mardi 9 juin 2015

Agir en démocratie, d’Hélène BALAZARD à BLANQUI

Le 29 mai 2015 s’est tenu le salon du Pouvoir d’agir à Paris (Palais de la Femme, rue de Charonne), à l’invitation du Collectif Pouvoir d’Agir.

Le pouvoir d’agir fait référence à l’empowerment déjà abordé ici.

Le salon du 29 mai s’est divisé en trois temps.

D’abord, des discussions se sont tenues autour de stands sur le principe « one to one » (entretiens d’une personne seule avec une autre personne seule).

Ensuite, de petites réunions d’écoute par tables restreintes ont été organisées sous la direction des organisateurs. Puis des délégués volontaires ont tenté de délivrer en tribune une synthèse conforme aux attentes des organisateurs, nul ne souhaitant être désobligeant à l’égard de ces derniers, puisqu’ils ont eu la politesse de mettre en place la manifestation.

Enfin, des actions de citoyens étant partis à la conquête d’un pouvoir d’agir ont été mises en scène dans une petite chorégraphie théâtrale de manière très plaisante.

Les organisateurs ont également fait la promotion de l’ouvrage d’Hélène BALAZARD, Agir en démocratie, Les Editions de l’Atelier, Ivry, 2015, 155 p.




L’ouvrage, tout récent, constitue une clef de compréhension indispensable pour comprendre les comportements de la mouvance qui invoque aujourd’hui le pouvoir d’agir à titre professionnel (à l’opposé des citoyens confrontés à des difficultés qui, eux, vivent le défi de l’acquisition de l’autonomie). Que chacun achète ce livre !

Hélène BALAZARD, qui a étudié l’exemple de l’organisation London Citizens, défend la dynamique de la BBCO (Broad Based Community Organization, organisation communautaire à base large). Elle a également été l’une des initiatrices de l’Alliance Citoyenne à Grenoble (à ne pas confondre avec l’Alliance Citoyenne de Rennes, qui est une association électoraliste centriste).

La BBCO repose sur l’idée qu’il faut redonner du pouvoir aux plus démunis (Agir en démocratie, p. 13).

Pour cela, il convient de contraindre les détenteurs d’un pouvoir à répondre de l’usage qu’ils en font, en suscitant la constitution des collectifs aptes à interpeller les vrais décideurs (Agir en démocratie, p. 19).

London Citizens a donc fédéré des groupes de personnes (et souvent des associations cultuelles de diverses obédiences). Aucune adhésion directe individuelle n’était possible (Agir en démocratie, p. 37).

Le modèle a été suivi à Grenoble, avec une tendance forte à recruter des associations fondées sur une base religieuse (Agir en démocratie, p. 49), même si des individus peuvent aussi adhérer (Agir en démocratie, p. 135).

L’accusation évidente qui vient à l’esprit est celle de communautarisme. C’est pour cela qu’Hélène BALAZARD termine son livre par la formule : « Liberté, Egalité, Fraternité sont des notions qui restent abstraites si elles ne s’expérimentent pas et ne s’incarnent pas concrètement. C’est par la pratique et l’interaction collective que l’on s’approprie ces biens communs » (Agir en démocratie, p. 148). La prétendue abstraction des principes républicains français est opposée par l’auteure à la soi-disant dimension concrète des actions de London Citizens

Ce n’est toutefois qu’une formule de style. Personne n’est dupe sur l’opposition des intérêts entre les organisateurs, des professionnels pratiquant l’entre-soi, et la population la plus fragilisée qui n’a aucune possibilité de manifester sa colère sans qu’elle soit détournée.

Les organisateurs, qui poursuivent leurs plans de carrières, et les leaders, c’est-à-dire les volontaires les plus soumis, définissent seuls les campagnes et les slogans dans le cadre de la BBCO (Agir en démocratie, p. 92).

Les réunions à London Citizens, dirigées par les organisateurs professionnels, sont centrées sur l’utilisation des émotions des volontaires et non sur la capacité de ces derniers à décoder les conflits d’intérêts, à repérer les compagnonnages professionnels et à comprendre les stratégies des réseaux de pouvoir (Agir en démocratie, p. 95).

L’organisation communautaire à base large (BBCO) repose donc sur une infantilisation évidente, doublée d’une utilisation de l’opium du peuple que peut être la religion (qu’elle soit musulmane, protestante, catholique, juive ou bouddhiste) quand elle est déconnectée d’une réflexion théologique solide.

La force de l’ouvrage d’Hélène BALAZARD, malgré ces défauts de la BBCO, est de faciliter le décodage des relations de domination. Ainsi, les citoyens qui veulent s’engager disposent d’une boîte à idées pour éviter certaines dérives.

Cela pourrait être particulièrement utile en copropriété, où la réflexion sur l’action collective est défaillante depuis plus de 50 ans (hormis les excellents travaux de Marie-Pierre LEFEUVRE, avec laquelle l’association LGOC a eu le plaisir de travailler, et de Nicolas GOLOVTCHENKO).

L’influence bénéfique de la pensée d’Hélène BALAZARD est perceptible au sein de l’Alliance Citoyenne de Grenoble. De nombreux citoyens grenoblois de divers horizons et de diverses origines, ont pu se mobiliser contre des contrats contestables en matière de fourniture d’eau chaude à des ensembles immobiliers de logement collectif. Cela concernait autant des copropriétés que de l’habitat social. Les associations traditionnelles de locataires et de propriétaires étaient silencieuses, du fait des partenariats qu’elles nouent avec les collectivités territoriales ou les grandes entreprises.

L’Alliance Citoyenne de Grenoble a permis de contourner les structures de représentation sclérosées.

De ce point de vue, on ne peut que constater l’intérêt de la réflexion appelée par Hélène BALAZARD sur la domination charismatique exercée dans les actions collectives par les organisateurs et les principaux leaders (Agir en démocratie, p. 96).

L’aveuglement quant aux conflits d’intérêts est la principale cause d’échec des actions collectives. Hélène BALAZARD a l’honnêteté de ne pas escamoter cet écueil, en évoquant l’équilibre à trouver entre recherche de financements et quête de l’indépendance (Agir en démocratie, pp. 137 à 138).

« Avoir du pouvoir revient à maîtriser les trois activités de résolution des conflits : nommer (naming), imputer une responsabilité (blaming) et proposer une solution (claming) » (Agir en démocratie, p. 138, l’auteure faisant référence à un texte de FELSTINER, ABEL et SARAT dont l’article est en ligne, voir http://bit.ly/1FO5z6c)

Les organisateurs rémunérés, qui sont des prestataires, ont donc des intérêts intrinsèquement divergents de ceux des bénéficiaires de la prestation, c’est-à-dire les citoyens qui veulent se mobiliser.

Les syndics professionnels sont dans la même situation à l’égard des copropriétaires. Or, il serait ridicule de demander aux syndics professionnels de représenter, contre eux-mêmes, la défense des copropriétaires… De la même manière, si les organisateurs ont mal nommé un problème, parce qu’ils sont liés au processus qui crée la difficulté en question, on ne peut pas compter sur eux pour se flageller spontanément.

A ce sujet, le courage d’Hélène BALAZARD est remarquables car, tout en étant ouvertement liée aux organisateurs de liens collectifs, elle ne dissimule pas ces risques potentiels.

Bien entendu, elle reste optimiste mais un peu floue : « Certains élus, à rebours de leur rôle traditionnel, réfléchissent à susciter le pouvoir d’agir. Des rôles similaires à celui des organisateurs, des catalyseurs d’action collective et des accompagnateurs d’émancipation, se développent également dans ce sens au sein des institutions ou des mouvements citoyens (par exemple en réinventant ou prolongeant les formes dites d’éducation populaire) » (Agir en démocratie, p. 147).

Oui, c’est la vieille rengaine de la démocratie participative, usée jusqu’à la corde faute d’avoir fait émerger des processus juridiques précis fondés sur des principes fondamentaux dont la validité aurait été démontrée au plan logique.

Avant de jeter la première pierre à Hélène BALAZARD et de l’accuser de bobocratie, il convient toutefois de se souvenir de la lettre à MAILLARD du 06 juin 1852 rédigée par Auguste BLANQUI (1805-1881). Ce dernier avait, à l’époque, été mis en prison par le régime bonapartiste putschiste.

Le document, synthétique mais très intéressant, est accessible en ligne (http://www.lafabrique.fr/spip/IMG/pdf_Maintenant.pdf).

On peut également consulter : BLANQUI, Textes choisis, préface et notes de P.V. VOLGUINE, Les Editions Sociales, Classiques du peuple, Paris, 1971

MAILLARD était un militant de la coopération partisan de Philippe BUCHEZ.

BLANQUI, quant à lui, se montrait obsédé par l’action révolutionnaire violente qui devait être conduite au nom du peuple par une élite. Les partisans de la coopération, à l’inverse, souhaitent éviter la guerre sociale et bâtir une harmonie. Aussi, ils manifestaient une vive réserve quant à la frénésie d’affrontements.

Pourtant, MAILLARD déplore, auprès de BLANQUI, la trahison de la Révolution de 1848 par des théoriciens fumeux. BLANQUI, le perpétuel révolutionnaire, lui rappelle, à l’inverse, que la diversité des écoles de pensée et la confrontation des idées n’est absolument pas une faiblesse et ne constitue pas la cause de l’échec, même quand certains peuvent s’égarer.

L’aveuglement quant aux conflits d’intérêts et le flou sur des concepts trompeurs sont bien plus dangereux. BLANQUI relève alors les errements de son interlocuteur à ce sujet. MAILLARD n’a que le mot démocratie à la bouche, sans réfléchir aux divergences majeures d’intérêts entre bourgeoisie privilégiée et masses laborieuses :

« Vous me dites: je ne suis ni bourgeois, ni prolétaire, je suis un démocrate. Gare les mots sans définition, c’est l’instrument favori des intrigants. Je sais bien ce que vous êtes, je le vois clairement par quelques passages de votre lettre. Mais vous mettez sur votre opinion une étiquette fausse, une étiquette empruntée à la phraséologie des escamoteurs, ce qui ne m’empêche pas de démêler parfaitement que vous et moi avons les mêmes idées, les mêmes vues, forts peu conformes à celles des intrigants. Ce sont eux qui ont inventé ce bel aphorisme : ni prolétaire, ni bourgeois mais démocrate ! Qu’est-ce donc qu’un démocrate, je vous prie ? C’est là un mot vague, banal, sans acception précise, un mot en caoutchouc »

Hélène BALAZARD abuse aussi des « mots en caoutchouc », comme la démocratie, le bien commun, etc., mais sur le fond, elle aura œuvré à la réflexion relative aux garanties coopératives.

L’association LGOC travaille sur ces questions depuis 2011 en proposant une vraie coopération dans une action collective. Pour cela, elle prône la rotation de tous à toutes les fonctions, la réciprocité, la vérification, le regard croisé et l’intermédiation (éviter la domination d’individus isolés par les tyrans charismatiques). La BBCO implique le refus de tous ces principes, puisqu’elle renforce la distinction entre dirigeants et dirigés, sur fond de public manipulé, de leaders enrégimentés et d’organisateurs stipendiés.

La bonne attitude n’est pas d’en vouloir à Hélène BALAZARD, d'autant qu'elle a la franchise d'aborder ces problèmes. De la même manière, il serait absurde de jeter le bébé avec l’eau du bain en prétendant que les discussions sur le pouvoir d’agir ne concernent que des rentiers bohèmes mangeurs de subventions.

Ne nous montrons pas plus sectaires que BLANQUI. Reconnaissons l’utilité des regards croisés portés sur les mêmes problèmes par des personnes ayant eu des trajectoires différentes.

Les spécialistes de l’organisation communautaire à base large (Broad Based Community Organization) ont des choses à nous apprendre, ne serait-ce que sur les risques qu’il convient d’éviter, notamment au plan du compagnonnage professionnel et de la domination charismatique des organisateurs.

On comprendra, néanmoins, que le concept d’acquisition du pouvoir d’agir (empowerment) soit préféré ici à celui de BBCO. La dimension communautariste de cette dernière est effectivement malsaine et contraire aux principes constitutionnels français ainsi qu’à la sécurité nationale. Le comportement parfois égocentrique des organisateurs communautaires relève, de surcroît, plus souvent d’un opportunisme cynique que d’un processus d’émancipation du peuple basé sur des principes précis. On y reviendra.