lie à un manque de culture des personnes qui ne s’engagent pas plutôt qu’à une anxiété liée à la présence de populations d’origines diverses (voir article, pp. 346 et 350). Celui qui est habitué à tout attendre d’un chef ne sait pas s’incorporer à une action collective, comme PUTNAM l’a montré en étudiant les différentes cultures régionales italiennes.

A ce titre, il est dommage que Christophe GUILLUY n’ait pas lu avec plus d’attention la source qu’il cite (et qu’il n’ait pas consacré de plus longs développements à PUTNAM ainsi qu’à ses œuvres).

Christophe GUILLUY considère comme une malheur inévitable le fait que la mobilité internationale la plus forte soit celle des diplômés (La France périphérique, p. 74). De la même manière, il valide les thèses de Terra Nova (La France périphérique, p. 76) sur le divorce entre l'élite de gauche, toujours plus sociétale, et le peuple, en prétendant la séparation irréversible.

PUTNAM, dont Christophe GUILLUY dit s’inspirer, n’a jamais été aussi péremptoire. L’auteur américain insiste notamment sur la notion de coopération et sur l’importance de la réciprocité pour pouvoir créer des liens civiques. On aurait aimé que l’ouvrage La France périphérique se penche sérieusement sur cette question.

En effet, assez paradoxalement, la principale faiblesse de la thèse de Christophe GUILLUY est l’incapacité à penser la reconstruction d’un lien social. Cet auteur est pourtant membre du conseil scientifique de la fondation Res Publica de Jean-Pierre CHEVÈNEMENT, qui prône l’égalité républicaine et le civisme à longueur de pages. Or, la France périphérique est présentée par Christophe GUILLUY comme un monde pavillonnaire peuplé par une majorité invisible. Pire, cette dernière se ressent comme la victime de la mondialisation et Christophe GUILLUY l’encourage dans cette démarche pleurnicharde. Est-ce très sain de se penser perpétuellement en victime ?

Bien entendu, chacun a pu subir des injustices, et il est légitime d’en parler, car elles constituent un élément fondamental, non seulement pour soi, mais aussi pour ceux avec lesquels on est en relation et qui ont été affectés indirectement par ces injustices. Le syndic de copropriété qui cause un préjudice à un copropriétaire nuit à toute la famille de celui-ci. Est-ce une raison pour que le copropriétaire ou sa famille commettent des délits dans la rue ? Certainement pas. Le mal que l’on a subi ne justifie pas que l’on commette un mal plus grand encore.

Etre républicain, cela implique de dégager un processus qui incorpore l’ensemble de la société afin d’atteindre le bien commun. Rien n’oblige à assurer l’impunité des mafieux ou des agioteurs, certes, mais ce qui doit animer les citoyens, c’est le sens du devoir et le souci d’atteindre des buts légitimes par les voies les plus justes possibles.

La coopération basée sur la réciprocité, que prône PUTNAM, est justement le moyen de parvenir à cet objectif. Même la France périphérique est en contact avec le monde. Elle consomme de l’énergie venue d’ailleurs. Son impact environnemental influera sur les autres pays.

Le membre de la « majorité invisible » qui regarde TF1 sur sa télévision fabriquée en Chine n’en n’a peut-être rien à faire des Chinois, mais il a interagi avec eux, qu’il le veuille ou non. Dès lors, celui qui bénéficie d’un service ou d’un bien est-il prêt ou capable de travailler aussi durement que ceux qui ont fourni ce bien ou ce service ? Ou souhaite-t-il, après avoir consommé, se séparer radicalement du producteur en se plaçant sous la domination d’un chef charismatique qui fermera les frontières ?


Telle est l’implication du choix entre réciprocité, d’un côté, et consumérisme victimaire, de l’autre.